La voiture dans le garage

 

 

 

On peut toujours y poser des objets cachés, ici ou là, mais un garage en restant un, on va y mettre une auto. Tant pis si elle n’est plus utilisable.

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Il s’agit d’un modèle étazunien : le type qui a donné son nom à la firme  disait « vous pouvez choisir n’importe quelle couleur pour votre voiture, du moment qu’elle soit noire », un type avec qui on peut discuter, comme on voit. Dans le même temps, les types dans cette histoire ne valent pas un clou, mais enfin restent les femmes, les deux héroïnes, de vraies héroïnes de cinéma comme on les aime.

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Il y a Louise (interprétée par Susan Sarandon, magique comme toujours il me semble), qui est serveuse, connait son travail, fait des économies, ne sait pas exactement pourquoi peut-être.

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Et il y a Thelma (rôle tenue magistralement, vraiment, par Geena Davis), probablement femme au foyer, épouse d’un idiot qui aime le football (étazunien, certes, mais enfin…).

On a encore le droit de rigoler.

Deux jours de vacances, « allez viens » dit Louise et Thelma vient, en effet. Le film décrit les horreurs endurées par des femmes seules, ce n’est pas compliqué elles ne font que se battre, rendre les coups qu’on (les hommes, en particulier) leur inflige, c’est en Arkansas, puis au Texas peut-être que ça se passe, ce sont peut-être seulement des blancs qui agissent ainsi, mais elles ne font que se défendre. Et rire. Et vivre. Foncer jusqu’au Mexique (je me suis souvenu de ce « Point Limite Zéro » (« Vanishing point », Richard Zarafian, 1971) de ma jeunesse, basique et probablement plus superficiel). Passer par le grand canyon du Colorado. Des citations de « Duel » (Stephen Spielberg, téléfilm 1971), ai-je cru déceler et aussi de « La mort aux trousses » (« North by northwest », Sir Alfred, 1959) et d’autres sans doute.

Des coups du sort, dirait-on, s’abattent sur elles. Un flic (Harvey Keitel, impeccable) veut tenter de les aider : impossible.  Dans la nuit qui précède le dénouement, elle apparaissent le visage de l’une en surimpression sur celui de l’autre.

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L’une puis l’autre au volant de cette T-bird 66 décapotable verte…

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Ah Thelma, si joyeuse, drôle ravissante…

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et Louise, sérieuse, gaie, enchantée…

Une vraie merveille pour un garage témoin : c’est peut-être trop, c’est peut-être excessif, mais on doit donner le meilleur pour n’en conserver que quelques bribes de souvenirs, les témoins de notre gratitude envers ces femmes auxquelles le cinéma donne une vie et une existence (c’est aussi, pour ça qu’on l’aime)

 

 

Merci à MDBC pour le prêt du Dvd.

Les rêves ne seraient-ils que (men)songes ?

 

Merci à MdBC pour le prêt du DVD.

 

On pourrait aussi bien mettre cet oiseau noir dans le garage, avec le cric, dans un coin sombre, il n’y paraîtrait rien.

Ici sa première apparition dans le filmfaucon maltais 5cachée,  ficelée de papier journal, entourée d’ouate, est-ce quelque chose de précieux ? n’est-ce que le « macguffin » dont nous parle Sir Alfred, fréquemment ?

Il tourne autour de ce volatile (une représentation d’un faucon venant semble-t-il de l’île méditérranéenne nommée Malte)  quelques unes des figures du cinéma d’Hollywood (le film est réalisé en 1941 par un homme qui n’a pas trente cinq ans – John Huston, dont le père joue le tout petit rôle du capitaine de La Paloma Jacoby, lequel meurt en apportant la réplique de l’oiseau) : Humphrey (quarante deux piges)faucon maltais 1avec son chapeau sa lèvre mouillée, qui roule ses clopos, dans le rôle de Sam Spade (héros de Dashiell Hammett scénariste), qui est appelé Speed par Peter Lorre (37 ans) amaigrifaucon maltais 3un Peter Lorre nommé Joël Cairo (il était le « M » (Fritz Lang, 1931) dans le rôle de Hans Beckert, il en avait alors 27), la charmante brunette Mary Astorfaucon maltais 2adorable mais brune et (donc ?) meurtrière, tout ce monde tourne autour de l’effigie, sans oublier « the fat man » (mister Kasper Gutman, interprété magnifiquement comme à chacun de ses rôles par  Sydney Greenstreet)faucon maltais 4(dans « Casablanca » trois ans plus tard (Michaël Curtis, 1944) avec Boggart (encore, et même photographie de Arthur Edeson) il fera le passeur – cette profession courante en temps de guerre…) tout ce monde (et d’autres dont les flics, dont le procureur, le détective de l’hôtel Belvédère – chambre 685 pour Joël Cairo, je me souviens) tourne autour de l’oiseau noir et rare.

