Immobile/nouveau décor

 

 

(dans tous les cas, cette maison restera le témoin de quelque chose que je ne m’explique pas : un journal de ciné, un autre des sorties, autre chose des lectures, on s’en fout – OSEF – certes, mais parfois, je me demande : où vais-je d’où viens-je en quel état ? c’est le passage des saisons, probablement, le parcours vers les jours qui raccourcissent, déjà entamé c’est à la vie comme à la mort, c’est la même chose continuer, avancer, tenter d’exister, de se tenir et d’observer) (par ailleurs, et – comme disait ma grand-mère – je l’aime toujours, elle se nommait Louise – je l’aime toujours – par ailleurs Dieu merci, bientôt les vacances – et cette année, tant pis, ce seront trois semaines, sans compter les suivantes, et donc nous verrons) (dans la série « il n’y a pas que le cinéma dans la vie »)

Ces murs blancs manquent singulièrement d’apprêt, ces maisons ne veulent pas donner l’impression de vivre, elles veulent simplement imprimer quelque chose dans l’imaginaire des visiteurs, afin de leur donner envie de les faire leur, c’est une façon de faire, parfois on consulte un plan, on regarde les annonces du journal du vendeur d’armes volantes, on essaye de trouver quelque chose, un toit, quelque chose, un lieu où poser ses toiles, ses couleurs son chevalet, et puis passent les jours et passent les semaines, ni temps passé ni les amours reviennent – la Seine, sous le pont, s’en va à l’Atlantique…

paul klee carnet

Mettons cette image, c’est le carnet de Nina Kandinsky (j’ouvre une parenthèse – coq à l’âne -dans ce renouvellement des décors de cette maison pour imposer ici cette image magnifique des manifestations contre la loi scélérate

rectangle blanc sur fond de bois

: demain on manifeste et on bouge putain) (j’ai fermé la parenthèse, mais demain, debout hein) et je continue à poser quelques clichés sur les murs des couleurs et des toiles de Paul Klee (ici un portrait en noir et blanc, évidemment fatalement j’en sais rien)

OK portrait de paul klee

début du siècle dernier, artiste au travail, couleurs magnifiques (« Eclair pétrifié »)

éclair pétrifié paul klee

ce ne sont pas des décors, évidemment (ici, « la belle jardinière« )

OK paul klee la belle jardinière

j’ai eu le livre catalogue de l’exposition en cadeau (merci tant merci)

OK paul klee projet

des merveilles (au dessus, « projet« ; en dessous « jouets« )

paul klee jouets

on s’arrête, on marche dans le couloir, un des couloirs (est-elle de plain pied ?) et l’image vous attrape (« Les jumeaux« )

paul klee jumeaux

il lui manque le point, c’est aussi pour (ne) donner (qu’) une idée (« Le ballet »)

paul klee ok le ballet

il ne s’agit pas tant d’habiller (« Port mondial« )

port mondial ok paul klee

que de donner à voir  des merveilles (« Famia« )

paul klee famia

les murs, les couloirs, les pièces, les chambres, les cabinets les réduits les cagibis, les lieux, les sorties les portes les entrées, les fenêtres sur la rue, le jardin, fermées ouvertes, sur le monde, dehors là-bas la paix

paul klee Diana

(« Diana ») (je ne suis pas sûr de la qualité des photos : je les aime bien, elles me sont chères, mais de quoi rends-je compte ici ? une visite d’une exposition ? un parcours du cinquième étage du musée ? Je ne sais pas, mais je crois que je meuble…)

Les pieds nus

 

 

 

C’est à peu près certain : il n’y a pas que le cinéma dans la vie (même si on y va, si on l’aime et qu’il ne cessera pas d’être présent dans cette maison – elle le vaut bien).

Cesaria 3

Il y a aussi la chanson et cette femme-là ne ressemble à personne. La force, l’intelligence et la grâce de l’amour et du plaisir de vivre, voilà ce qu’elle illustre.  Le florilège, ou les linéaments que je pratique régulièrement (sans doute parce que j’aime aimer les choses et les êtres aimables) indiquent pourtant une filiation, (une sororité, pédanterai-je peut-être), un témoin entre -par exemple, j’en aurais bien d’autres à donner- disons madame (Nina) Simone, madame (Simone) Signoret (bien qu’elle ne chantait point) et Cesaria Evora (et, donc Ava Gardner, cette Comtesse aux pieds Nus (Joseph Mankiewicz, 1954) fatalement…) (la prochaine fois, je le fais pour les types).

