(ici la douche)

salle de bain 1

salle de bain 2

salle de bain 3

Ici la douche ne fait pas fonction de douche, ni la baignoire de bain.  Ses remous ne sont que des promesses de remous au futurs, ultérieurs, les canalisations sont vides. Le lavabo est courbe, les robinets sont courbes, les sels de bain scintillent dans des fioles courbes, larges ou oblongues, tout est courbure et confortable, sans risque de coupures. On reste intact en entrant dans la douche qui ne fait pas fonction de douche, en caressant le bord de la baignoire qui n’est pas bain, et même la glace renvoie une image courbée, le miroir légèrement convexe amincit les silhouettes aux hanches, on reste intact, identique à l’image mentale qu’on se renvoie soi-même, plus mince que l’autre (celle de nous étrangère, dans les vitres d’immeubles intransigeantes).

Des serviettes de bain sont suspendues, moelleuses et douces éternellement. Les serviettes ne sèchent pas, les gants ne mouillent rien, parfaitement assortis au décor de galets qui ne connaissent de la mer que sa reproduction, image renvoyée sur du verre, photographiée, l’intensité, la luminosité réglées, et reproduite sur du papier, glacé, mat, satiné, une mer déclinée de l’image d’une autre, elle-même produite par une autre, une mer fractale. Et la forêt n’est pas une forêt d’arbres.

Ici on peut amener des questions simples : combien ? quand ? quels paramètres ? (dimensions, options, coloris) Ce sont aussi des questions courbes, caressantes, confortables, qui n’auraient jamais vu la mer. Des questions fluides et sinusoïdales, complexes (coloris nuancés, options listées,  des dimensions décroissantes ou croissantes et les prix), questions qui reproduisent l’image courbe et douce d’autres questions, elles-mêmes convexes, amincies, contrôlées (une fois que les questions entrent dans une aire fractale elles ne demandent plus rien).

On sort d’ici avec des questions douces, moelleuses et courbes, confortables. Ici l’eau ne coule pas des robinets, ce qui évite les questions pièges ou harassantes, on ne se demande pas si quelqu’un quelque part a soif. Si quelqu’un quelque part fait naufrage. Si quelqu’un quelque part ploie, tombe et se noie. On ne peut pas se le demander car les joints ici sont étanches.

Et si la nuit quelqu’un venait taguer les murs, tracer en rouge des lettres sur le carrelage blanc, en noir des lettres sur le carrelage gris, des lettres coupantes, tranchantes, par exemple un message qui dirait « Quelqu’un quelque part a soif »,  ou « Quelqu’un quelque part fait naufrage », ou « Quelqu’un quelque part ploie, tombe et se noie », il est fort possible que la texture particulière du revêtement saurait dissoudre toute tentative de rébellion massive, tout inconfort, déséquilibre dans les options, nuances et coloris, prix croissants, décroissants et les courbes. C’est comme ce mot « témoin » dans une maison témoin, ce qu’il nous force à ne pas regarder,  comme si le miroir qui renvoie une image déformée, la douche qui ne fait pas fonction de douche ni la baignoire de bain s’étaient fait pousser de grandes mains courbes et moelleuses qui venaient enserrer nos tempes et nos mâchoires pour que nos têtes se tournent en direction d’images d’images, leur intensité et luminosité en règle, reproduites sur du papier glacé, mat, satiné (pas de chute, pas de risques, rien qui tombe).

Ici la douche mesure l’écart, elle fait fonction de référent. C’est le modèle à reproduire, le quadrillage où glisse la translation. Et sa dictature est très douce, tout en courbes, confortables (pour trouver les images uniques, intransigeantes, on traque les reflets).

salle de bain 1 prim

salle de bain 2 prim

salle de bain 3 prim

 

 

Boîte en forme de cœur

Louer des appartements pour qu’à chaque voyage on ait, en choisissant un environnement spacieux, accueillant, chaleureux, et vivant, avoir l’impression d’être un peu chez soi dans un lieu qu’on découvre pourtant. Un catalogue en ligne me permet d’en visiter dans le détail l’ensemble des pièces, de jauger le confort, la luminosité, le volume des espaces, leur circulation, le voisinage également, à l’aide des photographies de l’extérieur prises depuis les fenêtres, les images manquantes de l’intérieur sont souvent révélatrices des défauts cachés de l’appartement, mais généralement le nombre important de photographies permet de se faire une idée plutôt juste de l’appartement.

Il y a quelques semaines, je découvre que l’appartement, où a vécu, entre 1991 et 1992, Kurt Cobain, le chanteur du mythique groupe Nirvana et sa compagne Courtney Love, est à louer, dans le quartier de FairFax à Los Angeles, à la semaine ou au mois sur airbnb.