Mais faux (en plomb) (je balance oui) : et cette fausseté n’empêche pas son poidsfaucon maltais 6« c’est lourd, c’est quoi ? » demande benoitement le flic de service (Ward Bond), et Spade de répondre, comme tout bon étazunien qui se respectefaucon maltais 7s’emparant de la bestiole, pièce à conviction sans doute, mais qu’il a tant convoitée comme tous durant toute cette historie (cent minutes quand même hein)faucon maltais 8comme si on allait y croire…

 

 

Dans la boite aux lettres

 

 

 

« Une femme dans chaque port » pourrait tout aussi bien convenir comme titre à ce film (1983, Alain Tanner) mais ici le port est  la ville, blanche dit-il, une sorte de personnage.

(Moi ce que je préfère, ce sont justement ses couleurs-passées, pastelles- les céramiques de ses façades, l’eau un peu éparse mais si présente. C’est elle, mon personnage, mais elle n’est pas ici exactement comme je la connais).

L’homme est arrivé en bateau

cassinca

sur le Tage vers la ville, il passera sous le pont du 25 avril (les oeillets de 1974, tu sais bien), l’homme s’arrêtera dans un bar, qui fait aussi pension/hôtel, non loin des tramways

vous êtes fou aussi ?

une salle où les aiguilles de l’horloge tournent en sens inverse : l’histoire, la jeune femme (elle sert au bar, elle nettoie les chambres, elle ne couche pas avec des inconnus), le lieu, le balcon qui donne sur l’estuaire (chambre trois cent quatre), la gentillesse des autochtones, la ville qui se laisse approcher, prendre par les rires, la joie, ses escaliers et ses descentes, au loin les linges aux fenêtres, au loin les marchés aux poissons, le pont

vers le port

on voit bien, on s’aime on se prend on se laisse on se termine on s’oublie, une histoire comme dans chaque port mais un rythme heureux peut-être est-ce ce Paul (Bruno Ganz)

sur les quais

qui tout à l’heure, à la nuit, pour quelques dollars, prendra un coup de couteau, s’en remettra (ici il suffit de passer le pont, c’est avant, c’est tout se suite l’aventure)

sur le pont

qui comme à une étape ici s’arrête, écrit au loin à sa femme probablement (sa? qui peut savoir connaître accepter ce possessif ?) (femme ? épouse ? compagne ? dans quel port du Rhin vit-elle ? où est-ce à Hambourg, ni gris ni vert comme à Oostende et comme partout ?) à qui il écrit, à qui (voilà trente deux ans) il envoie des selfies animés, vers qui (sans doute probablement qui sait ?) il retourne par la gare, la gare de Lisbonne qui de l’intérieur ressemble à n’importe quelle autre gare

la gare de Lisbonne

et elle, à sa fenêtre longtemps avant la fin de ce film lent beau lourd contemporain mais déjà démodé, elle qu’on ne reverra plus (« elle s’est envolée » dira son patron), elle Rosa qui dit « non »

à la fenêtre

sa maison, est-ce sa maison (« c’est tout petit chez moi » dit-elle – Teresa Madruga), on ne sait, une sorte d’arrêt, une manière de pause, une attente, une vie à filmer, à écouter, à entendre et pour le reste, une ville, serait-elle blanche, dont l’âme, à tous les plans, bat

 

 

« Dans la ville blanche » est une production helvetico-britannico-portugaise – Paulo Branco/Alain Tanner en producteurs exécutifs.

