femme en guerre

 

 

Un film islandais (au vrai, islando-franco-ukrainien) – mais on aime les Islandais un peu comme on aime les Portugais pour leur 25 avril 1974 et leur révolution des oeillets, sans trop de sang, dont le déclenchement a eu lieu par la diffusion d’une chanson « Grandola, vila Morena » (écrite et mise en musique par Zeca Alfonso) une espèce d’hymne – et ici aussi, la musique joue un rôle dans l’image même (vraiment j’ai adoré).

Comédie, ou drame, admirable oui on s’en fout un peu : une femme est en guerre contre les ravages d’une usine d’aluminium. Elle se bat avec ses armes, et coupe le courant qui alimente l’usine (gauche cadre les étincelles qui font sauter les lignes)

et plus tard fera exploser un pylône convoyant l’électricité. Elle mène une lutte plutôt seule bien qu’elle trouve de l’aide auprès d’un présumé cousin qui lui prête par exemple une voiture (sur l’image, elle convoie des fleurs pour son cousin dans la voiture que celui-ci lui a prêtée une première fois (elle a caché au milieu de l’engrais – constitué de chiures de poules malodorantes –  les pains de semtex utilisés pour le dynamitage du pylône) (L’explosif est nommé d’après Semtín, une banlieue de Pardubice dans l’est de la Bohême. : j’adore ce genre de précision que nous apporte wikipédia)

: contrôle infructueux donc, par l’opération de l’engrais  naturel… Elle porte des fleurs à son présumé cousin, fait sauter le pylône, et se retrouve coincée malgré sa défense contre les drones de la police (elle porte là un masque en forme de Nelson Mandela) –

on ne nous donnera pas de recettes de cuisine pour manger sainement – tout ça devrait aller ensemble cependant – mais le film raconte une histoire d’entraide, salutaire et hors de nos frontières. On se souvient pourtant des démissions des banquiers véreux (il y a comme une espèce de lapalissade dans ce couple substantif qualificatif) et des politiques qui ne l’étaient pas moins il y a quelques temps dans ce pays, l’Islande donc. J’ai raconté l’histoire, mal, puisqu’il me reste une photo

notre héroïne dans un bains d’eau chaude propre à la régénérer avant d’être reconduite en ville par son (supposé) cousin (cachée sous des moutons…). Peu importe : il y a aussi un autre ami à elle, probablement assez espion, du ministère de l’intérieur si j’ai bien compris : à chacune de leur rencontre pour parler un peu de ses agissements à elle, ils isolent de concert leurs téléphones portables dans le freezer du réfrigérateur

mais ils ne mangent pas… Beaucoup de trouvailles de scénarios, tant et tant de choses encore – un choeur ukrainien, des enfants, des dessins, des animaux… – qui donnent au film tout un charme qui aide à supporter les avatars contemporains…

 

Woman at war, un film de Benedikt Erlingsson, avec au rôle principal (au vrai, double : vous verrez) Halldora Geirhardsdottir – formidablement drôle.

 

Quatre images

 

 

Le temps est long, malgré tout, et il ne passe pas. Il arrive. Trois images (plus une), ici qui datent de l’année soixante six – les souvenirs se noient, je ne sais d’où me vient cette phrase – une chanson idiote sûrement. L’un des cinéastes les plus prolifiques, secret et inconnu de la plupart du public qu’on peut qualifier de populaire : il ne fait pas dans le block-buster, c’est certain mais qu’importe, son « La Jetée » (1962) avait quelque chose de fantastique (ce film-là est plus connu, mais son travail est assez incommensurable : inutile même d’essayer de le fonder en chiffre, cela n’importe pas).

Ici un film fait d’images fixes, j’en a pris trois il y en a toute une théorie (durée du film : 48 minutes, soit soixante fois plus de secondes, soit trente fois plus d’images donc de plans je suppose, genre 1400).

Probablement Paris, ou Anvers, Liège ou quelque part, la brume, les péniches, le fret pondéreux, avancer dans les terres, faire rejoindre ce fleuve-ci avec ce territoire-là. Même si on parle beaucoup de Cuba, coiffures danses cigares et tout le bastringue, d’autres lieux d’autres images (je ne vois pas qu’aujourd’hui on puisse comprendre la fascination d’alors exercée par cette Antille et son leader maximal et c’est bien une des déplorations du temps qui passe, et ne cesse pas).