La salle de bain de cet appartement est l’endroit où Kurt Cobain aurait écrit le titre Heart-Shaped Box (boîte en forme de cœur), issu de l’album In Utero. Quelque mois plus tard, Cobain et Courtney Love, alors enceinte de leur fille Frances Bean Cobain, décident de quitter les lieux à cause d’une fuite d’eau qui aurait abîmé les écrits et les guitares du chanteur.

« She eyes me like a pisces when I am weak

I’ve been locked inside your Heart Shaped box for weeks

I’ve been drawn into your magnet tar pit trap

I wish I could eat your cancer when you turn black »

De quoi cette maison a-t-elle été le témoin ?

 

Sortie de bain

 

salle de bain 1

 » C’est le père Pirrone, qui dit que c’est urgent… »

L’homme (c’est le Guépard) bougonne : « qu’il entre…! » , sort de l’eau tiède

salle de bain 2

(si ‘l’Employée aux écritures vient par ici, je lui dédie ce papier peint) (d’ailleurs, c’est un paravent) (il irait bien aussi chez un des héros du propriétaire de l’horloge comtoise) (mais je m’égare)

l’homme (c’est un prince) pense à part lui : « que me veux ce (WTF) ecclésiastique… ? »

salle de bain 3

il sort de la baignoire, il vient de parcourir, en cinq ou six jours, la campagne sicilienne, voitures chevaux bruits de guerre et violences, dormant dans des auberges immondes, sous une chaleur caniculaire, et voilà que ce prêtre

salle de bain 4

est surpris par la nudité du Prince qui n’a rien à cacher au Créateur et encore moins à ses représentants ici-bas

salle de bain 5

non, il ne savait pas mais c’est énervant quand on a l’habitude d’être servi de ne pas trouver au sortir du bain le vêtement approprié

salle de bain 6

dit le Prince au prêtre, et encore d’autres choses du genre : « vous qui avez l’habitude de la nudité des âmes, celles des corps est bien innocente, allons padre, le peignoir… » puis très vite, l’autre ne comprenant pas :

salle de bain 7

le prêtre le couvre du linge lourd et le sèche, s’approche, et le Prince, sans sourire (ce n’est pas drôle) :

salle de bain 8

Il est complètement anormal qu’on me trouve ici : on ne me voit pas, tu me diras, puisque je suis probablement dans un des placards qu’on ne distingue pas d’ici ou encore dans l’une des malles des nouveaux arrivants, peut-être (cette idée d’appeler cette pièce « salle d’eau » vient de qui ? on ne peut pas aller jusqu’à « salle de bains » non ?  ce type de lieu, témoin de quoi jte le demande, furieusement classe moyenne, médiane, commune, ni tout à fait complètement pauvre, crédit vingt cinq ans et au bout de ces vingt cinq ans, plus rien, les placoplâtres fichus, les fenêtres et les joints éventés, j’en passe des meilleurs des pires, c’est aigre aujourd’hui, pourquoi ce dégoût ?) je suis blanc, propre et sec : le prêtre, peut-être négligé dans cette lointaine campagne, le Prince qui va se parfumer, après ses jours dans la poussière et la chaleur, il me faut la photo de son visage, il y a peut-être une heure, quand il est arrivé à Donnafugata lorsque la messe en son honneur est dite, il me la faut parce qu’elle dit ce que c’est que d’être un acteur de cinéma, même si elle est trouble, sans doute parce qu’elle est trouble, elle dit (ne le dit-elle qu’à moi ?) ce que c’est que d’être un acteur du Nouveau Monde qui joue dans l’ancien, l’Histoire, la constitution de cette Italie, en mille neuf cent soixante trois, adaptant le livre date de mille neuf cent cinquante huit, et qui donne les événements de mille huit cent soixante

Burt

le Prince Salina, don Fabrizio, Burt Lancaster, trapéziste dans sa jeunesse, ici voyant le monde devant lui changer, changer pour que tout reste comme avant et que rien ne change…

SdB

Apparemment, la salle de bains (SdB) est occupée, il faut dire que les locataires sont de plus en plus nombreux. On aurait peut-être dû chercher un loft, il y a tant d’usines qui ferment et dont on peut acheter les locaux pour une bouchée de pain.

Je ne peux m’empêcher de penser, quand j’écris SdB, à cette photo que « Le Nouvel Observateur » publia en « une » de couverture le 3 janvier 2008 et où Simone de Beauvoir apparaissait dans le plus simple appareil (un Leica, en l’occurrence).

Hier, lors d’un espace de temps libre, je suis entré dans la salle de bains, elle possédait bien sa petite armoire à pharmacie avec la glace centrale et les deux latérales.

