Centre de gravité

??????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????
La situation s’avérant particulièrement grave, je suis sorti de la pièce et j’ai tenté de me réfugier dans le débarras, en dépit de la gravéolence de cet endroit. Il était encombré d’un tas de paperasses entassées, journaux jaunis, gravures graveleuses, livres délivrés de leur reliure. Le sol de terre battue était inégal et parsemé çà et là de quelques gravillons. Je me suis emparé d’un ouvrage un peu moins abîmé que les autres : c’était l’ Astronomie populaire de Camille Flammarion, et j’ai commencé à lire quelque chose à propos de la gravitation. Puis les cris se sont fait entendre de plus en plus près et je n’ai plus pensé qu’à m’enfuir.

Dans la cave

Je croyais que personne n’avait encore eu la curiosité de descendre à la cave : je me trompais. En fait quelqu’un y est déjà allé, quelqu’une plutôt, et y a enterré un cadavre. (Cf. le texte intitulé « Cave » dans la catégorie « Cave »). Qu’y faire d’autre, en effet.

7114jUyPAoL

Sauf erreur de ma part – et j’ai déjà démontré ma capacité d’erreur – les caves apparaissent pour la première fois, dans le livre de Georges Perec La Vie mode d’emploi, au chapitre XXXIII de la 2e partie (page 201 de l’édition de poche, sur mon exemplaire qu’à ma grande  satisfaction, j’ai retrouvé du premier coup). Il y décrit les caves de la famille Altamont (stockage de réserves de produits parfaitement  organisé) et celles des Gratiolet (« des rebuts que personne n’a jamais rangés ni triés »).

Perec a déjà pourvu son livre d’un index des noms cités, d’une chronologie s’étendant de 1833 à 1974 et d’une liste des principales histoires racontées dans cet ouvrage. De manière assez perverse, je me demande si l’on ne pourrait pas concevoir de nouveaux outils qui permettraient d’autres voies de circulation dans le roman. S’enfermer dans la cave pour les inventer.

Sinon, je possède de mon côté une foultitude d’objets inutiles que ma tendance compulsive à tout garder m’empêche de jeter, et que je pourrais avantageusement entreposer dans la cave de la maison témoin.

La travailleuse

travailleuse-pied-marron

Qui donc a laissé cette travailleuse dans la plus petite
des chambres ? Le nom de cet objet, mi-panier, mi-meuble,
m’est revenu en le voyant. Son bois verni est à peine éraflé.
Trois étages de compartiments articulés et superposés se
dévoilent aux yeux émerveillés des petits enfants de 1930.
Méticuleusement rangés, ils contiennent des bobines de fil
de toutes couleurs, des ciseaux de toute taille, des épingles
avec leur pelote de velours fané, des aiguilles alignées en rangs
parallèles sur le porte-aiguilles de feutre orné d’une application
florale, des boites transparentes de crochets et de boutons-pression, des longueurs de ruban, de biais et de gros-grain
enroulées sur elles-mêmes, des craies de tailleur ébréchées
par l’usage, vieux rose ou gris-bleu. La couturière assise
devant sa machine Singer attire près d’elle la travailleuse
montée sur ses petites roulettes et puise dans ses entrailles le
matériel nécessaire au chantier du jour. Elle pousse un soupir
et lance le piquage en actionnant la pédale plate et ajourée
qui se balance d’avant en arrière. Combien de temps est-elle
restée enfermée dans la maison-témoin ? Et qu’est devenue
sa machine à coudre ?

Boite à outils

Je me suis éveillé au milieu de la nuit, en proie à une interrogation lancinante. Dans quelle pièce avais-je rangé la boite à outils ?
La logique – mais celle-là est souvent aux abonnés absents – aurait voulu que je la mette dans le cellier. Il est curieux, soit dit en passant, que la maison-témoin comporte un cellier, enfin c’est curieux pour moi, car dans mon esprit le mot cellier a des connotations rurales, or la maison-témoin est située en milieu urbain, c’est inévitable, elle se trouve dans un de ces lotissements auxquels les promoteurs donnent des noms bucoliques.

Tiens, qu’est-ce que je vous disais, l’ATILF, qui n’est pas un dictionnaire de pacotille, donne comme définition du cellier : « A. Pièce en forme de hangar attenante à une maison ou au rez-de-chaussée d’une maison et où se presse le raisin et se conserve le vin. B. Pièce fraîche, généralement non voûtée, située au rez-de-chaussée d’une habitation ou en contrebas ou attenante à celle-ci, servant à conserver du vin et des denrées alimentaires. » (Je vous passe les sens métaphoriques faisant référence au Cantique des Cantiques).

