Horloge, Rimbaud et champagne !

Oui, je me suis dit qu’il serait plus aimable d’apporter une bouteille de champagne pour la pendaison de la crémaillère. Seulement, en plaçant la bouteille dans le frigo et les petits gâteaux dans un placard, je me suis posé un tas de questions : qui va vérifier les dates de péremptions des aliments ? Comment faire pour les courses ? Chacun y va ? On fait liste commune ? Personnellement, je préférerais une liste. D’ailleurs, je la commence, n’hésitez pas à la compléter : oranges, pommes, poires, courgettes, endives (j’ai une recette d’endives au jambon qui a fait ma réputation, vous m’en direz des nouvelles), gruyère, camembert, comté (pour Christine Jeanney), beurre, pain de mie, lait, sucre, sel, huile, vinaigre, œufs.

Horloge et Rimbaud

Lorsqu’on m’a proposé d’habiter dans la maison témoin, j’ai tout de suite accepté. Mais c’est très intéressé. En fait, je ne sais pas encore si je vais vraiment y demeurer, mes colocataires sont tous très sympathiques et ça promet de bonnes soirées en perspective. J’ai surtout sauté sur l’occasion pour ramener des meubles, en l’occurrence un portrait de Rimbaud offert par un ami et une horloge comtoise.

La difficulté, c’est bien sûr l’horloge. Avec ses 2m35 de hauteur, je ne peux pas la glisser dans la voiture, même en rabattant les sièges. Quant à laisser le hayon arrière ouvert pour qu’elle dépasse, c’est vraiment trop risqué pour cette vieille dame en bois de cent trente ans d’âge. J’ai donc loué une camionnette chez Intermarché.

J’ai eu un peu de mal pour trouver l’adresse, le progrès du GPS ne prend jamais en compte les aléas du trajet, déviations, travaux et autres routes coupées pour cause de course cycliste (un lundi de Pentecôte, il y en a qui ont de ces idées, je vous jure!). Enfin bon, me voilà arrivé.

Je ne savais pas trop ou décharger l’horloge, ni où l’installer. Il est vrai que je débarque dans cette maison témoin, certains y ont déjà leurs marques et je ne voudrais pas imposer cette horloge qui risquerait de dénoter avec la décoration en place, sans compter qu’elle fait pas mal de bruit avec son balancier et elle sonne toutes les heures et demi-heures, de jour comme de nuit !
(Quant à la possibilité de la laisser en l’état de non-fonctionnement, je tiens à prévenir mes aimables colocataires qu’il n’en est pas question, c’est un point incontournable pour la réussite de notre cohabitation). Bref, en attendant toute suggestion sur l’endroit où je pourrais l’installer, je l’ai laissée dans un coin du garage, Il est presque vide, il y a juste un cric pour l’instant. Je l’ai placée contre un mur, elle ne gêne pas, on peut rentrer la voiture.

Afin de regrouper toutes mes affaires, j’ai aussi déposé au pied de l’horloge le portrait de Rimbaud. De dimensions modestes (40X50 cm, il sera facile à accrocher sur l’un des murs : là aussi, j’attends les suggestions de mes aimables colocataires. Je suis désolé, je n’ai pas photographié le tableau (ni l’horloge d’ailleurs), aussi il faudra vous fier à ma description pour l’instant : inspiré de la célèbre photographie de Carjat, il représente le poète à l’âge adulte, avec un air maussade. Ceci dit, les couleurs sont vives et chatoyantes et il peut être du plus bel effet dans n’importe quelle pièce.

Bien, il ne me reste plus qu’à prendre congé et à ramener la camionnette chez Intermarché.

Ah, j’oubliais ! Après le garage, il me faut aller à la cuisine…

Chantier

Genre de maison que nous n’aurions jamais, où nous ne pourrions jamais habiter, que nous construisions à la chaîne sans plus savoir au bout où nous étions, dans quelle région, dans quelle ville, le pourquoi nous savions, l’enveloppe blanche tachée de doigts à la fin de chaque mois donnée en échange d’une signature sur un bordereau tout froissé, nous débarquions à l’aube, étions comme des ombres, certains de nous vraiment des ombres, on sentait bien à les voir glisser hors des poches de la nuit qu’ils étaient clandestins, embauchés à poignées, aucun avec papiers, ils étaient de tous ceux qui n’ont pour biens qu’eux seuls, nous ne savions même pas leurs traits qui passaient avec chaque chantier, c’était une sorte de puzzle sans cesse recommencé, cela ne variait pas, nous regardions sur plans ce que seraient les vies qui dans ces murs montés allaient se dérouler, nous vivions du dehors, c’était toujours pareil, parpaing après parpaing, construire la vie des autres et tout faire tenir à partir d’un seul fil à plomb, nous faisions le dehors, leur laissions le dedans.

 

Daniel Bourrion

À l’attaque

J’ai rêvé que j’étais un « graffeur » et que je pouvais aller poser ou apposer mes idées calligraphiques ou mes insertions mentales sur les murs de la maison.

Je sais, on me dira que ça ne se fait pas, que cela peut être toléré dans les rues, sur des surfaces extérieures, visibles par des passants, mais sûrement pas à l’intérieur d’un domicile (fixe ou mobile).

La bombe à peinture me démangeait, pourtant, ou le prédécoupage – pochoir ici ou là – qui emprisonnerait mon jet et le projetterait là où j’aurais choisi son impression sans autorisation préalable.

