Actrice

 

 

(image d’entrée de billet : au centre, chemisier rouge, Feriel Chamari propriétaire du salon de coiffure/onglerie)

ce qu’on découvre dès le premier plan (elle est de dos, il fait beau, elle est dehors avec un type en t-shirt rouge) c’est le tatouage qu’elle porte à la base du cou.

Elle en porte un autre à l’intérieur de son poignet gauche – il me semble (un signe de sa liberté – si s’inscrire quelque chose à même  la peau possède cette signification). Elle parle de ce type qui porte fez et cigare « c’est mon patron » dit-elle  » il est juif » (c’est dans l’ordre inverse). On s’amuse dans le film même si l’actrice principale, elle défend hardiment son rôle, Selma, ne s’amuse pas vraiment. Elle fume, elle veut faire sa vie à Tunis, et y exercer sa profession de psychanalyste-psychothérapeute (plutôt la seconde profession, allons-y doucement…).
Sur cette image, sa tante (Ramla Ayari) discute clope au bec sur le divan (sa fille, et donc la nièce de Selma, se cache de sa mère) : le voile de la mère répond à celui de la fille.

Un film amusant qui n’est pourtant pas moins sérieux : les mœurs, la religion, la police, la critique douce du régime, l’incompréhension, les défis quotidiens, bien des choses dans un décor magique, servies par des actrices et des acteurs fort bien dirigées. Je me souviens du premier rôle, Golshifteh Faharani, dans « My sweet peperland » (Hiner Saleem, 2013) plus dramatique
où elle joue de cet instrument à percussions, le hang – un film où les Kurdes existent, où elle défend aussi un rôle de femme, institutrice et courageuse. Vraiment bien aussi : une femme puissante comme on dit de nos jours . Bien qu’elle en fasse un peu trop ici, on aime à la retrouver : on se souvient aussi de son magnifique rôle très en noir et blanc dans le Paterson
de Jim Jarmusch, cette merveille de cinéma (2016), en épouse d’un poète et conducteur d’autobus (Adam Driver dans le rôle)
GF avec Adam Driver poète et conducteur d’autocar
Un divan à Tunis, un film réalisé (elle est aussi au scénario) par Manele Labidi
(*) tout au long du film comme de cette rédaction, je me disais « Selma… Selma… »… et voilà que ça me revient : ce nom, ville de départ (et titre d’un film que je n’ai pas vu – mais réalisé par une femme engagée, noire et féministe) du périple de Martin Luther King pour l’émancipation la libération des Noirs étazuniens dans les années 60 du siècle dernier (1965) (Ava DuVernay, 2014). Comme un écho…

Train fantôme

 

 

Trois histoires composent ce film, et c’est juste magnifique : toutes les trois se déroulent à Memphis (Tenessee) qui (comme on sait ?) est la ville où naquit à la chanson Elvis Presley (aka Elvis the pelvis) (il est né au monde à Tupelo, à soixante kilomètres au sud – en janvier 35) . Il ne fut pas le seul à chanter ici : la réalité veut que les studio Sun records se soient installés à Memphis, et ce fut là qu’un jour, pour sa mère, The King fit graver son premier disque du monde.

Il est dès lors présent partout (il y vécut, Graceland est le nom de la petite maison où il vécut, je crois et mourut (à 42 ans), peut-être d’overdose de médicaments dans la ville. C’est là que le train s’arrête, passe, s’en va.

Dans l’hôtel nommé Arcade qui sert pour une (assez grande) part de décor au film (les trois histoires s’y déroulent un moment sans qu’aucune ne se croise) dans ce lieu, il y a la présence du gardien de nuit (interprété par Screaming Jay Hawkins) et du groom (Ciqué Lee)

), dans chacune des chambres on trouvera un portrait d’Elvis (dit The King).

Le train en question ne vient de nulle part, ne va nulle part – ou du moins, sa destination n’est-elle pas exactement explicite. Et les trois histoires usent de macguffin – on ne sait pas pourquoi les choses arrivent : on ne verra pas Graceland, on ne saura rien du mort que convoie Luisa vers Rome

le type de l’épicerie sera-t-il mort ?

On ne sait pas pas… On entend un coup de feu, dans chacune des histoires (est-ce celui tiré dans l’épicerie ? On ne sait pas…)

Memphis est mystérieuse…

On peut pourtant noter un invariant (ça ne sert à rien, mais c’est amusant quand même) : le rouge que porte le gardien ressemble à celui de la valise des deux amoureux

comme à celui (plus passé, plus vieux, plus terni) de la voiture des trois types alcoolisés.