Des gaufres

 

 

C’ets une sorte de gâteau, cuit dans un moule, puis agrémenté de sucre glace, blanc ou greige, ou chocolat poudre ou autre douceur style chantilly quelque chose : c’est pourquoi ça se trouvera dans la cuisine

rosetta 2

c’est immédiat, cette reconnaissance – en Belgique (cette jeune fille-dix sept ans au moment des faits, au siècle dernier, mais l’an dernier du siècle- née à Beloeil vient de taper trente quatre), ce type de gâteau se concocte dans de petites officines (je me souviens -les souvenirs diffèrent toujours- des frites de la Chapelle à Bruxelles

bruxelles2 frites la chappelle

le froid et les yeux qui pleurent), – son nouvel ami, d’occasion, peut-être, Riquet qu’elle sauvera

rosetta 3

de la noyade, même si elle dut y réfléchir un peu, à deux fois, parce que cette réflexion-là continuera le long du film, bien entamé alors, les gaufres, le sucre vergeoise, la peur de sourire, les cernes de soigner aider haïr sa mère, son idée fixe pour le travail, pour le travail caméra à l’épaule

rosetta

je ne sais plus où j’ai retrouvé cette photo, mais cela n’importe pas,  ce qui compte (« ne pas tomber dans le trou ») fait agir cette jeune fille, le pauvre trafic de son ami, qu’il lui offre sans doute aussi pour qu’elle le partage, ce qu’elle ne peut pas partager, c’est la loi du plus fort, alors serait-elle femme, aurait-elle une mère alcoolique, vivraient-elles dans un camping au gardien odieux, une caravane, quelque chose, quelque part, ce n’est pas que leur misère nous soit si proche- et pourtant si -, ce n’est pas non plus que le simple amour que lui voue ce Riquet vendeur de gaufres ait une telle ampleur, non plus que cette tentative de suicide, le gaz manque, non, ce n’est pas cette trahison (n’a-t-elle, plus que lui, besoin de ce travail ? n’a-t-elle pas, plus que lui, ce handicap d’être ce qu’elle est, fille et déclassée et chargée de veiller sur une mère perdue, au fond, à la fin du fond, au bout de la lie, en finir, enfin en finir) s’il se pouvait, ce serait tout à la fois… Et oui, Riquet est là, et le monde tourne…

Quand on cherche « rosetta » aujourd’hui, le moteur robot nous indique le nom de cette sonde qui tourne non loin d’une comète (une étoile filante)…

Aujourd’hui, qu’est-il advenu d’elle ?

Qu’advient-il de tous ces personnages qui sur les écrans vécurent un moment, vivront encore quand on les convoquera ou alors simplement imiteront ce que nous savons être la vie, dans nos os, nos coeurs, nos entrailles, qu’en est-il de « la Comtesse au pieds nus » (Maria Vargas alias (a.k.a comme disait Lucien) Ava Gardner-Joseph Mankiewicz, 1954) , de la Karen de « Stromboli » (c’est Ingrid Bergman, Roberto Rossellini, 1950) ou d’Ilsa Lund (la même dans « Casablanca », Michaël Curtiz, 1942), d’autres, tant d’autres (ici « Rosetta« ) ailleurs Anna Magnani ou Claudia Cardinale Sophia Loren ou Virna Lisi ? Monica Viti ?

Vivre, ne pas tomber dans le trou, vivre et vivre encore

Comme des bêtes

 

 

Il m’est soudain apparu que si cette maison dont nous sommes les témoins tendait parfois à accueillir des humains, ou des goules des fantômes des trolls des revenants des striges (je l’aime bien celui-là), il y manquait des animaux, des bêtes, des vraies, des domestiques ou non, sauvages ou barbares ou ont-elles donc une âme, ou encore ceux de compagnie, les meilleurs amis de, les plus nobles conquêtes et autres  allégories de quelque chose dont on ignorerait la composition ou les sentiments, mais qui, non loin de là, oeuvrerait à notre bien-être. Quelque chose à laquelle on aimerait croire ? en tout cas, ici, ils auront le beau rôle.

Evidemment, le cinéma nous en a souvent apporté (on a aimé « King Kong » (Ernest Schoedsack, 1933), comme celles du Comte Zaroff (du même mais en 1932), apprécié les serpents de « Duel » (Steven Spielberg, 1971, téléfilm mais n’importe), moins le squale des « Dents de la Mer » (le même mais en 1975), détesté ses dinosaures ( encore lui : « Jurassic Park », 1993 – sorti le jour de mes quarante ans t’as qu’à voir- en vérité cette espèce-là, si elle a jamais existé autre part que dans les esprits légèrement embrumés de quelque fantôme ou autre empreinte n’a pas fini de nous faire sourire doucement), il y a eu le « Max (mon amour) » de Nagisa Oshima (1985), tant d’autres), et ici il n’y en aurait pas ?