Cesaria 6

Je lis ce livre, une biographie, dont je pose ici un extrait, et dans les diverses pièces de cette maison on entendra la morna, on entendra peut-être une autre fois d’autres merveilles…

Femme libre, fille-mère, chanteuse, whisky cognac et plus rien du jour au lendemain, clope au bec et toujours fidèle à son île, sa maison, son fauteuil de skaï, toujours généreuse, riche de sa voix magnifique et de ses amitiés qui durent une vie…

Cesaria 7

Les bijoux qu’elle porte et les chaussures qu’elle délaisse, moi, j’adore… Elle, en entier, moi, je l’adore.

Cesaria 2

Tu sais quoi ? je suis né au bord de la mer, pas de l’océan, et ça change tout : cette musique-là, comme celle qu’on entend à Lisbonne, cette musique qui, comme le vent, les vagues, le ciel et le soleil est inépuisable, cette musique-là, ces chansons, pour les gens de peu, qui rient, qui dansent, qui boivent pour oublier, ou pour se souvenir c’est selon, il faut bien qu’elle nous attendrisse. Ou à Rio…

Les lignes qui suivent, je les partage même si je ne suis qu’un homme. Mais je chante…

Cesaria 4

« A ceux qui pensent qu’une femme qui boit est une fille perdue, une honte pour la ville, mais s’en servent le moment voulu, qu’une mère célibataire est une femme de mauvaise vie, et que la pauvreté est l’état naturel des abrutis, il faut toujours prouver quelque chose. Il faut porter ses plaies comme des étendards. Ses pieds comme des symboles. »  (in Cesaria Evora, la voix du Cap-Vert, Véronique Mortaigne, Babel 2014, p 57)

 

 

Sur la réserve

 

 

 

(après tout, il n’y a pas que le cinéma dans la vie) (cependant on tient à indiquer que la palme d’or cannoise a été attribuée cette année à Ken Loach –qu’on aime– lequel laisse libres les droits sur ses films, qu’on peut donc regarder, voir et visionner comme et autant qu’on veut ici par exemple) (il faudra accepter avant d’être suivi à la trace par les wtf algorithmes gafa mais comme on n’en a -ainsi que l’Edith Cresson première ministre nous le faisait savoir- rien à cirer -elle c’était de la bourse-, on verra) (il y a aussi la littérature et la peinture) (jte parle même pas de la musique)

 

la grande réserve

« Il existe un tableau de Caspar David Friedrich nommé La grande réserve qui représente une partie de la réserve d’Ostra, au nord ouest de Dresde, sur la rive sud de l’Elbe, en 1832. Le fleuve est bordé d’arbres agglutinés sur la gauche en orée, tachant à droite l’arrière plan au flanc d’une longue colline lointaine, ensuite vient l’horizon, enfin le ciel, un énorme volume de ciel froid qui envahit la moitié du tableau jusqu’à paraître émaner de lui, s’interposer entre l’oeil et lui.

A première vue, depuis la maison de Bernard Calvert, le paysage que surplombait Georges ne ressemblait en rien à celui d’Ostra. »

Il s’agit ici des premières phrases du chapitre vingt cinq, reproduites du livre – qui en compte trente deux – (des chapitres, pas des phrases) « Cherokee » (1983) de Jean Echenoz, lu dans sa version de poche (2003), exemplaire achevé d’imprimer le dix décembre deux mille quinze dans les ateliers  de Normandie Roto Impressions à Lonrai (61 250) (France) (suit un numéro d’éditeur, 5902, et un autre d’imprimeur, 1505485). Elles ne rendent que très peu compte de la parfaite et magnifique prose joyeuse et simple qu’il emploie.

On a reproduit ici aussi le tableau en question où la description n’a pas tenu la péniche pour sensible -il s’agit d’un bateau à voile, qu’on aperçoit voguer sur l’Elbe (donc).

