bloquée

Ah ben, j’ai l’air maligne

Je viens de jurer, d’égrener tous les mots vilains que connais, le temps de me calmer,

mais suis pas plus avancée.

Parce que je suis là sur le petit toit, au dessus de la terrasse

L’est bien en pente le toit, et j’oscille un peu… bon le chat lui n’est plus là, je crois qu’il a sauté

mais suis pas un chat, et de moins en moins

et voilà, suis là, bloquée

Me demande bien qui a fermé la trappe. Je croyais que j’étais seule, moi… tout le monde est parti, j’allais fermer. Qu’est ce qui m’a pris de vouloir sauver ce chat, suis bien incapable de sauver qui que ce soit, et même un chat. Et puis j’aime pas les chats.

En attendant c’est joli le ciel vu d’ici, et la dégringolade des toits et terrasse le long de la rue en pente.

Oui c’est joli… mais tu ne vas pas rester là ma fille

Il n’est pas très haut le petit édicule planté sur la terrasse, le chat a bien sauté, tu devrais… oui et tu te recevra mal, et puis suis pas très sure que la porte de la terrasse soit ouverte non plus.

Alors il y a l’arbre, sur le côté, mais l’est pas très près, suis pas Tarzan.

Je m’assieds sur le faîte, au dessus de la trappe, je regarde le ciel rouge pendant que l’humidité me transperce lentement

Je frissonne, je me secoue, j’enrage… et je baisse les yeux…

et lentement je prends conscience de ce petit filet de lumière qui le borde, à gauche.. j’avance la main, je n’y crois pas, mais ça se soulève.

Je me trompais de sens ou quelque chose de ce genre.

Je grimace un rire, je courbe la tête, je me glisse dans l’ouverture, je me retourne pour fermer le loquet

Je ne changerai jamais…

Boite à outils

Je me suis éveillé au milieu de la nuit, en proie à une interrogation lancinante. Dans quelle pièce avais-je rangé la boite à outils ?
La logique – mais celle-là est souvent aux abonnés absents – aurait voulu que je la mette dans le cellier. Il est curieux, soit dit en passant, que la maison-témoin comporte un cellier, enfin c’est curieux pour moi, car dans mon esprit le mot cellier a des connotations rurales, or la maison-témoin est située en milieu urbain, c’est inévitable, elle se trouve dans un de ces lotissements auxquels les promoteurs donnent des noms bucoliques.

Tiens, qu’est-ce que je vous disais, l’ATILF, qui n’est pas un dictionnaire de pacotille, donne comme définition du cellier : « A. Pièce en forme de hangar attenante à une maison ou au rez-de-chaussée d’une maison et où se presse le raisin et se conserve le vin. B. Pièce fraîche, généralement non voûtée, située au rez-de-chaussée d’une habitation ou en contrebas ou attenante à celle-ci, servant à conserver du vin et des denrées alimentaires. » (Je vous passe les sens métaphoriques faisant référence au Cantique des Cantiques).

Tout ça est bien joli, mais ça ne me dit pas où j’ai laissé la boite à outils. Pourtant elle est indispensable et je sens que si je ne la retrouve pas, je vais me faire taper sur les doigts. Qu’est-ce qu’il y a dedans ? Mais tout ce que doit contenir la boite à outils témoin :

« clef plate de 6 à 19
clef mixte 8 à 19
clef à cliquet de 13 et 17
douille 6 a 32 + clef à cliquet
jeux de clef btr métrique et pouce
jeux de clefs torx
pince coupante
pince multi prise
petite clef à griffe
pince à bec
clefs à molette (petite moyenne grande)
tenaille russe
coupe boulons
mini marteau marteau moyen arrache-clou masette taraud + filière m8 à m12 métrique
boite de forets
petite perceuse
2 petits serre-joint
un mètre
un pied à coulisse
un niveau
une petite lampe de poche. »

Que faire ?