Balivernes.

Les voici un peu héros de ces trois films.

Trois volets magiques (pas vu le troisième vu qu’il ne sort que demain mais on s’en fout).

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Si l’histoire « pleine de bruits et de fureur » est racontée « par un idiot », on dira qu’ici il est bien joli (Shéhérazade est interprétée ici par Cristiana Alfaiate- voix off formidablement utilisée, j’adore ça). On verra « L’inquiet », « Le désolé » et « L’enchanté » plus de six heures qui passent comme un rêve. Dans le deuxième, un chien tient une place sensible mais plane

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(il parait que dans le monde réel (?), il porte le nom de Lucky), on l’appelle Dixie et il change de costume à chaque plan où il paraît (ou presque). Dans ce deuxième épisode, j’ai beaucoup aimé le fait que les deux suicidés retraités ou presque laissent leur appartement rangés comme jamais.

Dans le premier, et par ailleurs, on avait droit à un coq bavard

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qui portait son nom générique de bête à ravir. C’est le souvenir que j’en garde. J’espère que dans le troisième volet les choses se donneront un air plus enjoué (il faut dire, peut-être, que le film retrace une année au Portugal, où, comme en Grèce ces temps-ci, la plupart des habitants ont été sommés de rembourser aux banquiers -ici priapiques- fonds monétaires banque centrale européenne ou autres, je ne sais plus,  des sommes qu’ils n’avaient pas empruntées, faisant ainsi le bonheur de ces rapaces (beau film d’Eric von Strohein, 1924) mais le malheur d’une population (presque) entière).

Je garde en mémoire l’épisode des Magnifiques

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où le monde va se baigner au premier janvier, je garde en mémoire la beauté des paysages de l’épisode Siamo « sans tripe », je pose ici ces quelques images pour me souvenir des films précédents de ce réalisateur (Miguel Gomes) à qui on doit « Ce cher mois d’août » (2008) et « Tabou » (2012) magnifique, retenant aussi le son de tous ces films dû à Vasco Pimentel (dont on parlait ici).

Bêtes et hommes, dromadaires, baleines, coqs loups, d’autres sans doute (j’en oublie) forment les capitales figures de ces histoires modernes, contemporaines, vivantes et tellement touchantes.

 

 

Le Sacrifice (brûler…)

 

 

 

 

Ce type est un cinglé (mais on ne le sait pas exactement, on le suppose seulement) il est vieux (c’est un acteur fétiche) il a commencé juste après la guerre (la deuxième mondiale) avec Ingmar Bergman mais je l’ai connu aussi dans un film dont j’ai rédigé le découpage plan à plan (pour « l’Avant-scène Cinéma » du temps de Claude Beylie) « Dimenticare Venezia » de Franco Brusati (« Oublier Venise », 1976) dans lequel une vieille femme (je crois me souvenir qu’il s’agit de sa mère-mais plus sûrement, à me relire, de la bonne ou de sa nourrice) incarnée par Nerina Montagnani déclare « rose rouge, coeur ardent » qui m’est comme le seul et unique langage des fleurs qui me reste aujourd’hui ( le langage des fleurs, comme la carte du Tendre, sont pour moi des choses que je ne veux pas chercher à élucider). Je divague, c’est cette maison qui en est le témoin : dans ce film-ci, elle se trouve toujours sur cette île où Ingmar Bergman a tourné nombre de ses films (Gotland). Le héros en est un vieil homme (on n’a pas tellement avancé, je sais bien) qui veut conjurer le sort qui échoit au monde (une guerre mondiale – la troisième donc- qui dévastera tout). Si je l’ai choisi ici, c’est pour renouer avec la maison(s)témoin, parce que abandonnée quelques semaines, il faut y faire quelque chose d’assez spéciale (le film, au début et à la fin, baigne dans la musique de Bach – la passion selon Saint Matthieu- et c’est assez spéciale en effet) (1). Mais Andrei Tarkovski est, lui-même assez spéciale aussi.
Il a dédié ce film à son fils et depuis sa sortie (en 1986, grand prix spécial du jury à Cannes -président Sidney Pollack) j’ai cherché à le voir. Puis, vu, après « Andrei Roublev » j’ai aussi vu (il y a peu – compte en est rendu ici) le film de Chris Marker, où on voit précisément ce fils venir embrasser son père (celui-ci est mourant et mourra, en effet, quelques semaines plus tard). Il y a quelque chose chez Tarkovski et dans son amour du cinéma qui tient d’une sorte de miracle (lequel miracle est à l’oeuvre dans son dernier film, ce sacrifice donc).

