Seul au salon

L’agent est venu pour rien. Ce matin, une alerte attentat a dissuadé les clients de venir en masse. Deux couples très renfermés ont fait la visite commune, au lieu de dix. Et ça a été tout.

Il est resté, lui, dans le salon, où la télé plus fausse que vraie est pourtant secrètement branchée, il suffit de glisser un DVD dans son lecteur intégré pour s’en convaincre. Mais les DVD des étagères, sont des faux décevants : de vieux films, des classiques, vus et revus. Alors l’agent a apporté un câble HDMI pour brancher son ordinateur et se perdre en haute mer avec Robert Redford sur un yacht trop léger pour l’océan Indien.

Ça commence comme ici, se dit l’agent, avec un container de baskets, perdu et dérivant. Le commerce heurte, ici, l’internationalisation des guerres aussi. Quelque chose détruit autre chose. Container, kalachnikov, finance, religion ; quelles différences ? Film sans dialogue, la solitude est complète, même avec lui-même. Seul jusqu’au fond de lui-même.

Les agents qui se relayent en cette maison témoin pour la vendre en exemplaires démoulés d’une usine imaginaire à maisons ne ferment même plus à clé. Le temps ne passe pas ici, sans cuisine, sans cris, et la poussière toujours faite. Quelque chose ne passe pas, il suffit de revenir pour le constater. Mais l’agent ne sait pas ce que c’est. Il se sent couler dans un eau claire, qui devient sombre, ne sait pas si c’est un rêve. Il s’enfonce dans le canapé et l’ordinateur se met en veille, déconnecté des nouvelles du monde.

Décision

Il feuilletait le descriptif exhaustif des fonctionnalités de la maison, les options possibles, les devis  variables pour la cuisine, la salle de bain. Il lisait aussi les procès-verbaux des conseils municipaux des communes où il pensait faire construire. Cela nourrissait des débats quotidiens dans toute la famille, de la même manière qu’au moment des élections, il prenait soin de lire chaque tract en détail, d’en souligner les points forts, et d’ouvrir en lui une conversation entre tous les partis, une conversation neutre et objective : il n’était pas question qu’une échéance électorale soit prise à la légère, ou avec mépris, et que son vote soit entaché d’une émotion personnelle. Toute la maisonnée en parlaient naturellement ensemble ce jour-là. Il appelait même ses parents pour avoir leur avis sur telle réforme ou engagement. Une fois décidé, et cela ne prenait que la journée, car l’indécision était pour lui le lit de tous les extrêmes, il ne gardait que le bulletin et le tract du candidat ou de la liste choisie. Il apparaissait sûr de lui au bureau de vote, où il chassait un dernier doute dans l’isoloir, et les tracts éliminés terminaient dans la poubelle jaune, et son bulletin dans l’urne. Pour la maison, c’était la même rigueur, la même difficulté à peser le pour et le contre, et sans doute la décision était-elle encore plus difficile, à ce prix-là, avec l’emprunt qui allait courir sur plusieurs quinquennats.
Voting day in a small town, Liz West. CC BY
Voting day in a small town, Liz West. CC BY