Maison fermée, suite

La maison est toujours fermée. Les occupants sont invisibles. Ils sont enchaînés à leur ordinateur, tapent tapent tapent frénétiquement sur le clavier, recherchent des choses dont ils n’ont pas besoin, s’indignent, se consolent comme ils peuvent avec des vidéos de chats qui jouent à cache-cache. Ils sont couchés avec la couette remontée au-dessus de la tête et la consigne que personne ne leur adresse la parole. Ils sont dans la cuisine en train de préparer des recettes compliquées, le livre de cuisine est ouvert sur la table avec un presse-papiers en métal argenté en forme de coquillage pour le maintenir ouvert à la bonne page, le livre de cuisine n’est pas le bon, le bon a disparu à la suite d’un dégât des eaux et ne s’est jamais retrouvé pour cause d’épuisement.

La maison soupire, elle en a assez de ses occupants maussades et toujours présents, pendus au téléphone et qui se disputent à propos de Nathalie Sarraute. Les portes claquent mais personne n’entre ni ne sort, Baudelaire regarde par la fenêtre et tente de faire entrer les nuages en loucedé dans le cellier qui n’en peut mais. Les arbres ont perdu leurs feuilles et mis la tête sous l’aile pour attendre le printemps, le retour de Dante Alighieri, la Vita Nova !

allez allez

en fait l’idée c’est de faire ce que l’on fait
avec plus ou moins de bonheur
plus ou moins de chance
plus ou moins de sérénité et de ténacité
plus ou moins de questionnements
sans oublier que nous ne sommes pas des îlots ou des gardiens de phare, faire c’est aussi regarder ce que font les autres avec plus ou moins de hardiesse, plus ou moins de vilenie, plus ou moins d’âpreté, plus ou moins de courage et/ou de cohérence
le faire des autres vient heurter s’engouffrer s’insinuer saupoudrer pénétrer notre faire à nous
et c’est ce qu’on garde de ces poudres de ces poteaux ou ces tenailles qui compte
par exemple j’ai lu cet homme qui dénonce ceux qui sont fiers de leur hideur
j’ai vu ces sit-in
ces armes maniées à la cow-boys
ces pelleteuses que des bras sans force repoussent, bras accablés
ces têtes hautes qui refusent de s’asseoir au fond du bus, qui refusent que les noyés se noient
faire, ce n’est pas difficile
faire, c’est impossible
c’est entre ces deux plateaux de la balance que son propre visage se sculpte en trois dimensions
et dans ce faire il y a aussi l’insu
ce qui survient et n’était pas prévu
parler de cinéma, ce n’est pas parler de cinéma, c’est parler des gens de comment ils vivent de comment ils sont vus de comment ils se voient de ce qui est proposé dans le faire
on peut se placer en vigie
on regarde ou on tourne les yeux
on fait comme ça nous chante
et parce qu’on fait ce qui nous chante ça sonnera toujours assez juste
(l’idée)
parce que les idées, ce ne sont pas des concepts, ce sont des corps
les rêves de piscines vides n’existent pas
ou bien c’est que les boutiquiers ont gagné ?
les boutiquiers à cols blancs dont les suv possèdent un pare-chocs anti rhinocéros en centre-ville ?
non les rêves de piscines vides n’existent pas
hop
inutiles
et déjà envolés
allez allez, ne traîne pas dit la voix, tout va bien

Alimentaire

 

 

Il s’agit juste d’une sorte d’épicerie – si j’ai bien compris, je ne suis pas complètement certain, je n’ai pas posé de questions (je n’en pose jamais dans ce genre de réunion, en même temps) – réservée aux coopérateurs : ils ont le droit d’acheter des légumes, des produits type fromages etc. et entretien aussi semble-t-il dans la mesure où ils donnent quelques heures de leur temps tous les mois (un peu moins de trois heures je crois bien) (et aussi une centaine de dollars d’inscription, il m’a semblé).

le magasin, capturé par le robot, juin 2009 (devant l’entrée le bénévole -gilet jaune fluo –  qui aide à porter les sacs) 