Le vieil homme, incarné par Erland Josephson, donne à Dieu tout ce qu’il possède et c’est ainsi qu’en un plan extraordinaire en fumée s’envole sa maison.

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À la vérité, je dois de dire que je n’ai pas exactement compris ce film (ici, il est accroupi devant sa maison en flammes et se rend compte, peut-être, du sacrifice qu’il a consenti). A la première vision j’ai juste été subjugué : on voit que le feu est mis, c’est lui qui l’allume, il n’y a personne dans la maison, toute la famille est partie se promener.

sacrifice 2

C’est lui qu’on voit (difficilement) au premier plan : son sacrifice, est-ce le fait d’un fou ? On se dit « non c’est pas possible…! » d’autant que la maison est dépeinte d’un bout à l’autre du film comme idyllique et belle, joyeuse et tranquille…

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Voici la famille qui revient : le prend-on pour un fou ? L’est-il devenu ? L’imminence de la guerre est-elle, a-t-elle été réelle ou une simple vue de son esprit malade ?

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Toute la famille est submergée (l’eau qui affleure ici est tellement magique). La maison brûle.

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Et lui, ce vieil homme, voit cette femme, sa voisine

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en qui il croit, et il la remercie.

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La maison est en cendres

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et on emmène le vieillard vers l’ambulance qui le conduit à l’asile (l’affaire est entendue donc : on a affaire à un fou).
Tout au long du film, je suis resté subjugué par les images. Ce plan où la maison brûle, où on court après le « fou », où on le rattrape

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car il faut l’interner (déchirant)

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il en va de la vie du monde, peut-être : du vrai cinéma.

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Et donc, et comme à l’accoutumée, tout est, encore, à refaire…

Y voir une allégorie de l’art, de la religion, y comprendre que la voisine agit comme un être doué de pouvoirs de sorcellerie (blanche puisqu’elle est censée avoir permis d’éviter la troisième guerre mondiale…), pourquoi pas ? Restent, toujours et comme toujours au cinéma, les images qu’on en a gardé…

Et donc, dans cette maison(s)témoin, l’une des plus belles façons de dire, au monde, qu’il faut y croire.

 

 

 

(1) : on pourrait expliquer le fait que ce billet soit posé aujourd’hui par la conjonction qui a voulu que dans les flammes, durant la nuit dernière, en fumée se sont envolées des milliers de choses qui auraient du participer à l’édification de la « quatrième travée » de la Cité des sciences et de l’industrie, accident (probablement) qui ne peut laisser l’auteur indifférent.

 

 

 

 

La musique du générique

 

 

Ce qu’il faut faire, avant tout peut-être, c’est faire tourner de la musique. C’est le tout du générique : tout savoir sur un film dès le générique (ou du moins si le film sera comme on aime), c’est le gimmick. J’aime ça (j’aime Saul Bass, par exemple, j’aime les James Bond seulement pour le pré-générique, et tant d’autres choses, les voitures, le machisme, le dom Pérignon cinquante trois j’en laisse de côté, je vais recevoir des cailloux) : de la même manière, quand je pose des fantômes ici (aujourd’hui c’est mon acteur préféré favori dans un film d’un de mes réalisateurs préférés favoris qui, en plus, sont tous les deux italiens, et j’aime tant l’Italie, tu sais), je me souviens du film (peut-être le seul que j’apprécie, avec « la Nuit américaine » (1973)  et « la Chambre verte » (1976) de François Truffaut) « les Quatre cents coups » où le jeune Doisnel  vole des photos de je ne sais plus quel film (« Citizen Kane », peut-être bien) dans la vitrine devanture d’un cinéma (ça n’existe plus, ça, une vitrine devanture d’un cinéma).

