Exposition

Parfois quelque fois de temps en temps je laisse mes doigts agir pendant que ma tête digère

dilapidation disruptive

Il y a une sorte d’hystérie en ce moment avec ce qui se passe, je dis ‘en ce moment’ mais ça commence à faire, je dis ‘ce qui se passe’ au sens large, ce n’est pas réservé à une sphère particulière spéciale spécifique etc., vu que ce qui se passe au sens large te dit des choses au sens large qui t’atteignent au réveil chez toi, comment sortir comment ne pas tomber malade, où aller et est-ce que c’est autorisé d’aller acheter les chaussettes pour le petit dernier, bref le mot que je cherche est quotidien, ça touche au quotidien

Je passe sur le fait que la parole n’est pas égale et que, de loin, à vue de nez, à ouïr d’oreille, on a l’impression que ce statut est partagé (rester chez soi en se posant des questions existentielles sur le sens de la vie tout en relisant Proust et en faisant soi-même son pain serait une pratique commune), ce statut serait significatif symbolique, à se demander quels petits corps magiques aux mains magiques et transparentes te donnent ton ticket de caisse

Ce qui se passe en ce moment a une couleur et surtout une rapidité et une texture papier de verre incontestable
La couleur je ne sais pas, si je demande autour de moi elle est plutôt très moche

La rapidité c’est que tout s’enchaîne s’escalade brinquebale breloque palpite en ribambelles de dominos jetés à travers la pièce, si je prends deux minutes pour regarder ça me fascine

Parfois c’est une tragédie grecque ou du Labiche ou un chapitre du Prince de  Machiavel, il y a du mensonge des postures et des sous-entendus des tractations internes des négations intempestives des réactions épidermiques enfantines – de gens qui sont plus vieux que moi parfois, comme quoi

Il y a beaucoup de violence beaucoup beaucoup de violence les rézos les rézosocios c’est sûr mais est-ce que c’est certain, je veux dire est-ce qu’ils ne sont pas le symptôme de la maladie ou comme on dit la pointe de l’iceberg (iceberg, banquise fondue, à ce propos dans ma ville les branches de sapins coupés couvertes d’une mousse blanche chimique polystyrène décorent les rues, c’est une camionnette de la mairie frappée d’un logo écoresponsable qui les décharge)

Je crois qu’il y a beaucoup de violence parce qu’il y a une contradiction géante quelque part qui flotte là-haut

Par exemple donner la parole à de plus en plus de gens mais ce sont toujours les mêmes qu’on entend

Oui je ne dis pas « donner la parole à de plus en plus de gens et en même temps ce sont toujours les mêmes qu’on entend », je ne dis pas en même temps, je dis mais, ça me semble plus factuel

mais primitif

Par exemple ces idées qui parlent d’un mythe superbe la Fronce ce grand pays mais Calais ce qui se passe à Calais (quand ça se passe idem éclairé par la tour Eiffel, l’effroi soudain, la découverte parce que des phares s’allument)
et par exemple les femmes qui accouchent sur la route de la maternité parce qu’elle est loin, qui accouchent sur le bas-côté (c’est un exemple)
et par exemple des bureaux de poste fermés mais tu peux demander au facteur à la factrice de passer pendant sa tournée sonner chez ta grand-mère pour voir si  elle va bien si ça t’inquiète (service payant)

mais irréparable

Aussi le mais de la contradiction, cet homme jeune, bien mis, qui semble tout à fait civilisé, libéral au sens de liberté, mais c’est un vieux monsieur, très vieux, un contemporain de Victor Hugo si tu vois ce que je veux-napoléon-trois-dire

non mais

un vieux monsieur qui donne des ordres pour qu’on rajoute des dorures sur les murs du salon de son versailles mais il y a par exemple des étudiants qui meurent littéralement de faim qui font la queue à la croix rouge je dis pas en même temps tu vois je dis mais parce que ce qui flotte en très grand est un Mais gigantesque
les dorures mais les crève-la-faim

donnes-nous notre mais quotidien

Je crois que ce mais qui clignote et puis qui disparaît et puis réapparaît, arbitrairement, violent, c’est violent, c’est violent de voir la parole inversée et pour le coup la parole inversée touche à cœur à l’essentiel du centre, touche à Proust et aux mains des caissières tout pareil à la même altitude