Tout ça est bien joli, mais ça ne me dit pas où j’ai laissé la boite à outils. Pourtant elle est indispensable et je sens que si je ne la retrouve pas, je vais me faire taper sur les doigts. Qu’est-ce qu’il y a dedans ? Mais tout ce que doit contenir la boite à outils témoin :

« clef plate de 6 à 19
clef mixte 8 à 19
clef à cliquet de 13 et 17
douille 6 a 32 + clef à cliquet
jeux de clef btr métrique et pouce
jeux de clefs torx
pince coupante
pince multi prise
petite clef à griffe
pince à bec
clefs à molette (petite moyenne grande)
tenaille russe
coupe boulons
mini marteau marteau moyen arrache-clou masette taraud + filière m8 à m12 métrique
boite de forets
petite perceuse
2 petits serre-joint
un mètre
un pied à coulisse
un niveau
une petite lampe de poche. »

Que faire ?

Courrier en souffrance

Quel genre de courrier arrive dans la boîte à lettres de la maison-témoin ?

Pas grand chose, vous allez me dire, de la pub, du junk mail en bon français. Les feuillets sur papier glacé aux couleurs criardes, constellés de points d’exclamation, s’accumulent dans la boîte jusqu’à ce qu’un triangle de papier en dépasse et qu’on ouvre la boîte pour la vider.

Qui détient la clef de la boîte à lettres, d’abord ? Lequel de nos agents ? Si nous avons une agence, il y a aussi des agents.

Il n’y a pas que de la pub. Voici une circulaire de la mairie, rédigée dans un style administratif tellement abscons qu’on ne comprend même pas de quoi il s’agit. Une carte postale de Douarnenez, l’expéditeur s’est sûrement trompé d’adresse, il croyait la savoir par cœur, eh bien c’est raté. Elle est adressée à Monsieur et Madame Flachet et le texte dit : « Bonjour tout le monde ! Vous n’allez pas me croire mais il fait beau ! La Bretagne, c’est plus ce que c’était. Grosses bises » et c’est signé, diable c’est difficile à déchiffrer, peut-être Nadine, ou peut-être Christiane, allez savoir.

Il y a aussi cette lettre pour lui, qu’elle a déposée dans cette boîte au hasard, puisqu’elle ne connaît pas son adresse. Elle sait qu’il n’y a aucune chance que la lettre lui parvienne ainsi mais c’est mieux que de ne pas l’envoyer du tout. Elle sait qu’il n’y a aucune chance qu’elle le revoie un jour mais c’est mieux comme ça.

Les sortilèges du vestibule

Une fois la porte refermée – et si j’avais eu mon mot à dire, on n’aurait sûrement pas utilisé ce type de bois pour la porte – il est difficile de décider dans quelle direction on va aller.

Le vestibule ne donne pas sur toutes les pièces et il semble justement vous empêcher d’aller dans certaines d’entre elles.
En fait il ne donne rien, justement, il reprend au contraire, il reprend le contrôle des opérations et l’on se retrouve perdu, ahuri, comme si on vous avait amené là les yeux bandés.

Poussé par des forces inconnues, on avance sans rien voir jusqu’à la terrasse. Rester sur la terrasse, c’est aussi une manière de ne pas entrer dans la maison, pas encore. On pourrait aussi aller dans le grenier ou dans la cave (c’est important, la cave). L’escalier qui monte vers le grenier et celui qui descend vers la cave sont symétriques comme dans un dessin d’Escher. Vos pieds immobiles dans le vestibule forment le pivot à partir duquel le dessin s’organise.

En attendant, le vestibule a gagné, comme toujours.

première approche du sujet

d’ailleurs, votre irritation ne changerait pas grand-chose
le moment du départ était venu
sans doute la seule action véritable qui a lieu ici
leur laisser la bride libre
une table où poser nos livres en cours
un réfrigérateur qui s’allume quand on l’ouvre mais ne refroidit pas
c’est une couverture parfaite
tout ce qui fait perdre du temps d’une manière générale
la lenteur de la satiété remplacée par l’esthétique du décor
peut-être, on est pris de vertige mais, nous autres, nous n’en avons cure,
le mystère ne sort pas de ses gonds
cette maison… vais penser à elle comme à une toile blanche
encore que je me demande un peu ce que je fais ici
pour qu’elle abandonne cette grâce indifférente
quand lui est arrivé en avance et attend tranquillement