Oui, j’avais préparé un certain nombre d’inscriptions adaptées à chaque pièce : pour la cuisine (« Ne vous laissez pas bouffer par l’imprévu »), pour le séjour (« La litanie quotidienne se mord la queue »), pour la salle de bains (« Asperges me »), pour l’entrée (« Abandonne ici tout espoir ! »), pour les chambres (« Les antichambres se révoltent contre leur concurrentes »), pour le couloir (« Où va-t-il ? Méfiance ! »), pour la terrasse (« Plateforme d’envol sous surveillance vidéo »), pour le lieu lui-même (« Espace non répertorié par Google Maps »)…

Mais lorsque j’ai réellement « poché » mes messages, une fille nommée « C. J. » m’a interpellé :

– Tu ne crois pas que tu exagères et tu penses que tout est permis ici ? On n’est plus en 68 (ni devant la chute du mur de Berlin, comme dans le dernier film d’Arnaud Desplechin), alors remballe vite fait tes encres, peintures et pinceaux, l’architecte ne serait pas content !

– Mince, alors, ai-je répondu, j’ai dû me tromper d’adresse !

A l'attaque, 20.5.15_DH

(photo prise à Paris le 20 mai. Cliquer pour agrandir.)

méson-témoin

Les mésons sont des bosons sensibles à l’interaction forte […]
dans le modèle standard, ils sont composés d’un nombre pair de quarks et d’anti-quarks
page Wikipedia méson

mais on t'aime
on tait
mais on tait moins
on t'est moins
témoin mais
son thème oint
c'est le méson
méson t'es pair
mais on a beau
on a boson
sans cible
à l'un
sensible
à l'une
à l'un terre action
bobo boson
maisons ont thème
mais on t'aime
ouin
point c'est tout.


Philippe Aigrain

Chambre d’enfant

J’entends leurs voix, un chuchotement qui oublie peu à peu de l’être.

Ils s’attardent dans la chambre d’à côté.

Leur laisser le temps.

De toute façon je sais, je crois savoir, depuis leur arrivée que c’est une visite inutile pour la boite, que c’est pour eux une façon de mettre en sommeil provisoirement leur tension, d’éloigner la querelle qui rode, refoulée.. et je n’ai pas envie de supporter de servir d’ancre à leur calme précaire… suis fatiguée.

Un coup d’oeil et l’évidence, au moins le soupçon, que ça ne va pas pour eux, qu’on risque le point sensible.

Je pose le tabouret près du lit, ça fera une table de nuit.

Je repousse le petit bureau contre le mur, près de la fenêtre, comme une console.

J’attrape le pantin accroché au mur, je l’envoie au fond du placard..

Il manque quelque chose, je sors dans le couloir, ils parlent toujours, comme s’ils m’avaient oubliée… je glisse les quelques pas jusqu’au bureau, j’attrape une chaise, je reviens, posant silencieusement mes pieds avec une prudence de chat, j’installe la chaise en biais dans le vide de la pièce… le châle russe qui est dans le placard, jeté en vrac, un vrac qui montre bien les fleurs, pour qu’une idée de vase s’installe en même temps qu’un semblant de vie..

Je me plante devant la fenêtre, je regarde le gazon rare, le petit arbre qui ne vivra pas, je les attends.

combles — 1

Un espace blanc et lumineux découpé sous le toit.

La pénombre, ici n’a pas sa place, faute de temps. La lumière entre à flots par deux fenêtres de toit respectables. Statutaires. Il est encore bien trop tôt dans l’histoire  pour rêver d’anciennes lucarnes, de malles revenues de traversées transatlantiques, de lampes précaires, d’amoncellements de vieux tapis, d’étagères en planches croulant sous de vieux romans.

Non-Ici. Tout est neuf. Fonctionnel. Habitable. Nu et blanc, à l’image des plaques de plâtre, dont un peu de poussière s’obstine en couches imperceptibles à masquer le grain d’un bois criard qu’on vient de céruser, puis de vitrifier.

On pourra lui apposer sa griffe, au lieu, de toute évidence;  ou plus simplement un fauteuil Oluf Lund acquis à grands frais chez design-market; sous le regard impassible et changeant du ciel, on  y savourera un vide reposant.

 

Jean-Yves Fick

cric

Le cric dans le garage est un cric fantôme, tout comme les livres fantômes du séjour, c’est qu’ici les perspectives sont inconscientes, elles frisent d’autres dimensions temporelles et gestuelles, et des silhouettes s’engouffrent. Tout à coup, tu les vois, dans le coin qui sert d’atelier, ces lignes qui cernent les outils, dénoncent ceux qui manquent (mais qu’est-ce qui ne manque pas dans la maison[s]témoin ? ce pourrait être le lieu même du manque, l’endroit exact où il est aspiré, et un tourbillon invisible, irréversible, happerait constamment vers son œil ce qui n’est plus de mise, plus atteignable, ici pas de trace de fuite d’huile sur le sol, seul le fantôme de son contour d’absence, et dans le vide de l’air, l’irisation d’essence, violet et jaune en dégradés).
L’odeur du citron synthétique lutte de toutes ses forces pour faire place nette et éradiquer ce magma. Mais il ne pourra rien, tu es entré avec tes ombres.

atelier