Rond point des canaux, Paris 19. L’image est assez floue, on abat encore  non loin de là des bêtes pour les bouches affamées – tout au fond à droite, là-bas, reposent les dépouilles des monarques de cette France-là – à peine vingt ans se sont écoulés depuis la fin de la guerre – le cinéma rend présent le passé, on voit comment le monde se trouvait – on imagine seulement, c’est vrai. Ici, voilà trente ans, je comptais les entrants (ou les sortants je ne sais plus exactement), afin d’en tirer des conclusions définitives sur les flux, les visiteurs, les badauds, la présence ou l’absence suivant telle ou telle variable (compter et définir : la plaie du monde). Ici, non loin, par là, entre Pantin et Aubervilliers, vingt deux ans plus tôt que ce film, une rafle s’empara de mon grand-père. Puis dix ou douze ans plus tard, l’un de mes oncles que je croise au détour des arrêtés de fermeture de ces abattoirs…

C’est que les choses humaines, les miennes comme les vôtres, hantent toujours les images, le passé revient au présent par le cinéma, passer par un cinéma qui projette un film des années passées, noir et blanc pourquoi pas, le son quand même, regarder, essayer de comprendre en quoi ces images-là influent sur la vision du monde qu’on a aujourd’hui… Les images de guerre, de manifestations, tu sais l’année prochaine (elle arrive, espérons qu’on la verra, quand même – mais qui peut dire si d’ici demain, encore ?), l’Etat lui-même (ce chien, cet animal cruel et bas, vil et sans vergogne) fêtera (en l’espèce, s’il est encore là, son premier serviteur, le petit président) les cinquante ans révolus d’une espèce de happening, en son mois de mai – on commençait le vingt deux mars, dit la vulgate – mais comme il se doit, on réprima l’affaire (sans doute n’y eut-il que peu de sang, et j’ai vraiment peur, ces temps-ci, que le monde comme il est aujourd’hui ne réussisse pas à résoudre ses affaires autrement que dans cette humeur poisseuse qui noircit et se fige à l’air libre…) : dans le film, il est dit : « la police ne se trompe nulle part » car elle sait où frapper, toujours…

Ici une vue de Berlin, un lion (#319) qui sur son dos porte un ange probablement, et ce commentaire (off toujours évidemment) : « est-ce qu’une bombe atomique sur Berlin aurait innocenté Buchenwald ?« …

Sophisme ? qui pour reconnaître que l’histoire est passée ? il y a beau temps (le 10 décembre, je crois, ni oubli ni pardon, il m’a semblé voir passer une information sur le mémorial de la Shoah et les morts déportés de Tunisie, il m’a semblé voir ça quelque part), on n’oublie rien, il est temps de passer à autre chose, quelque chose comme l’espoir, ou la joie de vivre ? Il (nous) suffit de croire… Dehors tombe la pluie, au ciel l’astre décroît, sa courses s’infléchit ici, bientôt on fêtera d’autres jours célèbres … et un temps viendra « qui annonce pour on ne sait pas quand la survivance des plus aimés« …

J’aime tant à espérer, tu sais, tant…

Ah bah, voici ce visage magnifique, vers la fin (qui est-ce ? on ne sait, elle a vécu elle se trouvait dans une de ces réunions (ce genre de réunions qui, se terminant, voit aux abords de ses sorties les forces de police attendre de pied assez ferme (la police sait toujours quand il s’agit de réprimer, faire peur, combattre la liberté : la police aime l’ordre)) la voici vivante, pratiquement

Quatre images, une espèce diaporama commenté. Une merveille.

 

« Si j’avais quatre dromadaires » (un film de Chris. Marker, 1966) (produit par Henri Régnier (Hambourg)  et Claude Joudioux (Paris))

un concentré résumé pour connaître un peu s’il se peut Chris Marker : arte blow-up

 

(qu’en pensez-vous ?)

Oui, qui vient ici et pourquoi, on ne sait pas.
Mais est-ce une raison pour ne pas y aller ?