S’il se pouvait, autant que de faux livres, que sur les murs d’ici figurent aussi quelques reliques fantomatiques et hâves de peinture, ce me serait (peut-être) agréable (on les mettrait aux couloirs)

 

 

Les vibrisses

Là, campée dans ses pantoufles, le tablier gras qui dessine ses seins ancestraux, les naseaux gonflés par tant de haine que quelques vibrisses tentent d’en sortir, avec sa bouche pleine de crocs vomissant chacun de nous, avec ses courtes pattes avant tenant des côtes que jamais personne n’a caressées, son corps et son être déshumanisés par un enfermement volontaire, elle me dit : « faudrait voir à enlever la trottinette de votre fille du couloir, pasque le couloir, c’est commun, et dans les communs, y faut rien d’personnel, alors faut la monter la trottinette!! J’ai appelé le propriétaire, il est d’accord!! ». J’acquiesce en lui répondant: « mais je l’ai acheté pour tout le monde vous savez, vous pouvez l’utilisez si vous voulez, n’hésitez pas, elle est commune! ».
Elle fulmine, se tape les hanches, puis finit par s’en rentrer chez elle. Tandis que je monte chez moi, je l’entends s’enfermer à quintuple tour.

Et en buvant mon café, je l’imagine sur la trottinette tandis qu’elle m’imagine étranglé de ses mains en se torturant de ne pouvoir le faire.

 

Jean-Claude Goiri

La concierge est dans l’ascenseur

J’ai constaté avec une soudaine stupeur que la maison témoin n’a pas d’ascenseur. Vous me direz, elle n’en a pas besoin, attendu qu’elle n’a pas d’étage (toute information entrant en contradiction avec cette affirmation et provenant d’un autre texte de cet espace doit être considérée comme nulle et non avenue). Mais depuis quand le besoin est-il une condition nécessaire pour acquérir un objet quelconque ? L’ascenseur est un signe d’ascension sociale, les immeubles avec étant plus prestigieux que ceux qui n’en sont pas pourvus. Ou plutôt, l’ascenseur est devenu, comme le bac, quelque chose qu’il faut avoir parce que sans, c’est encore pire. Donc, hors de là, point de salut… Maintenant, on pourrait envisager (NB : inscrire ce sujet à l’ordre du jour de la prochaine réunion de copropriétaires) l’installation d’un ascenseur horizontal, qui ne ferait ni monter, ni descendre, une sorte de cellule sur trottoir roulant qui amènerait de l’entrée à la cuisine – où l’on saisirait en passant une bouteille de bière dans le frigo – et de là au salon où l’on se laisserait tomber sur le canapé avec ladite bouteille. On pourrait avantageusement accompagner cet ascenseur à plat d’un chariot non-élévateur pour le transport des bagages, sacs de courses alimentaires ou non, animaux de compagnie, enfants en bas âge et autres impedimenta. Des options supplémentaires (diffuseurs de musique, de parfums, de suggestions d’occupations, de poèmes surréalistes…) viendraient compléter l’installation. Il est opportun, en outre, de définir le circuit desservi par cet engin, selon qu’il devra passer par toutes les pièces de la maison ou seulement par certaines d’entre elles (NB : et dans ce cas déterminer lesquelles et pour quels motifs).

Une arrivée

Actuellement, je vais vous dire, je suis dans le couloir. J’avais décidé d’aller habiter la maison et je me suis demandé ce qu’il fallait faire pour cela. Emballer et emporter mes affaires, d’accord. Ça n’a pas pris longtemps, trois chemises, trois livres, trois outils (marteau, tenaille, tournevis). Tout cela tenait facilement dans un sac de voyage équipé de roulettes, j’avais même la place de mettre mon sandwich pour la route. Le sac m’a accompagné (en fait c’est lui qui m’a montré le chemin) jusqu’à la raie du bus. Le bus est venu et nous a emmenés, le sac et moi, l’un tirant l’autre. Arrivés au terminus, nous sommes descendus. J’ai eu un peu de mal à trouver la maison-témoin parmi 48 maisons toutes semblables et dont 47 ne voulaient pas témoigner, sans l’afficher ouvertement. J’ai fini par comprendre que la maison-témoin était celle dont les volets restaient ouverts la nuit. Pour cela j’ai dû attendre la nuit, heureusement en janvier elle vient de bonne heure et elle reste longtemps avec nous. J’avais les clefs, je suis incapable de vous dire qui me les avait données, ni où je les avais rangées depuis, pour pouvoir les sortir au bon moment – et même les agiter négligemment avant d’ouvrir, pour signifier aux voisins qui m’épiaient que j’étais un occupant légitime, autorisé, et pour tout dire bienvenu. J’ai ouvert la porte, trouvé l’interrupteur comme si j’avais toujours vécu là, constaté que l’électricité marchait (quelqu’un y avait veillé, peut-être la personne qui m’avait remis les clefs ?) Là-dessus je me suis avisé que je devais choisir dans quelle pièce entrer d’abord, et comme ce choix me remplissait d’anxiété, j’ai décidé pour le moment de rester dans le couloir.