De blanc et de bleu

Dans la chaleur d’un été lourd et orageux, une fin de journée nonchalante, trouver un peu par hasard sur le présentoir d’une agence de voyage placé sur le trottoir devant sa vitrine, une brochure épaisse, un catalogue d’appartements estivaux à louer sur la Costa del Sol en Espagne. En attraper un, un peu par désarroi, et la rapporter chez soi. En la feuilletant s’étonner de l’uniformisation de ces appartements.

Des pages et des pages d’images stéréotypées sur papier glacé, présentant les mêmes vues d’appartements, avec une chambre sommaire, propre et fonctionnelle, un ou deux lits, une table de nuit de part et d’autre du lit, un vase disposé de chaque côté pour la symétrie, et sur une table en face du lit, un poste de télévision, la chambre qui s’ouvre sur une terrasse par une large baie vitrée, une fenêtre coulissante pour faire entrer la lumière, donne sur un balcon qui surplombe une piscine à partager avec les autres vacanciers de la résidence. Les murs sont le plus souvent blancs, parsemés de quelques cadres, le plus souvent des aquarelles représentant des paysages marins.

Regrouper l’ensemble de ces centaines de photographies de chambres et de piscines, leur uniformisation si poussée, afin de tenter de comprendre, dans cet exercice de regroupement, ce jeu de patience, faits de recoupements et d’associations, de rapprochements et d’incises, ce qui nous fascine tant dans ce motif répété des différentes pièces et leurs similitudes inquiétantes, cette vacance qu’on interroge dans ses moindres détails jusqu’à la vacuité, au point de s’y perdre en faisant du surplace dans un aplat de blanc et de bleu.

blanc sur blanc

je l’y avais laissée étendue nue blanc sur blanc comme évanescent disparue dormait-elle
vite pris quelques vêtements jetés dans un sac noir tissu dru il était à elle
je partais à l’horizon quittais l’île quittais la maison ou bien n’était-ce qu’elle
le bruit de la porte sur ses gonds encore en moi résonne-t-il profond je me faisais la belle

 

Emmanuel Delabranche

Une bouteille enfoncée dans son casier

La maison-témoin pourrait devenir un lieu de référence, pas question de transformer ce lieu de vie en musée bien sûr, mais il faut au contraire l’utiliser pour faire dialoguer l’architecture spécifique de la maison-témoin avec des créations contemporaines.

« Comme l’ensemble de la Cité Radieuse, écrit Christian Simenc, l’appartement n°50 est « réglé » par les nombres et les rapports de la série du {modulor}, mise au point par Le Corbusier. Voici les sept dimensions-phares : taille moyenne d’un homme : 183 cm : homme au bras levé : 226 cm : un homme les coudes levés à angle droit : 140 cm : hauteur d’un garde corps : 113 cm ; hauteur d’un plan de travail : 86 cm ; hauteur d’une table : 70 cm : hauteur d’une chaise : 43 cm ; enfin, hauteur d’un tabouret : 27 cm. Ainsi, la largeur de la cellule est de 3,66 mètres et la hauteur sous plafond de 2,26 mètres, portée à 4,80 mètres dans la séjour (double hauteur). »

Le Corbusier

Un soin particulier a été apporté à l’isolation phonique des appartements. Au journaliste et célèbre chroniqueur judiciaire Frédéric Potecher, alors reporter pour la radiodiffusion française, Le Corbusier expliquait, le 11 janvier 1950, lors d’un entretien radiophonique : « Pour moi, chaque logement est comme une bouteille enfoncée dans son casier ». La métaphore est on ne peut plus judicieuse. Imaginez un casier à bouteilles, dans lequel chaque bouteille repose bien dans on propre casier, sans aucun contact avec les autres bouteilles. Tel est effectivement le principe de construction de la Cité Radieuse de Marseille, l’ossature de béton armé jouant le rôle de casier à bouteille, et chaque appartement celui d’une bouteille.

