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Vous êtes entré dans l’entrée de la maison[s]témoin.

Vous avez poussé la porte de l’entrée de la maison[s]témoin avant d’entrer et vous avez noté sur le mur une petite fissure, extrêmement délicate, comme la coquille d’un œuf en train de se fendre.

Vous vous êtes dit que vous en parleriez plus tard à qui de droit, sachant pertinemment que vous oublieriez cette question, comme d’autres. D’ailleurs vous n’êtes pas certain de savoir qui est qui de droit, ni s’il est en capacité d’entendre.

L’entrée de la maison[s]témoin, hormis cette ligne de coquille d’œuf qui s’ouvre, vous semble vide, mais alourdie par une odeur de citron. Vous ne savez pas pourquoi, mais vous pensez que ce parfum d’agrume est particulièrement bien indiqué ici. Un parfum un peu aigre, un peu acidulé, un peu rafraichissant et un peu désolant de ne pas être naturel, mais assez entêtant pour savoir se mêler de poussière, de colle, de mastic, de peinture, de neuf, sans en être enseveli.

Sur le sol, vous notez qu’il y a, près de la butée de la porte, un éclat de plastique rouge, avec dans ses linules des restes de plâtre. C’est une cheville cassée en deux dans le sens de la longueur, oubliée par un ouvrier, puis négligée par la femme de ménage. Car c’est sûrement un ouvrier et une femme de ménage vous dites-vous, sans pourtant vous scandaliser, ou si peu. D’ailleurs, votre irritation ne changerait pas grand-chose. La femme et l’ouvrier ont disparu depuis assez longtemps pour ne plus être ni un ni une, ni l’un l’autre joignables, reconnaissables, ils pourraient marcher dans cette rue, derrière la porte de l’entrée de la maison[s]témoin, sans que vous le sachiez, ou prendre le bateau, se fondre dans une avenue, un souterrain de gare, un escalier roulant, ou chez eux éteignant la lumière, repliés sur une chaise à l’écart des fenêtres, compulsant des papiers ou se remémorant la veille, et choisir un ou une ne changera pas l’entité anonyme qui les grignote à petits coups de dents, finement, finit par les ronger, entièrement, on ne voit plus leurs visages, mâchoires, oreilles, cheveux, on ne voit plus leurs hésitations et leurs silences, on ne voit pas leur inexistence, seul un morceau de plastique rouge aux lignes hélicoïdales salies de blanc.
Il y a vraiment beaucoup d’espace dans cette entrée, et il est vide, pensez-vous encore.

Lézard

Et cette lézarde intérieure répond à une lézarde extérieure, sans doute parce que les maisons-témoins sont ainsi construites un peu vite pour ne pas durer aussi longtemps que la promesse vendue, et dans cette lézarde extérieure vit un lézard qui sort quand il le désire au soleil, sur un pan de mur lézardé inaccessible aux visiteurs, parce qu’il y a le grillage qui sépare du lot d’à-côté qui appartient au vendeur de piscines qui dresse ses piscines bleues et vides ouvertes vers le ciel et la rocade. Les visiteurs poseront sur leur terrain hypothétique ce mur-là un peu mieux qu’ici, ce mur lézardé là ils le poseront non-lézardé au même endroit qu’ici par rapport à la maison, puisqu’il est la maison, mais orienté autrement et en un lieu bien différent, bien loin d’ici, et sans lézard. Le lézard, lui reste là, caché derrière le grillage, les yeux plissés vers le bleu sec des piscines du voisin.

Lézarde

Dans le placard à balais, une lézarde est dissimulée par un balai. Un balai-témoin pas utilisé pour le ménage-témoin parce que les visiteurs visitent une maison propre de toute éternité, dans l’idée d’un bonheur parfait arrêté comme sur une photographie souvenir d’un souvenir permanent où le ménage vit sans faire le ménage ; et surtout parce que le ménage-réel est sous-traité par une société qui vient avec ses propres balais-non-témoins. Et quelqu’un fait donc un véritable ménage ici, sans doute la seule action véritable qui a lieu ici, sans faux discours persuasif, sans fausse moue dépréciative, pas de rêve projeté ni de souvenirs d’un futur souriant, rien qu’un vrai ménage de vraie poussière et de vraies traces de pas. Lors de ce moment de vérité qu’est le ménage-réel, pour ne garder que ce qui doit témoigner, le temps qui passe et les traces des visiteurs sont effacés pour de bon, il ne s’est jamais rien déjà passé ici avant que quelqu’un n’entre visiter encore.

Magazines sur la table basse

Il y a des magazines sur la table basse du salon et bien qu’il s’agisse d’authentiques magazines, exemplaires gratuits ou anciens numéros récupérés, leur contenu parait soudain tout aussi creux que les livres en carton des étagères, vides que les paquets de céréales et la brique de lait du réfrigérateur qui s’allume quand on l’ouvre mais ne refroidit pas. Les titres, les actualités, les faits importants, majeurs, de politique intérieure et internationale, les faits de guerre, les annonces et les démentis, tout devient faux ici, actualités d’un monde-témoin qui s’évaporera dès la sortie de la visite, donnant l’illusion de retrouver un monde meilleur, débarrassé de ses intrigues politiciennes, de ses massacres, de ses impasses.

Canalisations

Le spectre du tort dans un dégât des eaux avait passé sur leur front comme une meurtrissure de honte. Heureusement il n’en était rien et les canalisations étaient simplement à déboucher. Mais cela signalait toutefois que le moment du départ était venu et, admirant la cuisine équipée impeccable de cette maison sans conduits, non raccordée, ils se prirent à rêver, ici : si l’on ne touchait à rien, tout fonctionnait dans l’idée.

Des bibliothèques un peu partout !

Je propose que l’on installe, ici, et ailleurs aussi dans la maison–témoin, des  bibliothèques et une table où poser nos livres en cours.

Je lis : Pascal Quignard, Critique du Jugement – Philippe Grand, Jusqu’au cerveau personnel – Maryse Hache, Baleine-paysage – André Hirt et Philippe Choulet, Glenn Gould, Contrepoint et existence.