Quelquefois, il faudrait mettre un disque bleu sur le pare-brise de la maison[s]témoin.
Dire je me gare là quelques minutes. En profiter. Profiter de la vue.
Des femmes qui s’activent et tracent des arabesques.
Du temps qui passe.
Ou il faudrait mettre une pancarte « les locataires sont occupés » lorsqu’ils-elles le sont, ce qui peut toujours arriver.
Ou il faudrait qu’une sonnerie douce signale que la place est libre, qu’on peut l’investir (un bruit gentil mais insistant, comme l’alarme de recul pour les camions)(non, plus jolie).
Qui vient et pourquoi, on ne sait pas, qui ne vient pas et pourquoi pas non plus.
Sur le fronton de la maison[s]témoin on pourrait accrocher de grandes majuscules, en copiant HOLLYWOOD.
Sauf qu’on ne mettrait pas Hollywood, ce serait redondant sinon.
Mais on pourrait écrire INCERTITUDES.

Ce serait bien.
Ce serait le lieu où ce serait clairement indiqué.
Contrairement à d’autres lieux qui n’en font pas mention et qui pourtant obéissent aux mêmes troubles (de qui de non qui de pourquoi et de on ne sait pas).

En attendant, il pleut. Un pigeon sur un toit, personne ne dit ses belles pattes rouges.
Personne ne lui demande d’éviter d’approcher du panneau électrique (incertitude de sa survie).
Des cris de faucon pèlerin là-haut. Personne n’ajoute, à destination des pigeons, de surveiller leurs abattis, ni aux faucons qu’ils auront faim peut-être ce soir (si l’autre sait se camoufler) et pas de repas (l’incertitude de tous côtés tenaille).

Les voitures se garent dans la cour. Les portières claquent, les enfants rient. Les promeneurs ouvrent leurs parapluies. Tout va bien, finalement.

En attendant, je cherche… pas une abeille.
Nulle part
. Est-ce que c’est grave ?

« QU’EN PENSEZ-VOUS? AJOUTEZ UN COMMENTAIRE » demande le site.
(c’est vrai que notre avis compte pour beaucoup dans ces cas-là)

Le pigeon me regarde. Je suis sûre qu’il mesure la gravité de la situation, mais il ne commente pas. Quelle lâcheté. Ces volatiles n’ont pas d’âme.
(heureusement, leur gorge irisée, c’est beau. Cette couleur les sauve)

Ici, on est à l’abri. Même si rien n’empêche de ne pas s’approcher des fils électriques, ou au contraire d’en approcher.
Rien n’empêche d’observer.
« QU’EN PENSEZ-VOUS? AJOUTEZ UN COMMENTAIRE »

Qui, moi ? Oh, je n’ai rien à dire de spécial. Je vais donner mon temps de pensées et de commentaire à Nkanga Otobong, plutôt.

Chandni Chowk

 

 

L’affaire se passe d’Etats-Unis aux Indes : un jeune homme (Roshan, incarné par Abhishek Bachchan)

se propose de ramener sa grand-mère (Dadi, Waheeda Rehman, magnifique) en Inde où elle vécut, il y a peut-être vingt ans, notamment le quartier, ou le marché, de Chandny Chowk (probablement assez différent de ce qu’il est, mais qui en donne, cependant une idée assez disons bollywood…) (on peut rappeler que c’est l’Inde qui, au monde, produit le plus grand nombre de films de cinéma, lequel nous est pratiquement inconnu focalisés que nous sommes par celui de nos pays, et de l’occident) :  le type ne connaît pas le pays, le voilà arrivé avec sa grand-mère, elle choisit une urne pour ses cendres

adorable, tout se passe en ville, ils vont ici ou là, connaissent tant de monde : c’est comme si la grand mère n’était pas partie (mais elle le fut : elle revient, les choses ont changé) et les esprits bouillonnent, entre hindous et musulmans, toujours amis et voisins, les choses changent, c’est comme dans le monde, ce monde-ci, les rues de Dehli sont le cadre

l’Inde, une autre mélodie, un autre décor, une merveille… On se battra, le garçon manquera de peu son entrée au Paradis (on y met une majuscule par habitude), le film est entièrement comble d’histoires et de musique, une merveille vraie parce que la narration ne s’embarrasse de rien, peut-être une linéarité mais diffuse, on chante on danse on rit, le drame s’expose, rixes, violences, le singe noir comme un Mac-guffin presque hilarant s’il n’était tragique, et encore une fois, et surtout, une musique qui souligne doucement les traits fins des acteurs