(des lits d’hôpitaux fermés mais pour soigner, des usines qui fabriquent des raquettes de tennis mais on ne peut pas jouer au tennis, des restaurants qui ouvrent mais pas les universités)

combat entre mais et I prefer not to

L’hystérique du mais qui ne dit pas son nom doit se sentir très seul, il ne parle à personne, écoute des militaires et puis fait au jugé comme ça vient, coup par coup, avec une confiance en ses capacités à rebondir démesurée, il est capable d’affirmer que s’il rebondit à coté c’est un test pour voir si tout le monde suit

ce qui dans les mais indispose

Il fait au coup par coup comme ça vient en s’inventant des personnages j’aimerais bien être solennel se dit-il j’aimerais bien être princier se dit il j’aimerais bien être inventif disruptif se dit-il mais mais mais tous les mais qui ne sont pas des en même temps claquent comme cymbales, il faut dire que son emploi n’étant pas au départ destiné uniquement à l’art dramatique et les caméras étant partout, réellement partout, on peut filmer les cafouillages de l’acte deux scène un, un peu comme ces fans qui débusquent la rallonge électrique sous le corps du noble Boromir ou la montre à quartz au poignet d’un barbare dans Braveheart

extraction de mais avec aiguilles

Il a monté les échelons avec un « en même temps » mais c’est un mais qu’il faut entendre, et comme c’est psychologiquement maladif, c’est contagieux, ça fabrique ces éruptions volcaniques qu’on représente par du coca-cola qu’on a secoué, c’est contagieux parce qu’il organise autour de lui  ceux et celles qu’il embauche selon ce dogme

Par exemple, et de façon simpliste, Premier flic de Fronce mais faveurs sexuelles, ce mais qui ne peut pas être civilisé génère des retombées

Premier ministre de Fronce chantre de ce grand pays à l’histoire admirable grand H mais qui dit « peuh il faudrait s’excuser pour la colonisation et que sais-je encore ? » et hop d’un petit coup de talon gomme le passé

Un homme noir sous les coups répétés appelle à l’aide, il dit Appelez la police ! mais c’est la police qui frappe, ça en fait un grand MAIS, le symptôme ravageur d’une maladie de vieux monsieur

Il y a aussi maintenant j’y pense ces experts convoqués pour s’intéresser / conseiller / améliorer l’éducation (grand é) qui sont dans le civil vendeurs de flamands roses au mieux, au pire membre du GIGN, ce mais là est spectaculaire

Quand l’hystérique tout en haut joue avec ses névroses comme le saltimbanque lance ses quilles, et comme il lui prend l’envie de les enflammer parce qu’il aime les couleurs chatoyantes, ça brûle

Garant de la liberté de la presse mais le dit sur sur facebook, car ne sait pas se servir des symboles, sauf quand il s’agit de jouer l’empereur marchant devant une pyramide (du haut de laquelle des siècles nous contemplent voilà)

On devrait vivre en paix dans un monde civilisé puisqu’on a l’électricité, de quoi nourrir, de quoi loger tout le monde mais mais mais symboliquement a-t-on vu dernièrement un symbole de paix quelque part ?

C’est que les mots sont mélangés, paix égal sécurité égal contrôle égal consignes et châtiments, ça jongle des paillettes nocives

Après comme disent les sages il n’y a pas de hasard, peut-être que sa venue était logique, qu’il est arrivé à point nommé au moment où il le fallait, une longue montétrumpization, d’accord, mais très honnêtement, va falloir qu’il reparte

Je ne sais pas ce que diront les futurs et futures historiennes historiens de cette période que nous vivons dans deux cents ans, quand nous devrons nous endetter pour acheter nos bouteilles d’oxygène portatives (je ne suis pas pessimiste, juste un chouilla, c’est juste que parfois quelquefois de temps en temps mes doigts s’activent et ma tête digère)

le mais statique et la technique du mini-fight

DLM 6 | le mur est très surestimé en général

 

