Série sorcières #3

 

 

 

La suite des témoins à charge, qui fait la part assez belle aux producteurs de l’époque, commence par l’apparition de Jack Warner

jack-warner(1892-1978) qui avait trois frères (Harry, Albert et Samuel) (il les a évincés et escroqués : esprit de famille, sans doute… Harry en est mort), tous dans les débuts dans cette même affaire de cinéma (on dit « la Warner » comme la « Metro Goldwyn Mayer » ou la « Fox »), les voici ces quatre millionnaires (homme/blancs/cravates…)

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difficile de trouver ce type de dessin sympathique, mais que fait-on ici sinon divulguer des visages (plutôt) inconnus de gens qui exprimèrent leur haine du communisme, leur défiance vis à vis d’une idéologie dont, en effet, on avait à se méfier ? Une façon de dire qu’on appartient au « monde libre » ? L’autre ne le serait pas, ou moins ?

Vint ensuite un autre patron d’un des grands studios, celui à la lionne qui rugit « c’est l’art qui reconnaît l’art » -quelque chose comme ça- Louis Burt Mayer (1884, né à Minsk- 1957)

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on s’emploie à dire son existence, sa foi, sa dignité – difficile de ne pas souscrire à ce type de discours, mais pour quoi faire ? Dire et dénoncer… (où est Spyros Skouras, président de la Fox ? je ne sais…) (mais on va cependant poser une photographie de lui – un peu déboutonné…- accompagné de Marylin Monroe en spéciale dédicace à Anne Savelli qui travaille sur le sujet

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de la seconde blonde, je ne connais point le patronyme…).

Vient la seule femme à paraître Ayn Rand (1905-1982) auteur d’un best seller, ex-soviétique, qui apporte à cette barre des injonctions :

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ne pas dénigrer les industriels, ni la libre entreprise et l’individu indépendant, ni la richesse, ni le profit, ni le succès… C’était au siècle dernier, il n’y a pas soixante dix ans (soit l’âge du nouveau président us soutenu par le klan, lequel correspond tant à ces injonctions…). Viendront ensuite des célébrités, ici Gary Cooper (1901-1961)

Portrait of American actor Gary Cooper (1901 - 1961), dressed in a cowboy hat and a short-sleeved shirt, 1950s. (Photo by Hulton Archive/Getty Images)

puis voici Robert Taylor qui danse -l’autre type viendra plus tard à la barre, Ronald Reagan –

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(c’est aussi qu’on aime s’amuser) (le regard de la cavalière de Reagan est à mettre au compte de l’amour qu’il inspirait alors), il y aura aussi Leo MacCarey (1898-1969, réalisateur producteur de nombreux films de Laurel et Hardy)

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puis Robert Montgommery (1904-1981)

montgomeryrobert-1904-1981beau mec non ?(enfin les photos aident, et les comédiens savent se tenir) des idées frelatées trois ans après la fin de la guerre, des bombes atomiques, inspirées par les pires idées qui puisent être, en droite ligne des coups les plus tordus (ici par exemple -la photo doit dater du début des années soixante dix, Richard Nixon et John Edgar Hoover (1895-1972)

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le type à la tête du FBI -federal bureau of investigations – durant 48 ans quand même…) : marigot ou simplement rouages de l’Etat, coulisse du pouvoir ? (on a vu, il y a très peu, ce que ce bureau fédéral de renseignements avait en tête vis à vis d’Hillary Clinton, par exemple : mais nous avons, nous autres, à nous méfier aussi du « tous pourris » qu’emploient si aisément ceux qui lorgnent ces mêmes pouvoirs…). Outre ces deux promis à (comme on aime à dire) la « magistrature suprême » du pays US, à la barre viendra

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un certain Georges Murphy (acteur, 1902-1992) puis encore celui-ci (qu’on vit dans « Les Sentiers de la Gloire » par exemple (Stanley Kubrick, 1957)

adolphe-menjou1890-1963cet Adolphe Menjou (1890-1963). Enfin, vint à la barre Walt Disney (producteur, 1901-1966) qui nous a donné un autre donald (cette photo date de 1954) (entre ce deuxième canard, le type d’Ankara qui emprisonne à tour de bras, et celui du kremlin qui se débarrasse des journalistes gênant -voir Anna Politovskaïa – on a un trio contemporain qui me fait furieusement penser à celui qui s’exerçait dans les années 30 en Europe, bénito, adolphe et antonio – l’histoire ne répète pas, mais bégaye-t-elle ?)