(on voit ici Sonam Kapoor, une autre star de ce cinéma mondial, dans le rôle de Bittu, un tel humour…

) les sentiments (plutôt les bons, certes), les couleurs et presque lesodeurs, les rires aussi bien que les pleurs, c’est une affaire qui palpite de vie, de joie de vivre, d’amitié d’amour de haine, de l’humour sans prétention, on apprend le pays, peut-être différent mais tellement semblable aux autres, les gens, la famille et une sorte de vérité qui passe par une fiction complètement débridée faisant appel aux anciennes légendes comme aux plus contemporaines turpitudes (notamment cette guerre de religion à laquelle nous assistons, ces temps-ci, sur le vieux continent), l’un des plus riches cinémas du monde qu’ici on ne connaît guère… C’est fort dommage

 mais peut peut-être, si on y parvient, se rattraper. Ce sera tout ce qu’on vous souhaitera.

« Dehli 6 » (c’est le nom du quartier), un  film réalisé par Rakeysh Omprakash Mehra.

(une rétrospective pour les Parisien-ne-s et les autres a lieu, ces temps-ci, à la vidéothèque de la ville de Paris – elle ne se nomme plus ainsi, mais OSEF) (en réalité, il s’agit d’un établissement municipal mais la politique menée par cette administration a quelque chose de tellement révoltant qu’on ne parviendra pas à en faire quelque annonce que ce soit, bien qu’ayant voté pour elle… encore, et à nouveau, comme pour 2012 cette déception qui va avec ce pouvoir) 

Jazz

 

 

(en tout cas, on reste debout) (la nuit, oui) (le jour aussi, dlamerde) (il y aurait pas une vague odeur de révolte, ces temps-ci avec le minuscule numéro deux autocrate aux commandes – et son N+1 de chef, le roi de la médiocrité synthétique ? il semble, il semble…)

 

(Voici un an que cette maison(s)témoin est ouverte à qui veut y entrer, et voilà une quarantaine de billets produits pour ici, qui prennent pour personnages principaux des films et des acteurs, des techniciens qui font vivre ce cinéma industrie divertissement ou art et les trois réunis on n’en sait rien -on s’en fout presque-  c’est Cannes – et on avance quand même en âge) (tu sais, je suis fatigué : depuis que tout a été pris par les flammes, je ne parviens pas à me remettre dans les clous, je vaque et je divague, je marche dans les rues sans trop savoir ce qu’elles sont pour moi -elles ne me sont plus des adresses, juste des décors – je passe sur la place, on parle on se sourit, on avance aussi vers quelque chose, mais moi, je suis las) (ça ne m’empêche pas d’aller au ciné, heureusement, et de repasser par le pont qui domine les voies du chemin de fer qui va au nord par sa gare

gare du nord 14 5 16

ça ne fait rien, j’erre, j’estime et j’encombre)

Alors voilà, comme c’est la déprime, on va faire quelque chose avec un film à Woody -son quarante septième – Allen rigolo comme tout, hollywoodien mais new-yorkais (ce type aime cette ville comme d’autres aiment Paris) (je veux dire moi) (et d’autres, allez), il y a le héros, celle qu’il aime mais qui en choisit un autre (son oncle), puis celle qu’il épouse (adorable :

café society

on ne comprend pas bien pourquoi il s’entiche de l’autre assez godiche mais ça ne fait rien, on ne la met pas en photo) (c’est petit en même temps, mais tant pis -d’ailleurs le type est petit comme Woody je suppose), et partout à tous les plans, sur toutes les images, cette musique de jazz formidable… (il est bon d’entendre, même dans ce décor d’artifice mais témoin, cette musique qu’on adore)

Le type a une famille

café society la famille

(ici la mère, le père en marcel, et le frère assez voyou, qui sentant venir sa mort prochaine, se convertira au catholicisme), le type a des amis

café society les amis

et c’est magnifique. Même si le scénario est peut-être fait d’assez grosses ficelles (il rappelle ce film de Francis (ex-Ford) Coppola  « Cotton Club » (1984) ou cet autre de Martin Scorcese « New York New York » (1977) mais les pathos en moins…), les acteurs sont formidables (pour le type et celle qu’il aime mais qui le jette mais qui l’aime -enfin c’est compliqué le cinéma, tu sais bien- mais qu’il aime, je suis réservé mais c’est rien), la musique en parfaite, l’émotion sensible et généreuse, et on se marre.