DLM 2 | avant (encore)

 

Reprenons, avait dit un peu plus tard le type au masque de Sarkozy, cette fois il faisait nuit, reprenons tout depuis le début, mais avant de poursuivre il avait d’abord passé un coup de fil dans ce que nous pourrions appeler la nuit autrichienne et deux grands gaillards, qui portaient le même masque que lui, avaient déboulé dans la baraque de chantier où désormais j’étais retenu prisonnier, reprenons tout depuis le début avait répété celui que désormais je nommerai Force rouge parce qu’il avait dessiné un rond rouge sur le front de Sarkozy tandis que les deux autres avaient collé un carré vert (Force verte) pour l’un et une étoile bleue pour l’autre (Force bleue), reprenons pour que tout le monde remette son ciboulot d’équerre. J’étais assis sur un sanibroyeur, les mains dans le dos, ligotées, et les trois Sarkozy s’étaient jeté sur des chaises pliantes, des pliants de plage, à rayures blanches et bleues, face à une table de camping sur laquelle on avait posé un presse-agrumes que ces trois toqués attrapaient régulièrement afin de s’envoyer, après pressage et à l’aide d’une paille qu’ils enfonçaient dans un des trois trous que chaque masque comportait, des pailles de différentes couleurs, assorties à leur signe distinctif, un citron ou une orange dans le gosier, et un pamplemousse une fois. Personne ne me tournait le dos, Force rouge me faisait face, il présidait, alors que les deux autres je les voyais de profil, mais aucun des trois ne me parlait. J’étais assis, j’avais soif, ma clavicule était encore assez douloureuse, je les regardais presser les agrumes, aspirer le jus coloré jusqu’à la dernière goutte (et ça faisait des grands flchss, et  ça faisait des grands flchss) et j’attendais la suite en essayant d’oublier que j’étais devenu un des types les plus recherchés de ce pays alors que je n’avais fait que mon boulot, un sale boulot de fouille-merde d’accord mais un boulot tout de même, et des gens étaient morts dans ce qui sera sans doute ma dernière affaire, et tout m’accablait alors que je n’avais rien fait, et quelqu’un m’avait doublé voilà tout, et quelqu’un avait voulu m’écarter et ce quelqu’un ou ces quelques-uns avaient réussi leur coup, ces p… mais reprenons avait alors répété Force rouge sans que rien ni personne ne soient repris puisque l’appel du citron avait été trop fort ou alors étaient-ils en cet instant en train de tester une technique nouvelle et un peu spéciale, une parade qui s’apparentait à de la torture et qui était censée me faire craquer. Mais moi, au point où j’en étais, je ne pouvais plus craquer : j’étais un homme fini, et ils le savaient, d’ailleurs mourir m’aurait soulagé et je me doutais déjà que ma vie ne se terminerait malheureusement pas là, qu’ils avaient besoin de moi les trois Sarkozy, que j’allais crever à petit feu, reprenons avait-il dit pour la quatrième ou la cinquième fois, parce que l’heure approche. À ce moment-là seulement, Force rouge a déroulé un plan qu’il a plaqué contre un mur et il a demandé à Force verte d’aller chercher les punaises. Puis : Ça, c’est la maison-temoin, autrement dit je vous présente (Force rouge s’était tourné vers moi), oui je vous présente car c’est votre jour de chance, je vous présente en avant-première votre futur lieu de travail, forcé dirais-je, ainsi que votre nouvelle demeure. Notez bien que je n’ai pas dit maison a-t-il ajouté mais demeure parce que vous y serez enfermé jour et nuit, comme un demeuré, vous vivrez là à vie, vous vivrez en cet endroit à demeure, vous y demeurerez peut-être à jamais d’ailleurs. Je me souviens m’être demandé si ce n’était pas mon beau-frère derrière le masque, si Sarkozy n’était pas Gérald, si Gérald n’était pas en train de me faire une blague puis j’ai revu Gérald dans son cercueil, je me suis souvenu que Gérald était mort depuis deux ans. Pour cette maison et ses murs, vous serez ses oreilles, nos oreilles donc, vous voyez ce que je veux dire, avait dit Force rouge sans qu’il n’y ait eu vraiment de point d’interrogation dans sa question et moi, à ce moment-là comme cinq minutes ou deux heures auparavant, je ne comprenais rien à tout ce charabia, le demeuré c’était lui et moi j’étais mal barré, voilà ce que je me disais. Force rouge s’était alors approché de moi et en appuyant progressivement sur ma clavicule, celle qu’il avait déjà amochée deux heures avant ou trois je ne sais plus, il avait rajouté : on a tapé dans le mille, hein ? on est en plein dans votre cœur de métier, n’est-ce pas ? et là, les deux points d’interrogation, cette fois je les ai vus, je les ai entendus, je les ai sentis.