Francesco et IOrèneIrène Papas et Francesco Rosi

Tu vois, ce que j’aime dans cette photo, ce sont les visages, le sourire, la tristesse, mais la main de Francesco sur le bras d’elle, et la montre.

Dans le film d’aujourd’hui, je ne sais pas où le mettre mais probablement dans la chambre, sur la table de nuit, le héros incarné par Gian-Maria Volontè possède une même montre-bracelet, mais au bracelet fait de fils tissés d’or. On ne le voit guère, mais je me souviens (j’ai du voir ce film une demi-douzaine de fois depuis : la dernière fois, c’était en présence du réalisateur, avec sa casquette, sur la scène du cinéma des grands boulevards nommé Max Linder), qu’il la porte lâche sur le poignet (je fais, depuis, la même chose). Cette histoire de pétrole dans la fin des années cinquante, en Italie, faite de bruits et de fureur, de cris et d’accident d’avion

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(je suis allé chercher cette image quelque part, en effet, et d’ailleurs, il me semble qu’elle est marquée), cette histoire d’hommes d’affaires qui ici, dans le sud, luttent contre des forces occultes (tu sais l’Italie, la Sicile, le sud, le soleil le plomb, la poussière, la crasse, l’Otan et la standard oil, ajouter une dose de front de libération national, de décolonisations et la mort qui rôde toujours, Francesco avec sa casquette et ses lunettes de soleil, cette Italie-là, qu’on verra aux Etats Unis, avec Sergio Leone et son « Il était une fois en Amérique » ses semblables liens avec Hollywood, on regarde Franck Sinatra qui danse avec Dino, toute la panoplie de ces années-là…)

l'affaire matteï 2

J’ai posé Robert Wyatt et fait tourné « Alifib », j’ai cherché deux images volées dans la vitrine retaillées, peu retouchées, les amitiés de la seconde image sont traitresses, sur le sol du sud l’avion s’écrasera, au poignet d’Enrico cette montre, le rythme du monde, mille neuf cent soixante deux (le film date, lui, de soixante douze, palme d’or à Cannes ex-aequo avec « La Classe ouvrière va au paradis » d’Elio Petri (1971), avec le même Gian Maria…).

Je sais : ces années-là sont, pour moi, blessantes. Je sais, j’oublie je voudrais bien mais la chaleur de juillet, les départs en vacances et les plages où l’on bronze, oui…  toujours là, l’été, toujours là, la chaleur, un peu d’ombre, des lunettes de soleil, un bon livre, mes amies et je pars

2 stal 22 juilletcontre-jour sur la rotonde de la Villette à Ledoux 

J’essaye de tenir le rythme de publication d’un billet la semaine dans cette maison(s) témoin mais là, je m’en vais, je reviendrai dans cet antre probablement vers le milieu du mois d’août.

Contemporains

 

 

Goules, fantômes, vampyres et striges, revenants, succédanés erzatz, âmes mortes et damnées, que sont donc ces apparences transposées d’abord en mots, puis en images projetées sur ces écrans, lesquels immédiatement ensuite n’en recèlent ni traces ni marques ? J’ai proposé ici des objets, mais il commence à suffire même si ce type de spectres, d’esprits, d’âmes ou d’ombres, ces objets donc  font tout aussi bien l’affaire pour peupler cette maison tout droit issue d’un imaginaire que personne ici ne chercherait à contrôler, maîtriser ou même simplement envisager (du visage, nous autres, écrivants, n’avons que le nôtre, au miroir, tandis que devant cette fenêtre ouverte, nous tentons de peupler un peu ce vide  creusé par des histoires qui n’en finiront jamais). Ces ectoplasmes s’incarnent, voilà tout, et dans les salles obscures (peut-être devrais-je les poser au salon ? c’est fait) sur les écrans, devant nos yeux, ils font comme s’ils vivaient vraiment. Vingt quatre fois par seconde, peut-être…

J’avais l’intention de comparer deux films – la nationalité est importante mais elle ne veut plus rien dire de nos jours, le marché est le seul important au cinéma, la production, les banques, les emprunts et autres Sofica ou centre d’image animée créent les conditions dans lesquelles se réalisent ces objets-là : une clé suffit, serait-elle « bus universel en série », pour transporter ces objets (j’ai laissé de côté les télés, mais c’est que je les agonis). En tout cas, tous parlent ici une même langue.