Donc tout va bien. Le monde est le meilleur possible, on y tue, on s’y blesse, on danse on boit on rit…

On demande autre chose au cinéma ? Oui, certes, sans doute. Parfois. Mais dans un autre film alors…

 

Des goûts (et des couleurs)

 

Nous sommes bousculés, nous sommes traumatisés, trahis blessés mortellement, dans notre humanité-même : comment, des gens comme nous, deux bras deux jambes neuf orifices et vingt doigts, des êtres humains sont donc capables de ça ? Oui. Hier ici, aujourd’hui, à Bruxelles, oui. C’est peu dire que c’est lâche, c’est peu dire que c’est laid. Ce n’est pas qu’il nous faille pourtant ne pas concevoir cette éventualité : ils (elles ? je ne sais pas, mais je suis sûr qu’elles sont moins nombreuses qu’eux), ce sont eux, ils tuent, l’aveuglement et le hasard qui frappent, ah ne pas baisser les bras, ne pas se laisser envahir par la peur, continuer à encore et toujours vouloir tenter de comprendre et d’aimer les autres, oui, tenter, et continuer. Sortir, rire, applaudir… Nous sommes tous atteints, mais nous vivons encore pour à tout le moins dire que la vie est belle, bien plus belle encore que ce qu’ils peuvent imaginer. Ils ne gagneront jamais.

 

(de la promotion : quand on pose le lien vers maison(s)témoin sur la page fb de « Homeland« , on obtient un « like » comme réponse; même  procédé sur celle de « Merci patron » : rien à voir, circulez- il ne s’agit pas de glaner reconnaissance ou orgueil ou quoi que ce soit de ce genre, mais de dire que proposer des goûts à nos contemporains est accueilli défavorablement, dire ce qu’on pense en réalité a quelque chose, ici, probablement, de déplacé, il ne faudrait pas le faire valoir. Je vais parler d’un film français, vu il y a deux jours; en sortant du cinéma sur le sol j’ai trouvé ça

les ogres graf

par terre sur le trottoir de l’avenue de Clichy. Ca ne m’a pas tellement plu, mais je crois que c’est parce que, depuis, l’accueil du film a été dithyrambique – à ce que j’en ai vu ici ou là- et que cet unanimisme ne me convient pas. Happy few, agitation propagande, avant-garde, aujourd’hui (nous sommes le 22 mars) flotte dans l’air quelque chose-un anniversaire, probablement. Quarante sept ans, j’aime à m’en souvenir. J’avais quinze ans et j’écoutais la radio, le poste périphérique relaterait, six ou huit semaines plus tard quelques uns des événements qui nous ont marqués, certes, mais qui se terminent (le mot est lourd), qui aboutissent, à ce que j’en vois aujourd’hui, à une sorte d’eau de boudin complètement indigeste. Ces temps-ci, pour ma part, ça va mal. Mais dans la salle de cinéma, à la fin, quelques unes des personnes présentes ont applaudi; pendant la séance, on en entendait certaines renifler (il y a parfois des moments tragiques), plus souvent on riait (il y a pas mal de moments drôles). N’importe, ici, dans cette maison, c’est comme si de rien n’était : j’avance, je pose, je laisse, je m’en vais, j’essaye juste de vivre et de continuer à aimer le cinéma).

 

ogres fin

Cette image-là est à la fin. Le « Davaï Théâtre » (qui s’inspire dit-on d’une troupe de théâtre itinérant) s’en va sur une route déserte dans le soleil couchant. C’est une troupe, une espèce de cirque qui, au lieu de numéros de montreurs d’ours ou de dresseurs de puces, de contorsionnistes acrobates jongleurs de clowns ou de magiciens, donne en représentation deux pièces de Tchekhov adaptées et mises bout à bout pour les besoins du spectacle. On est en été – en hiver, on ne circule pas, je ne crois pas. On serait à Palavas-les-flots qu’on n’en serait pas tellement étonnés (j’ai pensé à ce film de Nicole Gracia, « Un beau dimanche » 2013) (je ne me souviens plus, mais durant la parade, on sait qu’on se trouve quelque part par là – je veux dire, comme pour « Un  beau dimanche » en bord de mer, en été) (ça me revient, une fille dit « on n’est pas à New-York ici, on est à Port-la-Nouvelle »).