Si la maison-témoin ressemble à s’y méprendre à une maison, le témoin – depuis que les trois faux Sarkozy m’ont entraîné de force dans ce trou à rats – ce serait plutôt moi : celui qui passe son temps à écouter les conversations des colocataires, celui qui les entend entrer, aller, venir et sortir, hésiter, parler à voix haute ou pour eux-mêmes, chercher leurs clés, piétiner devant l’entrée, ouvrir le frigo, une bière ou tirer la chasse d’eau, installer horloge, tableaux et lampes, accrocher leurs cartes postales, arroser leurs hypothétiques plantes, jouer aux fantômes, passer de l’ombre à la clarté, marcher dans les pas des frères Lumière, illuminer les murs d’un rictus, projeter un sourire, animer une main gantée, faire chanter des langues inconnues, adresser des messages à l’autre bout de la terre sans que je parvienne ni à les lire ni à les intercepter, faire l’amour dans le noir (ou pas), seul(e)s ou accompagné(e)s, soliloquer, boire en cachette, dormir sur la terrasse, lancer quelques fléchettes sur les bosses d’un chameau entièrement composé d’une matière synthétique et inflammable (et parfois j’imagine que le chameau pourrait prendre feu, je rêve d’un grand incendie, parfois j’aurais envie de prier mais comme je ne crois en rien alors je continue d’attendre, espérant vainement que je pourrais mourir par étouffement, que « la cheminée » s’étoufferait enfin et que cette histoire sordide se noierait dans un nuage de fumée noire, épaisse, sans générique, que je n’aurais plus à écouter ce qui se bouscule derrière les murs ou dans ma tête, ce qui s’enroule dans la gorge, ce qui s’épuise dans la boucle, ce qui s’étrangle dans la ritournelle, ce qui se reconstitue à chaque phrase prononcée, ce qui n’en finit pas de s’écouler, ce faux dialogue entre moi et moi, entre ceux qui sont enfermés en moi et moi qui suis enfermé ici – mais le chameau jamais ne prend feu et d’ailleurs cette maison n’accepte que les non-fumeurs – sauf dans les coulisses). Alors je continue dans l’absurde et le morbide, respectant le contrat unilatéral, obéissant aux maîtres, et pour eux, espionnant, guettant, furetant, épiant, observant, enregistrant, mémorisant, retenant, sans vraiment écouter, sans conviction ni intérêts, sans volonté, repérant la fausse note, le mot de trop, le silence appuyé, le geste incongru, notant faits et gestes à la virgule près, sans même être payé en retour (je le paie de ma vie), répétant chaque nuit tout ce qui pourrait paraître étrange aux yeux de cet autre (qui est devenu mon boss et mon maton à la fois, qui dirige la galère, le sale type au masque de Sarkozy et aux chaussures pointues) et de ses sbires – même masque de pacotille, mêmes manières brutales, barbares – sans même savoir ce qu’ils cherchent ces trois-là ni qui ils sont. J’aurais donc vécu toute une vie pour n’être plus bon qu’à ça : devenir un témoin, une balance qui n’a pas les moyens de fuir, un spectateur qui n’a pas la volonté de se trouer la peau et qui va crever là entre ses deux cloisons ? Alors, pour mettre un peu d’animation dans mon quotidien, quand il ne se passe rien dans la maison-témoin (des jours entiers sans entendre personne parfois) j’invente des dialogues, je dessine des présences, je liste des entrées et sorties imaginaires et le soir je rends mon rapport fictif à l’un de mes ravisseurs. Dans ces cas-là ils reviennent tous les trois, froissant d’abord le bout de papier jusqu’à obtenir une boulette et me la faire avaler, ensuite ils me frappent et ils m’insultent ; ils savent que je mens, je sais qu’ils le savent mais, comme pour les vieux amants, de temps en temps il faut bien que le corps exulte et d’ailleurs, plus d’une fois j’ai pris du plaisir à me faire rouer de coups (la nuit dernière j’ai fermé les yeux, imaginant que ma tête pourrait exploser mais rien n’y a fait, et même si mes mensonges les ont mis hors d’eux, une fois de plus ils n’ont jamais visé que le ventre).

 

Ainsi donc, voici comment la maison-témoin serait devenue la maison du témoin, du témoin qu’on cache, qu’on a muré, le témoin dans les murs, murmurant, « murmourant », qui attend les trois petits malins qui viendront le zigouiller quand cela leur chantera ou quand l’heure aura sonné, qui ne se soucient pas de savoir comment mes gosses vivent mon absence, ma disparition soudaine, eux qui ont peut-être vu ma photo à la télé (moi en type recherché par toutes les polices, qui aurait posé cette bombe et tué des dizaines de personnes) et qui maintenant pensent peut-être que leur père est devenu un bandit en cavale, un criminel qui se planque, un salaud qui les a abandonnés, quelqu’un de dangereux pour eux, un type qui (témoignage de voisins) était gentil, discret, disait bonjour et faisait même des gâteaux pour le club de pétanque, un type (autre témoignage) qui ne parlait jamais de son travail et ça c’était vraiment bizarre, un type (nouveau témoignage) qui était louche et faisait même fuir Pitchoune, la chatte de la maison de retraite, un type (dernier témoignage pour ce soir) à éviter absolument : son regard, fallait voir, ses yeux, du sang il en sortait, et de sa bouche, une fois j’ai vu comme je vous vois, du sang et ses dents et ses… et mes gosses qui doivent supporter tout ça sur le chemin de l’école et dans la cour, dans la salle de sport et jusqu’à la maison, et leur mère : que leur a-t-elle dit, elle qui sait si peu de ma vie, que leur a-t-elle dit de moi ?