olivier goumret

J’avais à l’esprit le travail que mènent ces héros : « agent de sécurité dans des hypermarchés » (hyper-marchés, super-marchés, le marché ne se sent plus)  : on y contrôle les vols des uns (les clients) et des autres (les employés) tant est vraie la similitude qui unit ces deux classes issues de la même : faire surveiller les uns par les autres est d’un bénéfice formidable et d’un profit inexpugnable pour leurs employeurs.

vincent lindon

J’avais à l’idée aussi une autre forme de représentation : tant et si bien que, le temps allant, je me suis trouvé devant un autre film (j’y pense juste à présent). Elle (Corinne Masiero) y joue le rôle d’une caissière. Eux sont agents de sécurité.

corinne masiero

Mais tous sont issus d’une même classe : employés promis à un chômage  pratiquement assuré (sinon à la prison, sinon au cimetière). C’est pourquoi ces lieux où se déroulent ces actions me semblent des définitions du marché : on oblige à rendre gorge (simplement parce qu’il a la prétention de parler pour ceux qui l’ont élus) à un premier ministre européen, les choses allant comme elles vont, les affaires étant ce qu’elles sont, elles continuent, ainsi va le cinéma.

Les blessures ? Qu’importe ?  Les fantômes agissent : je suis allé voir autre chose, c’était au Royal (un cinéma de province, Condé-sur-Noireau, si ça dit quelque chose), on y donnait (on donne toujours les films dans les cinémas, comme on sait) ce film français, une comédie, certes, je n’en laisse apparent qu’un des objets emblématiques.

comme un avion

Peut-être me dira-t-on : « ça n’a rien à voir ». Ou « tu mélanges tout ». Ou encore « il faut aussi savoir décompresser » : certes, c’est vrai, je le reconnais. Mais une fois cette soupape rodée, que reste-t-il des fantômes qu’on a croisés, lors de ces séances ? Ici (Olivier Gourmet, qui joue dans « Jamais de la vie », (Pierre Jolivet, 2014), et Vincent Lindon dans « La loi du marché » (Stéphane Brizé, 2015),  deux banlieues de Seine-Saint-Denis, sans aucun doute; là une des régions les plus impactées (ce mot formidable tiré d’un vocabulaire militaire qui impacte celui de la science du marketing) par la « crise » (cette fameuse qui démet Alexis Tsipras par la grâce d’une triplette insolente et irresponsable), le nord du pays avec « Discount » où joue Corinne Masiero (Louis-Julien Petit, 2014). Préoccupations : manger, chercher du travail, en trouver, aider et subvenir à ses besoins, tenter de survivre.

Et ailleurs ce « Comme un avion » tout droit sorti de ce sept huit où vivent les personnages (le Chesnay, il me semble bien : Bruno Podalydès, 2015). on y trouve les problématiques des dominants : manche à air en forme de lampadaire, construction d’un canoé sur le toit d’un immeuble, allégorie d’une forme de liberté, celle du corps notamment (une veuve noire se transforme en veuve blanche par la magie de l’amour) : une semaine de vacances… Que se passe-t-il ? Rien, sinon que celle-ci couche avec celui-là, et puis celui-ci avec cette autre, le cours de l’eau, l’absinthe, un radeau bleu…

Ce n’est pas que ces films se ressemblent ailleurs que dans le fait qu’ils sont, en partie, français. Ce n’est pas non plus qu’il faille à toute force les rassembler à cette seule aune. Non. Mais on les pose ici, avec leurs défauts, leurs différences, leurs similitudes (on voit bien aussi un agent de sécurité dans le film versaillais), afin de se souvenir de ce que, durant ces mois-ci, enfantait ce cinéma-là

 

 

 

Sous la fenêtre de la chambre du haut

 

 