Ca se passe à New-York, quartier Brooklyn, sous quartier Park Slope entre la 4° avenue et Union street. Apparemment, d’après le film (vu au cent quatre à Pantin- je crois que la maison(s)témoin devient une succursale de ce cinéma-là- entrée libre, salle assez emplie, notamment du fait du début de la « semaine du développement durable » qui commençait hier), le quartier est en phase d’embourgeoisement avancé (on entend ici des gens qui nous donnent des explications sur ce changement dans ce quartier – moi j’y ai vu Belleville et Oberkampf, mais chacun voit midi à sa porte à ce qu’on dit). On fait attention à ce qu’on mange, et aussi à combien on paye pour ces produits de bonne qualité. On a, preuve à l’appui, comparaison faite avec les mêmes produits vendus sous d’autres enseignes, l’évaluation des gains en argent réalisés.

l’épicerie en mai 2011 (apparemment fermée, on attend l’ouverture; sur le banc, assis, deux bénévoles qui attendent aussi de pouvoir raccompagner les clients au besoin : il s’agit d’une des possibilités pour parvenir à devenir client du lieu)

Le film (documentaire d’assez bon aloi) intitulé « Park Slope Food Coop«  est réalisé en 2016 par une personne qui a réalisé le même type de produit, d’épicerie, de lieu dans le dix huitième de Paris, association nommée « La Louve » (supermarché autogéré, ici) (ouverture automne 2016 dit wikipédia bizarrement mais il me semblait connaître le lieu avant). Il s’agit (sans doute) de quelque chose comme du prosélytisme : une réalité sociale de notre monde moderne.

l’épicerie en octobre 2013 (à droite cadre sans doute la remise sous la marquise verte) (l’adresse est 782 Union street donc)

Comme d’habitude, ce type de dispositif n’a pas non plus tellement besoin d’écho : il semble que la situation de ce commerce se tienne assez bien (celui de Brooklyn est installé là depuis 1973 : on entend les précurseurs raconter leur histoire, sympathique et donc, édifiante – la photo d’entrée de billet, c’est eux). De nos jours, il s’agit de notre santé donc. Dans ces temps où les végétaux semblent prendre une certaine importance dans l’alimentation des jeunes gens (je n’en suis plus mais des vieux aussi) (j’en suis, ça va aller) : on fait attention donc, à son (petit) intérieur.

en septembre 2014

(la bénévole qui raccompagne les clients pour les aider a repéré le robot) les enfants sont là, le monde US donc, il fait assez beau (dans le film il pleut, c’est Noël, il neige même). L’important est sans doute plus dans le fait que les flux de produits sont réalisés avec des producteurs locaux et que ces produits peuvent profiter à des personnes dont les ressources sont moindres – produits non nécessairement bio (organic in english) mais achetés avec l’aval des divers coopérateurs – du fait des coûts réduits de la main d’oeuvre, et de la mise en place d’une marge de 20 pour cent unique sur tous les produits.

en novembre 2016

Franchement, les documentaires et moi, nous ne sommes pas très amis (que ce mot a perdu de son sens…) : cette chronique pour signaler ce film, mais surtout pour indiquer ce quelque chose de la mode (peut-être est-ce  cette mode du documentaire qui me fait un peu ne pas goûter le genre ? je me souviens de « Nanook l’esquimau » (Robert Flaherty, 1922) ou des « Trois soeurs du Yunan » (Wang Bing, 2012), ou même de ce « Camion » (Marguerite Duras, 1978) qui peuvent expliquer aussi mon peu de goût pour ce mode narratif)  indiquer ce quelque chose donc qui se passe aujourd’hui dans la haine qui monte (ça commence quand même à faire vingt ans…) pour la grande distribution, la consommation à outrance suremballée et tout le kit qui nous vient de ce merchandising d’outre-atlantique.

On résiste, alors ? (ici, nous autres avons pour nous, cependant, encore, l’appétence pour la gastronomie…)

Food coop, un film de Tom Boothe, 2016.

Photos: courtesy of GSV.