Il règne dans cette troupe quelque chose comme une ambiance on dit aujourd’hui « déjantée » ou mieux « foutraque » ou pire « jubilatoire ». En un mot, tout cela est furieusement contemporain, disons. Drôle, cynique, émouvant, sans principe. Si les choses tournent mal, le père -le directeur de la troupe (il a dans les soixante ans)- demandera de l’ordre, du bourgeois du propre. La vie de la troupe, c’est aussi recevoir des enfants, type cinq ou six ans : l’un des acteurs (il est atteint par la mort de maladie de son fils, et le voilà qui va devenir père -sans doute tape-t-il dans les quarante balais, il boit fume prend des médicaments -on l’a nommé « Déloyal » comme patronyme, pourquoi pas mais c’est dur à porter…) l’un des acteurs donc, à cette occasion, propose à ces jeunes têtes blondes une pédagogie douteuse (qu’est-ce que la sodomie) à l’aide de dessins. C’est un autre scandale, qui fait suite au précédent (une bataille rangée dans un restaurant maghrébin où le Déloyal en question a mis le feu aux poudres en les traitant de « bougnoules » – comme on voit, le Déloyal ne lésine pas sur les moyens).

ogres accordéon

Non, ça ne lésine pas, mais enfin, le titre du film m’a (comment dire ?) questionné ? interpellé ? enfin…)  posé question, je ne sais pas, m’a rappelé l’enfance (il y a beaucoup d’enfants dans le film

ogres enfants

et on peut dire sans trop tirer la couverture de ce côté-là

ogres petite marche

qu’en réalité, ça ne parle que de ça) et ses contes : n’est-ce pas, les ogres mangent les enfants dans les contes (comme les loups, d’ailleurs) (quelques animaux sont là, oies, poulet en habit, chiens…), ceux-ci sont-ils d’un autre genre ? Des ogresses, en est-il aussi ?

ogres parents

Quelque chose du délit, de la tragédie, quelque chose de l’outrance, de l’obscène aussi (fatalement : on représente, une pièce de théâtre, on en voit les coulisses, on est avec les acteurs, on joue presque avec eux, la caméra ne sait plus où donner de l’objectif, mais enfin la lumière, le petit matin et les mégots de cigarettes dans le beurre…).

ogres finale 1

Déloyal va mourir : il écrase sur une planche des médicaments, beaucoup de médicaments, imprègne de ce mélange un morceau de pain ou quelque chose, puis change d’avis, jette ledit truc quelque part où une oie va le manger, s’en va, il nous quitte… De la même manière, la fille (qui est la soeur de la réalisatrice, et qui a donc le même père -on suit ?) de l’histoire à un moment, prend ses enfants et s’en va : sans elle, comment va-t-on faire ? On se rend compte qu’elle est partout dans la construction de la pièce, partout dans l’intendance, partout dans le rapport au monde. Mais elle est partie… On ne la reverra pas, elle téléphone à sa mère mais non, on ne la revoit pas. Le film avance, naît un enfant (c’est un garçon) et se termine, on est ému, on a tellement aimé la musique (on pense à Plume, on pense à tous ces artistes de cirque qui veulent à toute force créer quelque chose comme une histoire), on va s’en aller on sort (je crois que la musique est due au mari de la soeur de la réalisatrice, mais ça, ce serait à vérifier)

en sortant

sur l’avenue cette image, dans le métro cette autre

gare ogres

il y a des choses qu’on aime (en revenant-comme en y allant, on passe devant le théâtre des Bouffes du nord

théâtre bouffe du nord ogres

le reflet des voyageurs aux fenêtres), on se souvient un peu du film, de la joie de vivre comme du pathétique toujours à fleur d’image, l’outrance mais la joie de vivre, cette espèce de vulgarité assumée, revendiquée, potache sans doute mais vraie aussi, et comme il se termine bien