On peut sans doute noter aussi que le fantôme d’Elvis n’apparaît qu’à Luisa; que le chanteur des Clash (Joe Strumer

l’anglais – le supposé mari de Dee-dee la bavarde -ici droite cadre

) déteste Elvis (parce que tout le monde l’appelle ainsi) et fait tourner le portrait contre le mur de la chambre; le troisième des bras cassé (est l’ami du coiffeur blanc – à l’image le second, Will, plus ou moins pote avec le gardien de nuit)

interprété par Steve Buscemi  – ce dernier apparaît dans le premier épisode des deux amoureux japonais.

C’est peut-être un conte : en tout cas, Luisa attrapera son avion

les trois types bourrés se sauveront; les amoureux poursuivront leur route (non sans s’être emparés d’une serviette de l’hôtel)

 

Mystery Train, un film de Jim Jarmusch (1989)

(les amoureux japonais, Yuki Kudo – c’est elle – et Masatoshi Nagase – c’est lui)

je me fais vaguement l’effet d’être instrumentalisé : les copies de ces films sont neuves, c’est une affaire de distribution sans doute en lien avec la présentation du dernier film de Jim Jarmusch présenté à Cannes il y a deux mois (c’est son treizième – le précédent, Paterson, était une merveille – on lira avec profit ce billet duquel je ne retirerai pas le moindre traître mot) , qui est sorti je crois bien mais que je n’ai pas vu. En revanche, j’irai sans doute voir Le Traître de Bernardo Betolucci, et probablement aussi le dernier de Quentin Tarantino. Bof, tant pis, c’est un réalisateur qu’on aime bien.

images (des) US

 

C’était ce dimanche et j’avançais sur les pas de ce type, là, Robert Smithson, qui avait le front de photographier avec un Instamatic, à la fin des années soixante, l’endroit où il vivait ou avait vécu (c’est un lieu de grande banlieue de New-York, non loin de Patherson (Jim Jarmusch, 2016) – cette affaire de cinéma hante toujours un peu, beaucoup, passionnément, cette maison(s) témoin, même si ce n’est qu’une appropriation qui m’embarrasse très souvent – mais comme le disait François Bon, ce dimanche-là, hier soir donc, un bulldozer nous est tombé sur la gueule, et on a appris la disparition de Philippe Rhamy. C’est toujours une affaire de mort, et la photographie fait partie tout autant du déroulement du temps que le reste des arts, ou si on préfère, des agissements de l’humanité qui tendent à la rendre, cette humanité, compréhensible, effective et sensible aux autres, aux semblables. J’avais des velléités : arrêter le cinéma que proposait Pierre Ménard dans son billet de Liminaire intitulé comme la magie le veut « Les ruines à l’envers ». C’est ce que j’ai fait, je m’amuse souvent à cette espèce de jeu – je cherche les endroits qui ont été capt(ur)és par le robot et je les arrange à ma manière, afin d’y tenter de trouver quelque chose de la réalité de mon moment (j’aime, par exemple, quand les images (me) sont belles, ou particulières ou évocatrices). Si on voulait entrer dans le pompeux, on pourrait dire qu’il s’agit de ma contribution à cet hommage anniversaire du site urbain trop urbain à ce photographe qui ne veut pas en être un (le photographe, pas l’hommage).

Je pose celle-ci comme exemple, mais aussi parce qu’elle dispose comme toutes de sa propre illusion, qu’on y voit sans doute quelque chose de visible mais que je n’ai pas vu, et pour la raison de l’apparition d’un animal, une espèce qui vit (vivait, a vécu, survit) sur une image morte (il s’agit du lac (très) salé de Larnaca, au coucher du soleil et quand il s’y trouve de l’eau…). Je l’envoie à Philippe comme je lui dédie ce billet. 

Le film arrêté: ce sont des plans fixes, alors une image d’eux en rend assez bien compte.

L’idée était de prendre en images des lieux particulier de cette petite ville, Passaic qui se  trouve à une cinquantaine de kilomètres, peut-être de New-York.