Se faire une idée

Ce n’est pas le propre de la maison-témoin d’y trouver, posés sur la table basse, une pile d’ouvrages d’art qu’on ne lira jamais, achetés exprès pour en imposer à notre entourage et surtout les visiteurs de passage, livres précieux, aux volumes conséquents. Devant la cheminée, le livre d’art devient meuble, rivé à la table basse. Des livres qui font table-basse comme on fait tapisserie, pour meubler, impressionner le visiteur, qui ne prend même pas le temps d’ouvrir le pesant ouvrage d’art. L’Age d’or du paysage sous les Song, Paris de Nuit de Brassaï et Paul Morand, Les graffitis obscènes de Picasso, The Rise of David Bowie (1972-1973), de Mick Rock, Les oushebtis de la XVIIe dynastie. Avantage de la table basse : on ne sait jamais si le livre est lu, regardé ou montré. En général, on feuillette seulement les premières pages pour se donner une contenance, comme on visite la maison pour se faire une idée.

En visite dans la maison-témoin, une de ces maisons closes, tout nous parait invariablement uniforme, comme sur une image en papier glacé, un catalogue de vente par correspondance. Est-ce que cela existe encore aujourd’hui avec Internet ? Souvenirs dépassés, tout ce qu’on n’aura jamais, l’inaccessible et ses accessits. Linge de maison, mobilier décoration, équipement, vêtements (femme, enfant, homme) et bien sûr dans la lingerie, l’image de ces femmes à moitié nues posant pour des culottes ou des soutiens-gorges. Souvenir d’un ami qui découpait ces images et qui, en les collant à l’envers sur un carnet, obtenait l’image d’un couple s’embrassant, une série de baisers.

Courrier en souffrance

Quel genre de courrier arrive dans la boîte à lettres de la maison-témoin ?

Pas grand chose, vous allez me dire, de la pub, du junk mail en bon français. Les feuillets sur papier glacé aux couleurs criardes, constellés de points d’exclamation, s’accumulent dans la boîte jusqu’à ce qu’un triangle de papier en dépasse et qu’on ouvre la boîte pour la vider.

Qui détient la clef de la boîte à lettres, d’abord ? Lequel de nos agents ? Si nous avons une agence, il y a aussi des agents.

Il n’y a pas que de la pub. Voici une circulaire de la mairie, rédigée dans un style administratif tellement abscons qu’on ne comprend même pas de quoi il s’agit. Une carte postale de Douarnenez, l’expéditeur s’est sûrement trompé d’adresse, il croyait la savoir par cœur, eh bien c’est raté. Elle est adressée à Monsieur et Madame Flachet et le texte dit : « Bonjour tout le monde ! Vous n’allez pas me croire mais il fait beau ! La Bretagne, c’est plus ce que c’était. Grosses bises » et c’est signé, diable c’est difficile à déchiffrer, peut-être Nadine, ou peut-être Christiane, allez savoir.

Il y a aussi cette lettre pour lui, qu’elle a déposée dans cette boîte au hasard, puisqu’elle ne connaît pas son adresse. Elle sait qu’il n’y a aucune chance que la lettre lui parvienne ainsi mais c’est mieux que de ne pas l’envoyer du tout. Elle sait qu’il n’y a aucune chance qu’elle le revoie un jour mais c’est mieux comme ça.