Léa Fehner

(sans vouloir non plus tomber dans le culte de la personnalité), on remercie cette jeune femme, Léa Fehner (et ses parents et ses amis) pour les deux heures et demie de bonheur cinématographique qu’elle et eux nous ont donné.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De blanc et de bleu

Dans la chaleur d’un été lourd et orageux, une fin de journée nonchalante, trouver un peu par hasard sur le présentoir d’une agence de voyage placé sur le trottoir devant sa vitrine, une brochure épaisse, un catalogue d’appartements estivaux à louer sur la Costa del Sol en Espagne. En attraper un, un peu par désarroi, et la rapporter chez soi. En la feuilletant s’étonner de l’uniformisation de ces appartements.

Des pages et des pages d’images stéréotypées sur papier glacé, présentant les mêmes vues d’appartements, avec une chambre sommaire, propre et fonctionnelle, un ou deux lits, une table de nuit de part et d’autre du lit, un vase disposé de chaque côté pour la symétrie, et sur une table en face du lit, un poste de télévision, la chambre qui s’ouvre sur une terrasse par une large baie vitrée, une fenêtre coulissante pour faire entrer la lumière, donne sur un balcon qui surplombe une piscine à partager avec les autres vacanciers de la résidence. Les murs sont le plus souvent blancs, parsemés de quelques cadres, le plus souvent des aquarelles représentant des paysages marins.

Regrouper l’ensemble de ces centaines de photographies de chambres et de piscines, leur uniformisation si poussée, afin de tenter de comprendre, dans cet exercice de regroupement, ce jeu de patience, faits de recoupements et d’associations, de rapprochements et d’incises, ce qui nous fascine tant dans ce motif répété des différentes pièces et leurs similitudes inquiétantes, cette vacance qu’on interroge dans ses moindres détails jusqu’à la vacuité, au point de s’y perdre en faisant du surplace dans un aplat de blanc et de bleu.

Pas vraiment le style haussmannien

En montant sur la terrasse, je me suis dit que notre maison sortait de l’ordinaire et n’avait pas vraiment le style haussmannien.

L’architecte a laissé chacun libre d’aménager, d’améliorer la pièce dans laquelle il passe ou il vit, c’est un lieu mobile et changeant (un mobile home sans roues visibles) et les locataires ou propriétaires ne font pas preuve d’une présence métronomique, ce qui repose.

Là, je me suis étendu sur un transat : la vue est large, dégagée, le ciel est bleu, la mer est calme. Je repense au titre de ce livre merveilleux du trompettiste Chet Baker, Comme si j’avais des ailes (10 x 18, 2001, N° 3358). Une envie de voler, de s’envoler, de planer au-dessus des toits de tuiles, des frisottis des vagues, un rêve sans doute freudien.

Les raies parallèles du tissu – on se croirait, dans cette chaise-longue, comme sur le pont d’un superbe bateau de croisière où l’accastillage brille de mille rayons, où la barre est en bois verni et le capitaine en uniforme blanc avec casquette et galons dorés – ressemblent à des caresses : rose, bleu pâle, jaune safran.

Il suffit de se laisser aller dans le bercement sans bruit, sauf lorsqu’il est dérangé, de temps à autre, par un cri de mouette (il s’agirait d’un rire, dit-on).

La surveillance paraît nous avoir oubliés. La terrasse avec vue (vérifier s’il y a des livres de Pascal Quignard dans la bibliothèque) fonctionne comme des lunettes stroboscopiques. Des paysages différents se succèdent à chaque fermeture des paupières : chacun peut alors faire son cinéma sans devoir aller dans une salle obscure.

Pour le moment, l’espace rectangulaire est désert. Ce n’est pas encore le lieu ni le moment de l’apéritif ni du barbecue. On ne risquerait pas, de toute façon, d’enfumer les voisins, il n’y en a pas un seul à 20 km à la ronde.

Ici, pas besoin d’une montre ni de se soumettre aux changements d’heures d’hiver ou d’été. Quelqu’un d’avisé a pensé à installer un cadran solaire sur le petit mur, il porte évidemment la formule inaltérable : Tempus fugit.

Haussmann, 6.12.14_DH

(photo prise le 6.12.14 à Paris. Cliquer pour agrandir.)