Dans le film (« A tour of the Monuments of Passaic » B. Colby Jennings, 2014) , il ne se passe pratiquement rien (sinon du temps et du vent qui siffle un peut, et donc qui doit passer, invisible et gratuit) (un peu plus de 6 minutes, pour six plans – ou plutôt sept, en comptant le plan double qui suit). A un moment, deux petites images ensemble :

puis

peu définies. Des lieux sans doute communs :

ce passage à niveau où un train passe une fois (on entend son avertisseur) il passe

(ce n’est d’ailleurs qu’une locomotive), puis une autre fois

dans l’autre sens, mais ici c’est assez impossible à voir (ou croire), puis encore deux fois (un effet d’humour probablement) puis un son à nouveau de l’avertisseur, mais point de train, une église

puis un croisement, un stop et à l’arrêt une voiture dont le clignotant fonctionne

mais elle n’avancera pas (il s’agit de la route 49 semble-t-il). J’ai trouvé les images assez éloquentes, sans être mobiles. Des images assez vides, disons.  J’ai regardé ensuite les liens de l’article Liminaire (j’avais commencé par le lire, images à l’appui comme il sied), et j’y ai découvert le parcours (les parcours, je crois) réalisé(s) par l’opérateur (en l’occurrence l’artiste Robert Smithson) en 1967 (un trente septembre) pour établir les photographies qui sont (si j’ai bien compris) portées et imprimées dans le livre (eh non, c’est un magasine) Artforum (si on suit le lien, on peut y voir les couvertures des divers numéros, un vrai plaisir) (ici la couverture et le sommaire du numéro où Robert Smithson a fait paraître -comme on dit – ses images – et un texte certainement (addenda du 11 10 2017 : le texte traduit par Anthony Poiraudeau, sur son blog si j’ai bien compris, se trouve ici).

 

J’ai suivi, début au nord (fin de B) fin au sud (début de A).

quelques travaux au parc Colombus (comme Christophe Colomb a quelque chose à voir avec ces débuts-là, allons-y gaiement) : au vrai je ne me suis pas documenté, mais je trouve quelque chose qui m’indique que ces Etats-Unis là ont quelque chose à voir avec ceux que moi-même je connais.

Central avenue, point deux, je suppose (la porte ouverte du taxi, le regard caméra flou des jeunes gens, le néon et la jeune femme semble-t-il derrière un écran et une vitrine, l’ouverture vingt quatre vingt quatre (les lois sociales, raciales, la crise de 29, tout le bataclan du travail et du capital)

on s’y croirait

Passaic en couleurs, Union avenue, feu tricolore dans les jaunes, numéros disproportionnés, visibles des autos je suppose, en tout cas il fait beau

un stade de football américain, à l’enseigne d’un indien (Boverini, kézako? je ne cherche point) (American stars and bars, flag), je crois me souvenir que l’homme Smithson se déplaçait en autobus (ou alors j’ai diffusé Patherson) mais ce qui arrive au passage suivant

est un hasard objectif (ici on avait le champ, là je pose le contrechamp – on garde le pont dans son dos, et on capture une image

quelques fleurs, un camion jaune…) : on prendra à gauche sur le pont

la rivière Passaic, le pont il suffit de le passer et on arrivera

le coin d’Union avenue et de Riverside avenue, pour terminer le voyage devant cette maison

De nos jours…

 

 

je trouve ici le texte paru dans Artforum, traduit par Anthony Poiraudeau : qu’il en soit remercié.

Marvin

(foin de trêve confiturière ou point, confite ou autre, je vais à la mine) (de deux fois de suite convoquer le cinéma étazunnien prouve la puissance de l’objet : dans le même mouvement, temps, dans la même italique, on voit bien aussi qu’on en est baigné et qu’il ne sert peut-être à rien de tenter de s’en éloigner) (je pense souvent à ces idées-là, la Syrie ou l’Irak, la Libye ou la Tunisie, ces façons de vivre, mourir, naître ici ou là, les rêves souvent en cauchemar voir la cabine d’un camion, savoir que derrière soi pousse la cargaison de trente six mille kilos et avoir confiance en ses freins lorsque la route descend d’une pente à six degrés) (ces temps-ci, je l’avoue, j’ai la gorge un peu âcre) (je cite)

 