Sous l’une des fenêtres d’une des chambres (imagine qu’elle soit louée à une étrangère de passage, un/e jeune étudiant/e ou quelqu’un des nôtres, un/e ami/e, une connaissance de la maison, depuis longtemps imagine depuis longtemps cette maison une famille l’habite les enfants sont partis les grands parents sont morts, depuis tant de temps, peut-être est-elle habitée par le veuf, la veuve, qui cherche une compagnie plutôt qu’un loyer faible dérisoire, imagine un peu), sous la fenêtre de la chambre à louer, on a installé une planche de bois dur, et lourd, on a posé des tasseaux (c’est une fenêtre dans un chien assis), on les a fixés de grosses vis et de grosses chevilles, en plastique gris les chevilles, la perceuse et le bruit, la vrille, le bruit, ce sera comme un bureau, on l’a louée et puis le temps est passé, la planche est restée là, c’est une planche de bois dur et elle servira à reconnaître que l’écriture de ce type a été tracée dessus…

lohmann m le maudit

Le type, le locataire, un chapeau, un manteau, des bonbons et le silence de l’escalier, Allemagne années trente, à l’image la loi et la force de l’ordre, l’inspecteur Lohmann, il pense, et finit par trouver, oui, sur cette planche, les empreintes du crayon rouge, oui, on pense, cet homme, est-ce qu’on se souvient de lui ? Ah, Peter Lorre : « pourquoi moi ? » dit-il, « cette ombre je ne suis pas seul, je ne suis jamais seul quelqu’un me suit, je ne suis jamais seul, il est là, il me suit, c’est moi... », il sifflote un moment cet air de Grieg (trente et un, le son au cinéma commence, le son comme une antienne, comme un apport, comme une ouverture sur quelque chose qui évoque, le son comme à la radio (j’ai mis un lien un peu de commerce, mais ça ne fait rien, c’est pour Savannah) lui il le siffle, « un aveugle en gémissant« , disait Jean Roger Caussimon, « sans le savoir a marché dans le sang/ puis dans la nuit a disparu/ c’était peut-être le destin/qui marchait dans les rues« , oui, la force du destin), est-ce qu’il est responsable, tuer une enfant, responsable, une ville cherche son meurtrier, cette lettre tracée dans son dos, sur son manteau, quand il se retourne elle disparaît il lui faut un miroir, les mendiants, la pègre, la loi, ce n’est pas discours que de ne porter à l’image que l’inspecteur Lohmann, non, pas seulement, Allemagne année trente, j’ai peur de reconnaître les actes avant-coureurs, Fritz Lang qui vient après Samuel Fuller, un panthéon, une vraie furie… Sous la fenêtre, une planche et les traces du crayon, rouge il me semble me souvenir

 

A la folie

 

Il faut bien, sans doute, qu’on pose ici un système de chauffage (je vois bien que le travail d’installation est en cours, je propose seulement). Il y a là un élément important : le radiateur. La réalité des choses veut que ce couloir (« Corridor » dans le titre) soit infini : il y aura là

shock corridor

un type, journaliste, qui voudrait confondre quelqu’un, lequel aurait probablement par accident mis fin aux jours d’un ou d’une autre sans vraiment en avertir sa hiérarchie. Ou alors intentionnellement. Plus probablement. (J’avais pensé aussi à « Soudain, l’été dernier », (Joseph Manckiewicz, 1959) mais finalement, c’est le radiateur qui l’a emporté). C’est que de peupler ainsi cette maison de héros plus ou moins inconnus de la cinématographie mondiale (ou tout au moins celle à laquelle je suis, disons, perméable) avait créé chez moi une attention plus grande, un désir aussi de rendre présentes des choses qui font que le monde est tel qu’il est. La folie, c’est une chose qui le fait avancer (tu vois, par exemple, il n’y a pas si longtemps, sur l’allée verte, à Paris, dans cette zone industrielle en Isère, ou sur cette plage du côté de Sousse).

Ou alors stagner.

Ou plus précisément, reculer, oui voilà.

Reculer. Comme dans celui dit de la mort : la folie du monde, c’est un peu ça.

Cela n’avait aucune importance : cette maison-là était une maison de fous (marabout de ficelle de cheval de ferme ta boite à clous d’acier toit de maison de fous comme toi) mais cela ne se dit plus. Cela. Le type a été servi  : ah bien sûr évidemment il a démasqué le coupable (la belle affaire), il a même je crois reçu le prix qu’il convoitait tant, ça n’a rien empêché : catatonie, pétrifié comme dans un rêve où l’eau directement descendue de son propre esprit désincarné, l’inonde et et puis ensuite plus rien

schock corridor 2

camisole chimique ou pas, laisser reposer l’être, assis sur ce radiateur qu’on installera bientôt, dans l’un des couloirs de cette maison qui témoigne de l’existence indicible mais réelle de la folie pourtant car, dans la fiction,  comme on sait, tout est, toujours,  vrai