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Ici donc, cette galerie de types tous plutôt souriants, qui témoignent devant cette cour des activités anti-américaines qui, bientôt, va en condamner d’autres à la prison (les « Dix d’Hollywood » qu’on verra dans le billet suivant) pour des idées qui ne leur plaisent tout simplement pas (en spéciale dédicace à Asli Erdogan, emprisonnée en Turquie, contre laquelle est requise la prison à vie…) (et à Olivier Bertrand, en ce samedi 12 novembre, journaliste en garde à vue dans le sud de la Turquie – il a été libéré dimanche 13 novembre).

 

Suite et fin de la série : #4

 

 

 

Fuocoammare

 

 

 

C’est par centaines de milliers qu’on recueille les réfugiés, ils viennent d’Afrique noire, sous le Sahara qu’ils ont traversé, passant par la Libye où ne règne plus que le chaos, on les jette en prison, des mois, des années, ils meurent, ils survivent, comment payent-ils ces milliers de dollars aux passeurs, on ne sait, ils meurent elles succombent les enfants, des milliers et des milliers, des réfugiés chassés par les guerres, les religions, les impostures armées, la force et la servitude, les tortures, les exactions les meurtres les viols. Des hommes à d’autres hommes… Des centaines de milliers.

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Ils accostent parfois sur l’île de Lampedusa (on ne les voit guère, ils passent la nuit, ou au petit matin, on ne les voit pas, on vit) et les enfants comme les adultes vivent quand même. Ce n’est pas que ce soit une honte, non, mais c’est tellement injuste (qui a dit que la justice existait ici ?).

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Des jeunes garçons, celui de droite se nomme Samuelle, il mangera des pâtes à la sauce tomate et aux encornets préparées par sa grand-mère, laquelle lui expliquera le froid, l’hiver, la mer et les pêcheurs, elle coud des ourlets à ses serviettes ou ses torchons. Ils vivent. Les autres aussi, ils jouent au football, on les voit de temps à autre, nous seuls, pour les habitants, sans doute est-il impossible de se savoir ici, presque bien portants, presque heureux au fond, de la vie qu’on mène. Nous autres, la crème de la terre…

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Un seul homme dans le film nous indique s’en occuper, c’est le médecin, qui bien sûr en fait des cauchemars, bien sûr des morts si fréquentes, des images qu’on ne peut soutenir, des morts, des frères, des soeurs, des vies volées, pourquoi les leurs, pas les nôtres ? On ne sait pas. Ils et elles meurent, femmes violées battues emprisonnées, enfants estropiés, dénutris assoiffés morts de faim  de soif morts, tant et tant de morts, sur cette île

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entre la Libye et la Sicile, l’Italie qui les recueille « Où êtes-vous ? dit la radio, quelle est votre position ? » et la même  radio qui diffuse cet air « Fuocoammare » (qui veut dire « la mer en feu ») une chanson douce dédiée par Maria à son mari en mer, et cet autre pêcheur qui va, cageot en mer, chercher des oursins, cette mer-là, la même, qui engloutit tant et tant de vies, ces guerres qui déciment tant et tant de belle jeunesse, inflige tant et tant de morts…

 

« Fuocoammare », un film documentaire de Gianfranco Rosi (2016).

 

 

Série Sorcières #2

 

 

(il faudrait s’interroger sur le fait de faire porter aux sorcières de tels oripeaux : on ne chassait pas les « sorcières » à ce moment-là à Hollywood, et dans tous les états dits unis, mais bien plutôt d’abord les supposés communistes, puis aussi – car il s’en trouvait de nombreux à Hollywood – les juifs. Pas que, évidemment : Bertolt Brecht fut ainsi inquiété (il prit le bateau pour l’Europe le lendemain même de son audition par ce comité pour la chasse aux anti-américains – en américain HUAC soit House un-american activities committee – il s’agit en effet d’une maison, comme ici…). L’idéologie qui animait cette chasse avait des sources avérées dans celle du ku klux klan – certains des membres de ce comité en étaient des émules tout aussi avérées (évidemment, ça pue). La composition de ce comité n’est pas un secret. Il s’agit de neuf représentants (plus le président, un homme qui, pour se hausser, pose sur son fauteuil un annuaire sous un tissu rouge, John Parnell Thomas, qui est un élu républicain) : cinq républicains et quatre démocrates. Il s’agit d’hommes (quarante à cinquante ans quand débute cette épisode de l’histoire des états unis – hormis le zélé NIxon qui tape les 34 piges). Dix hommes qui statuent sur le sort d’un vingtaine d’autres (on verra la plupart d’entre eux dans les épisodes suivants). Les membres de cette commission changent tous les ans, on ne liste ici que ceux qui auditionnèrent, en octobre 1947, les diverses personnalités plus ou moins accusées d’avoir appartenu au parti communiste (témoins dits « amicaux » en fait « à charge » et autres « inamicaux » qui tentent de se défendre – c’est qu’il s’agit de témoin, comme ici, aussi) : l’histoire est complexe, elle est ici retracée par quelques photographies, des portraits qui ne font que figer quelque chose qui se dissout, un peu comme la mémoire.