Je me suis donc regardé de profil : à gauche, j’avais le nez droit (normal), à droite, j’avais le nez courbe. Ma première réaction fut de penser que j’avais un problème de vision ou que le verre était vraiment mal nettoyé. Mais je renouvelais l’expérience : le résultat était le même, j’avais beau changer les angles de vision, les glaces me renvoyaient deux images différentes de moi-même.

C’est bizarre, car j’aime les nez courbes chez les femmes (je repense à celui de la chanteuse Barbara, une découpe d’aigle noir), mais jamais je n’aurais pensé pouvoir disposer ainsi de deux profils radicalement opposés.

Il restait une autre réponse possible : quelqu’un avait usurpé mon identité – ici on croise beaucoup de monde, parfois des inconnus – et se jouait ainsi de ma présence. Quand on me croyait à la salle de bains, j’étais dans le salon, quand on m’attendait pour déjeuner dans le séjour, je graissais la chaîne de ma moto dans le garage.

Je finis par penser que je traiterais cette énigme une autre fois : j’ai beau posséder un H au début de mon nom, je ne suis pas, me semble-t-il, un cousin germain de Sherlock Holmes.

SdB 2.6.15_DH(photo : cliquer pour agrandir.)

Où le quotidien commence et finit…

Imagine une vie où chaque réveil serait un peu plus serein. Le plus vite possible : c’est le seul moyen pour s’en sortir. Où il serait un peu plus facile de penser, de se relaxer, de se préparer. Il faut éviter cette uniformisation du style à laquelle nous assistons. C’est ce qui arrive quand tu passes une excellente nuit. Garder la bonne note, ce n’est pas le plus compliqué, mais garder la bonne mélodie, c’est une autre histoire. Chaque nuit. Mais on ne joue pas de rôle, on se joue soi-même. Et une belle façon de commencer la journée. Ils m’ont tout pris, je suis debout, mais je n’ai plus rien. Nous n’avons aucun contact, mon téléphone, tout ! ils ont tout pris. Regarde, tu peux me voir, je suis debout, devant toi. Tous les jours. C’est pour cela que dans le catalogue de cette année, nous nous concentrons sur la chambre et la salle de bain, avec des idées et de l’inspiration pour rendre la routine matinale plus tranquille et les nuits de sommeil plus douces. Je pardonne mais je n’oublie pas.

Ta salle de bains en voit souvent de toutes les couleurs – elle doit donc être pratique et robuste, pour continuer de te plaire durant de nombreuses années.

Ils achètent un bout de l’histoire. Un lien avec un projet, un artiste, une entrée dans une communauté.

 

* Les parties du texte en italiques sont extraites du journal Le Monde du dimanche 30 mai / Lundi 1er juin 2015.

la baignoire

Là non plus la femme n’a rien dit – j’ai envie de la secouer pour qu’elle abandonne cette grâce indifférente, parce que, certainement, elle n’en pense pas moins, mais quoi ? et comment puis-je rebondir, moi? -, mais je l’ai vu passer de l’éberluement à un petit sourire flatté en s’imaginant dans cette baignoire juste un peu hors normes.. ah bon elle est du genre je voudrais pouvoir, je voudrais avoir…

Mais, enfin, il y a eu le fou rire des deux gamins, le petit voulant grimper dedans, la mère se précipitant

et puis lui, derrière, et sa petite moue

Alors, comme d’habitude c’est à lui que j’ai parlé, que j’ai précisé que, bien entendu, les appareils, comme le carrelage – elle a relevé la tête tous en soulevant son fils pour l’arracher à ce nouveau jouet – sont en option, qu’ils peuvent consulter, sur le livret, dans l’entrée, les différentes possibilités.

Et elle est sortie de son mutisme, enfin… il faut croire que la salle de bains la touche plus intimement, qu’elle se permet une opinion, qu’elle ose ne pas se conformer aux derniers diktats, et d’une voix un peu hésitante, comme quand on avance un orteil pour tester la température de l’eau, la fermeté du support

  • j’aimerais bien une teinte plus douce.. ou peut-être plus lumineuse… faire entrer l’air… j’ai vu chez une amie un lavabo jaune, je sais c’est assez peu habituel… mais pour les carreaux, qu’en pensez-vous et unis, bien sûr, avec juste une rangée un peu sous le plafond, oui une rangée rose, mais pas rose jambon, rose ocré… oui ce serait bien
  • je ne suis pas tout à fait certaine que la palette proposée le permette, mais cela me paraît vraisemblable, attendez je vais chercher la documentation
  • et pour la baignoire, un truc ancien avec des pieds.. je sais qu’on refait cela

Bon elle n’est pas complètement insensible aux tendances – hé ma fille ! Qui l’est ? – simplement c’est une autre école…

Je sors, en pensant elle est ferrée et la petite fille me suit, nez levé vers moi… Si ça continue je vais la garder.