Boite à outils

Je me suis éveillé au milieu de la nuit, en proie à une interrogation lancinante. Dans quelle pièce avais-je rangé la boite à outils ?
La logique – mais celle-là est souvent aux abonnés absents – aurait voulu que je la mette dans le cellier. Il est curieux, soit dit en passant, que la maison-témoin comporte un cellier, enfin c’est curieux pour moi, car dans mon esprit le mot cellier a des connotations rurales, or la maison-témoin est située en milieu urbain, c’est inévitable, elle se trouve dans un de ces lotissements auxquels les promoteurs donnent des noms bucoliques.

Tiens, qu’est-ce que je vous disais, l’ATILF, qui n’est pas un dictionnaire de pacotille, donne comme définition du cellier : « A. Pièce en forme de hangar attenante à une maison ou au rez-de-chaussée d’une maison et où se presse le raisin et se conserve le vin. B. Pièce fraîche, généralement non voûtée, située au rez-de-chaussée d’une habitation ou en contrebas ou attenante à celle-ci, servant à conserver du vin et des denrées alimentaires. » (Je vous passe les sens métaphoriques faisant référence au Cantique des Cantiques).

Tout ça est bien joli, mais ça ne me dit pas où j’ai laissé la boite à outils. Pourtant elle est indispensable et je sens que si je ne la retrouve pas, je vais me faire taper sur les doigts. Qu’est-ce qu’il y a dedans ? Mais tout ce que doit contenir la boite à outils témoin :

« clef plate de 6 à 19
clef mixte 8 à 19
clef à cliquet de 13 et 17
douille 6 a 32 + clef à cliquet
jeux de clef btr métrique et pouce
jeux de clefs torx
pince coupante
pince multi prise
petite clef à griffe
pince à bec
clefs à molette (petite moyenne grande)
tenaille russe
coupe boulons
mini marteau marteau moyen arrache-clou masette taraud + filière m8 à m12 métrique
boite de forets
petite perceuse
2 petits serre-joint
un mètre
un pied à coulisse
un niveau
une petite lampe de poche. »

Que faire ?

Dans la buanderie

Il pleut, ça n’en finit pas, comme cet après-midi qui se traîne.

Le terrain, la rue, sont torrent et flaques, et même ici, où me suis réfugiée, pour m’éloigner de la contemplation morne des vitres battues d’eau, la pluie, son bruit un peu atténué, ne me quitte pas et je ne peux m’empêcher de lever la tête vers le petit fenestron (cette manie que j’ai de chercher les mots qui adoucissent !) rayé par l’averse.

Il pleut, personne ne viendra, et pourtant j’aimerais tant – oh ce n’est pas pour la boite, même si, parait-il, les ventes viennent au compte-gouttes (et le pensant, je sens que je ris, un peu, mécaniquement.. pas si mal, même si c’est ricanement) – mais tout plutôt que de ruminer, parce que non je ne pense pas, je ne veux pas, dès que les idées, l’idée plutôt, se dessine, je bifurque… alors ne reste que la pluie, mais elle est trop éternelle pour me distraire.

Faire attention à ce qui m’entoure, oui…

comme le sol, le ciment qu’est bien dur sous mes fesses et le manteau bien tiré pour éviter de le froisser.. et puis comme le contact de la machine, le cercle qui saille et me rentre dans le dos, je bouge un peu, je joue avec la sensation des aspérités…

Et puis mes chaussures devant moi, et leur usure qui se voit vraiment trop.

J’ai puisé dans mon sac le livre qui y traîne pour m’isoler dans le métro, l’ai ouvert, l’ai fermé.. le Banquet c’est trop ou pas assez pour ma peine (pas ce mot, tu vas lâcher prise) pour que mon état d’esprit s’y accroche..

Comme j’ai risqué un mot interdit, comme je sens que je deviens humide, molle, le réflexe, je chantonne… faux bien sûr… au risque de faire pleuvoir et j’en souris.

Il me semble que la lumière faiblit.

Je regarde ma montre.. plus très longtemps… je prends un bonbon.