Pour le moment, voici ce hommes (ce ne sont que des hommes, blancs) : Karl E. Mundt (1900-1974) élu républicain – du Dakota du Nord – au Congrès (patelin, hein : la vue, derrière lui, est juste magnifique – on sait ce qu’il a derrière la tête)

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De John McDowell (1902-1957) , on ne trouve pas de photographie. Vient ensuite Richard B. Vail (1895-1955) (qu’on voit,chapeau canaille à l’extrême gauche dans ce cliché

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(tout petit, désolé). A l’extrême droite on reconnaît le futur président Richard Nixon (1913-1994) (destitué en 1974 pour fraude, escroquerie et autres vétilles : joli pedigree) (des deux autres, je cherche les noms): on trouve de ce futur ce joli cliché datant de sa présidence (c’est peut-être un mème d’ailleurs mais il est réussi)

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et on en finit avec les républicains.

Au rang des démocrates, John Stephen Wood (ouvertement membre du kkk, ce sont ces gens qui brûlent, tuent, violent, torturent des gens au prétexte qu’ils sont noirs) (on aura droit à deux clichés)(il succède à la tête de ce comité à Thomas, un an plus tard)john-stephen-woodjohn-stephen-wood-2 puis John Elliott Rankin (on l’a déjà croisé) (1882-1960) élu du Mississipi, ouvertement raciste et antisémite

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James Hardin Peterson (1894-1978) élu de Floride

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(j’ai trouvé de lui cette image assez olé olé enfin cette pose qui fleure un peu sa starlette

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) et Herbert Covington Bonner

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ou dans cette pose naturellement avantageuse (ou martiale, je ne sais à quoi il pensait en la prenant, ou le photographe qui peut-être lui demanda de se tenir ainsi)

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(elle rappelle furieusement celles qu’affectionnait l’ordure duce Mussolini – moins le fumier de Franco – ou cette pourriture de fürher, mais tous ces gens-là sont du même acabit : rien de moins que des hommes…).

On a tenté de mettre un peu d’humour dans le ridicule de ces propositions photographiques : le ridicule n’a jamais tué, mais eux ? Sous quels auspices et quels égides s’abritaient-ils pour condamner d’autres semblables pour des idées qu’ils leur prêtaient ?

 

prochaine édition : les visages, peut-être plus connus, des témoins dits amicaux.

Série sorcières #1

 

 

C’est indéniable : il manque ici un coin où déposer les ordures – en même temps, personne n’y vit, pas de déchets, pas de commodités non plus, on comprend bien mais enfin, tout de même et malgré tout, cette série-là que j’entreprends sans savoir si je vais jamais parvenir à tenir -tous les mercredis – quelque chose sur le bouquin – je crois que ça peut durer huit itérations – cette série-là y aurait une place puisqu’elle retrace une période assez idoine, mais qui m’importe -je suis né là-dedans, dans un département protégé il me semble, loin de la neige et des pluies d’automne, à peu près dans le moment où les choses se gâtaient un peu – en mars de cette année-là (celle où je vis le jour) celui qu’on nommait le « petit père des peuples » cassait sa pipe (plus bas PPP) (peu de regrets stuveux), en juillet à Panmunjeom (le 27, à peine avais-je six semaines) l’armistice était signée en Corée, quelques années plus tard dans notre beau pays, celui qu’on nommera « tonton » début quatre vingt créait les compagnies républicaines de sécurité, les peuples commençaient à vouloir et à pouvoir disposer d’eux-mêmes (on se souvient aussi de la conférence de Bandung de 1955, aussi, quand même).

Comme ce que j’avais entrepris pour les femmes de ce pavé titré « Le Nouvel Hollywood« , je continue mon exploration d’un lieu créateur de cette industrie étazunienne première exportatrice de ce pays.

Commence ici donc la mise en images du « Les sorcières d’Hollywood » de Thomas Wieder (Ramsay poche cinéma, 2006)(de la prouesse selfique ou selfiesque duquel  on se souvient peut-être – on voit qu’il aime le cinéma, hein) –  ici au premier plan alors que là-bas dans le fond – le protocole est respecté – nono et son homologue Barak attendent qu’on en finisse avec ce cirque

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) sous titré « Chasse aux rouges et listes noires » – j’aurai mis une majuscule à « Rouges » mais chacun fait ce qu’il peut. Des sorcières, comme des fantômes, ou des êtres surnaturels. Voilà tout. On remarque que, pour des sorcières, il ne figure guère que des hommes… Les desseins des pulsions de cette part de l’humanité sont parfois parfaitement éclatants. 

La seule ambition de ces billets sera de montrer, si je les trouve, les visages de ces gens-là.