La pure merveille des films de ce DjiDji ce sont les relations qu’il parvient à instaurer dans les couples qu’il dépeint, met en scène, montre, représente. Dans son précédent « Only lovers left alive » (2013), déjà le couple entretenait ce type de proximité magnifique qu’on aimerait tant parvenir à instaurer avec les personnes qu’on aime, c’est vrai, c’est chaud, c’est tellement doux et ensemble, l’impression de ne vouloir, des deux côtés que le bonheur de l’autre  (les grands mots sont lâchés, mais si le cinéma ne les employait pas, c’est qu’il serait devenu inutile) (il faut aussi savoir que l’utilité, en art, n’a rien d’une mesure – mais le cinéma un art, c’est une question qu’on se résoudra à ne pas à poser: ici, on fait en sorte de donner à voir quelque chose d’un film, il est dans le salon -ou le séjour – parce que c’est dans cette pièce-là que le drame se noue).

paterson-sur-le-canape

(quelques photographies sont copyrigth Mary Cybulski, réalisatrice américaine – et donc photographe – il n’y a jamais très loin non plus, comme on voit, de l’image fixe à l’animée). Laura est sans doute plus la maîtresse du chien que ne l’est Paterson (ici à l’image): lui est conducteur d’autobus

paterson

dans cette vile qui s’appelle Paterson comme lui (ou l’inverse). C’est une histoire qui a lieu sur sept jours.

Comme la genèse, hein.

(Je suis allé voir un peu ce Paterson, j’ai trouvé ceci

autobus-depot-paterson-nj

on dira qu’il s’agit du dépôt de bus dans la réalité (quelle est-elle ? je ne sais pas), en regardant un peu j’ai aussi trouvé cela

chutes-paterson

il s’agit des chutes d’eau qu’on trouve dans le parc historique de la ville – évidemment, je me suis renseigné pour savoir où Jim Jarmusch avait vu le jour -imagine-toi qu’il est de la même année que moi – et c’est dans une ville nommée Cuyoaga falls, chutes d’eau comme ici, les voilà

cuyaoga-falls

ce me serait assez égal, mais il se trouve que cette ville (style 50 000 habitants) se trouve dans la banlieue d’une autre, Akron, laquelle est en relation directe avec l’équipementier pneumatiques Goodyear, là où j’ai commencé à travailler à seize piges, ce qui resserre encore l’amitié que j’éprouve pour ce Djidji-là).

Je ferme la parenthèse.

Le type conduit son bus et écrit des poèmes.

paterson

Sa femme, elle, est entichée de noir et blanc (elle est adorable, tout comme lui)

paterson-et-laura

tous les matins on les trouve tous les deux (en plongée – magnifique) allongés dans leur lit -dans les bleus et blancs, dis-moi, tous les jours il va bosser, écrit trois lignes, tous les soirs revient, replace la boîte aux lettres (déplacée par le chien – tant pis, c’est dit) dîne avec Laura, puis

paterson-et-marwin

sort le chien (Marvin, ici son portrait

nellie-alias-marwin

derrière la salière blanche, la poivrière noire, dans cette petite maison que j’ai cherchée sans la trouver mais je suis à peu près certain qu’elle se trouve à Paterson) (en fait il s’agit d’une chienne, Nellie, à qui le film est dédié) (Nellie dans la vraie vie, tu vois ce que je veux dire) , puis croise ici un rappeur

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dans une laverie qui répète, il va boire une bière au bar, croise le patron, quelques connaissances, revient le plus souvent hors champ, en fin de semaine (pendant le week-end, si tu préfères), voilà que Laura vend des gâteaux qu’elle confectionne

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(même s’ils sont dans sa topique, on ne peut pas nier qu’ils soient magnifiques et c’est pourquoi) : elle les vend tous, gagne un paquet de dollars (286 si j’ai bonne mémoire) et invite son chéri à manger une pizza et au cinéma où ils vont voir une île du Docteur Moreau comme on n’en fait plus (Island of lost souls Ernest B. Shoedsack, 1932, version en noir et blanc évidemment) et ils rentrent à la maison (il m’a vaguement semblé que cette projection mettait en scène la jeune Laura, mais je ne suis pas complètement sûr).

Ca ne finit pas mal, ce ne sont que des mots (je ne dis rien, je ne veux pas dévoiler).  Il part se promener le lendemain

paterson_d09-0100

et sur ce banc rencontre un japonais (tout comme Ozu Yashihiro) qui lui fait un cadeau, devant les chutes de Paterson.

Ce sera tout.

Une merveille.

En dédicace spéciale (Noël, nouvel an, tout ça)  à Pierre Ménard, à Dominique Hasselmann, et à l’Employée aux écritures pour son commentaire (et par suite, à Brigitte Célérier).