blanc sur blanc

je l’y avais laissée étendue nue blanc sur blanc comme évanescent disparue dormait-elle
vite pris quelques vêtements jetés dans un sac noir tissu dru il était à elle
je partais à l’horizon quittais l’île quittais la maison ou bien n’était-ce qu’elle
le bruit de la porte sur ses gonds encore en moi résonne-t-il profond je me faisais la belle

 

Emmanuel Delabranche

Chantier

Genre de maison que nous n’aurions jamais, où nous ne pourrions jamais habiter, que nous construisions à la chaîne sans plus savoir au bout où nous étions, dans quelle région, dans quelle ville, le pourquoi nous savions, l’enveloppe blanche tachée de doigts à la fin de chaque mois donnée en échange d’une signature sur un bordereau tout froissé, nous débarquions à l’aube, étions comme des ombres, certains de nous vraiment des ombres, on sentait bien à les voir glisser hors des poches de la nuit qu’ils étaient clandestins, embauchés à poignées, aucun avec papiers, ils étaient de tous ceux qui n’ont pour biens qu’eux seuls, nous ne savions même pas leurs traits qui passaient avec chaque chantier, c’était une sorte de puzzle sans cesse recommencé, cela ne variait pas, nous regardions sur plans ce que seraient les vies qui dans ces murs montés allaient se dérouler, nous vivions du dehors, c’était toujours pareil, parpaing après parpaing, construire la vie des autres et tout faire tenir à partir d’un seul fil à plomb, nous faisions le dehors, leur laissions le dedans.

 

Daniel Bourrion

méson-témoin

Les mésons sont des bosons sensibles à l’interaction forte […]
dans le modèle standard, ils sont composés d’un nombre pair de quarks et d’anti-quarks
page Wikipedia méson

mais on t'aime
on tait
mais on tait moins
on t'est moins
témoin mais
son thème oint
c'est le méson
méson t'es pair
mais on a beau
on a boson
sans cible
à l'un
sensible
à l'une
à l'un terre action
bobo boson
maisons ont thème
mais on t'aime
ouin
point c'est tout.


Philippe Aigrain

combles — 1

Un espace blanc et lumineux découpé sous le toit.

La pénombre, ici n’a pas sa place, faute de temps. La lumière entre à flots par deux fenêtres de toit respectables. Statutaires. Il est encore bien trop tôt dans l’histoire  pour rêver d’anciennes lucarnes, de malles revenues de traversées transatlantiques, de lampes précaires, d’amoncellements de vieux tapis, d’étagères en planches croulant sous de vieux romans.

Non-Ici. Tout est neuf. Fonctionnel. Habitable. Nu et blanc, à l’image des plaques de plâtre, dont un peu de poussière s’obstine en couches imperceptibles à masquer le grain d’un bois criard qu’on vient de céruser, puis de vitrifier.

On pourra lui apposer sa griffe, au lieu, de toute évidence;  ou plus simplement un fauteuil Oluf Lund acquis à grands frais chez design-market; sous le regard impassible et changeant du ciel, on  y savourera un vide reposant.

 

Jean-Yves Fick

Le bureau du Havre

Ainsi, voyez-vous, ce mur rouge du bureau de l’appartement témoin réchauffe-t-il un peu l’atmosphère.

Ainsi donne-t-il envie de s’installer, d’utiliser le sous-main, le stylo, le papier, de rêver autrement à la destruction, à la reconstruction de la ville.

Une cloison coulissante donne accès au salon : on peut s’isoler ou non, c’est pratique.  Par la porte de gauche, plus classique, on rejoint le couloir qui distribue la salle de bain (comprenant tout le confort moderne, dont une lessiveuse), la chambre des parents, la chambre de l’enfant dont le lit est évolutif et qui, si nul enfant ne vient, peut se transformer en bureau. Voyez, la boucle est bouclée.  On déconseille le rouge cependant, pour la chambre d’enfant, si l’envie vous venait de la déplacer par ici.

Le mur du bureau tel qu’il se présente est orné d’une gravure qui rappelle l’importance des travaux d’Auguste Perret, lequel a relogé, on le sait, les habitants du Havre après la seconde guerre.  Il faudra lui tourner le dos peut-être, pour écrire, une fois que vous serez installé.  A moins qu’hypnotisé par la gravure vous n’entriez dedans, visitant alors a l’envi un nouvel appartement témoin, puis un autre, et un autre…

Anne Savelli

L’escalier imaginaire

 

 

Cette petite échelle de meunier sur le plan qui prend dans le salon, qu’il y aurait un double étage, peut-être soutenu par un autre indice, la fenêtre de toit du bureau, qu’un non-dit d’escalier se cache dans la maison-témoin, menant aux lieux aménagés sous les charpentes. L’escalier comme médium d’une élévation vers le lieu d’écriture, qui se conquiert à la force du jarret, dans la partie privée de l’habitation. Pourtant on y renonce, pas de hiérarchie des étages dans le plan, juste une litanie de pièces juxtaposées, on pourrait supposer tout autant une toiture descendant jusqu’au sol ou presque. Mais où sont les façades pour nous révéler. Alors naît un escalier imaginaire, dans le laiteux bleuté de la photo du salon (ping), qui s’esquisse en fond, celui qui craque à la troisième et à la huitième marche de l’enfance, celui qui amène à la porte de lumière d’une chambre de garçons, et tous les escaliers de la littérature, l’escalier dérobé derrière le rideau ou celui (pong) qui descend à la cave, l’escalier qui fait basculer dans l’autre monde,  où on traîne en lisant, qui pour dire qu’un escalier n’est pas le territoire même de la rêverie. La probabilité d’un escalier imaginaire là dans la maison-témoin.

 

Christine Simon

l’îlot central

Entre la cuisine avec sa table de petit déjeuner et le coin-repas avec son îlot central, la maison hésite entre deux styles distincts, deux manières de vivre offertes aux adeptes du cuisiner tranquille et du petit déjeuner en catimini, qui n’exclut pas le must de nos cuisines contemporaines, l’îlot central, ici uniquement à fonction de table surélevée avec tabourets hauts, et qui n’est plus central que du coin-repas.

Quelque chose d’une tour de contrôle des calories, voir de haut les menus dans l’assiette, que certes on mange encore ensemble, on s’assied à la même table, mais on se surveille. L’îlot central comme quart operator, celui qui divise  les portions, et qui dans la lumière forte d’un laboratoire transforme l’ordinaire pain quotidien, le frichti de nos grands-mères, le repas qui tient au ventre, l’avachissement sur un coin de table des fins de repas en un acte maîtrisé du corps, la bouche qui escompte ses bouchées, la colonne vertébrale roide, un certain inconfort du siège précipitant la durée du repas, le vingt-minutes chrono accordé à la nécessité de se nourrir, la lenteur de la satiété remplacée par l’esthétique du décor, on se met en scène mangeant, on mange dans le magazine de déco, on est contemporain, c’est-à-dire sain, sobre et rapide, traitant la nutrition comme on gère l’agenda, coincée entre un rendez-vous et un loisir structuré. L’îlot central, que seule cette position de surplomb sur le repas serait désormais la manière de manger.

Christine Simon

dans l’odeur

Dès l’entrée, cette odeur, je le savais, j’en étais sûre. J’ai accepté, ça me fait un petit supplément, depuis la fermeture des imprimeries, il n’y a plus beaucoup de travail ici, alors, mais je savais que le pire dans ce genre d’endroit, c’est l’odeur du neuf, je vais me mettre le masque au cas où, l’odeur du neuf, parlons-en, c’est du formaldéhyde et des phtalates, le neuf, c’est pas pour moi, mais si je vais leur dire, ils en trouveront une autre pour faire le travail. Le design environnemental, ils n’en ont rien à faire, et tout ce qui fait perdre du temps d’une manière générale, le tout c’est de caser le programme en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ont mis rapidement leurs petits meubles en place, c’est rôdé, tout dans l’apparence, mais la sécurité, qui s’en occupe à part ceux qui y passent du temps, je me demande si celle qui est en charge des visites se rend compte de ce qu’ils lui font supporter, et le problème avec le formaldéhyde, j’aurai beau aérer, ça ne partira pas, il faut des années, et moi, tous les matins à cinq heures, je vais passer deux heures dans l’odeur.

 

Christine Simon

Témoins

D’habitude, elle témoignait de votre rêve, celui pour lequel vous alliez vous endetter pour trois vies.  Bien sûr,  elle avait tout faux, mais tout de même, son mauvais goût vous aidait à préciser le vôtre.  Parfois un objet vous accrochait le regard comme cette sorcière suspendue par une courroie, miroir déformant d’une fausse réalité. Vous aviez soigneusement évité d’y regarder, qui sait quel reflet vous y auriez vu.

salon

C’est une couverture parfaite. Car cette maison là, elle témoigne sur ses visiteurs. Ce n’est ni pour la lutte contre la subversion rampante, ni pour vous adresser des publicités ciblées. C’est un écrivain qui l’a installée pour capturer ces détails qui font toute la richesse d’une histoire. Le moindre de vos gestes servira à donner un peu d’épaisseur à un personnage.  Un héros fatigué s’assiéra adossé à trois coussins empilés  pour soulager son mal au dos. Un adolescent traîné par ses parents chez des amis barbants soulèvera une théière pour vérifier si d’invisibles serviteurs robotisés l’ont remplie juste à temps pour leur arrivée.  Une jeune femme jettera des regards apeurés à ces lustres floraux.  Mais quel est donc cet objet monté sur un immense tripode que l’on a oublié de couper à droite ? Est-ce un projecteur ou une caméra ?

Philippe Aigrain