 

Le commencement sera dû (disons, pour faire simple) à un certain Martin Dies (affilié au klan (une ordure de plus), eh oui, démocrate et texan : la complète)

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préparateur en chef de la chasse aux communistes dans les états des années trente et quarante (le communisme a assez bon dos : en fait, il s’agit d’abord de chasser du pouvoir Roosevelt et consorts).

Ici une image de Franklin Delano Roosevelt, y’a pas de raison (encadré par Winston « no sport » et le PPP à Yalta) (manque Charly dG sur la photo, il en sera bien marri).

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Viendra ensuite, sur les traces immondes de Dies, Sam Wood, réalisateur (connu aussi au préalable pour ses films mettant en scène les Marx brothers) ici avec Mickey Rooney (à gauche et jeune, c’est déjà une star)

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(Sam Wood connu aussi pour le fait de stipuler dans son testament – la classe, ça ne s’invente pas –  qu’il déshériterait ses enfants s’ils s’inscrivaient au parti communiste). Recommandable ? Je ne sais pas trop, mais ça ne fait que commencer. La « chasse aux sorcières » comme on  l’a appelée : il s’agissait de flanquer tout ce qui n’était pas d’extrême droite en prison (je simplifie à peine). Les années quarante voient donc l’émergence de ces charmants garçons (beaucoup de garçons, très peu de filles, mais elles ne tiennent rien du pouvoir – le mois prochain, je pense que les choses vont s’inverser…).

Fin quarante cinq (son altesse Truman au pouvoir, on se souvient des 5 et 9 août de cette année-là quand même : deux ou trois cents mille morts…), arrive John E. Rankin, sénateur du Mississipi (clapote en 1960) à la présidence de la Commission des activités antiaméricaines

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qui débute vraiment cette chasse, poursuivie par ce John Parnell Thomas (il tient des listes noires) : c’est le deuxième en partant de la gauche

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lui aussi sympathisant du ku kux klan (cette pourriture ne nécessite pas de majuscule) cinq joyeux drilles, pas à dire, et qui voit-on là, droite cadre ? Eh oui, Richard Nixon avec ses potes, sans doute le plus jeune.

A la fin des années quarante, cette panoplie d’enchapeautés assez canaille va faire régner la délation, la trahison, la haine et la peur à Hollywood et dans tout le cinéma étazunien d’alors…

 

 

la suite au prochain numéro

 

Argumentaire

 

 

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’ici, il s’agit d’une antenne, d’une annexe… d’une dépendance si vous voulez…

Je ne dirai pas cela mais un très grand groupe, oui, forcément multinational bien sûr, ce sont des échelles importantes mais non les frontières ne constituent en rien une division,  un clivage ou une séparation, rien de tout ça dans notre esprit, notre façon de penser, notre manière d’envisager les choses, non, notre esprit est induit dans la plus pure transversalité…

Mais clairement, clairement… Transparence efficience pertinence ce sont nos maîtres mots, je dirai nos obsessions… Le siège ? Eh bien à Jersey Madame…

Mais certainement pas, ce qu’il faut savoir, Madame, Monsieur, c’est que ces constructions sont réalisées sur place, avec des matériaux locaux, évidemment, évidemment, il faut des aménagements, mais tout est… Mais oui, mais parfaitement, une éthique sans la moindre faille… Nous veillons au plus grand respect des lois en vigueur dans les pays dans lesquels nous intervenons… Socialement, mais parfaitement, oui… Dans le monde entier, des centaines de projets similaires voient le jour en Inde, en Chine, en Malaisie, que sais-je… Mais c’est que la demande est excessivement forte et que la conjoncture s’y prête complètement, c’est juste le moment, et concrètement je dirai qu’il ne faut surtout pas attendre…

Mais évidemment, mais bien sûr que les charges sont réduites au minimum… nous y veillons avec un souci constant… payables quand vous le souhaitez… dans une certaine mesure… mais comme vous dites, à tempérament, si vous voulez, comme vous l’entendez, bien sûr, c’est vous qui êtes maîtres de tout, c’est toute la force et je dirai toute l’efficience de ce projet… oui, nous savons qu’acheter sur plan a quelque chose d’hypothétique mais enfin regardez, tous ces dessins performatifs, toutes ces images sont bien réelles, je dirai réel tout ce que vous avez là, regardez le caractère d’authenticité par exemple ici dans le garage ce béton lissé dans les gris, dans les taupes… une vraie merveille… très réussie, oui… ah oui, oui mais alors la teinte coquille d’oeuf est en option, aussi oui, salissante mais en option… Eh bien écoutez, voyons cela ensemble, alors les tarifs, voilà c’est ici, quinze pour cent, avouez que ce n’est vraiment pas… ah oui, sur le prix tétécé, oui ben oui…  Alors le fournisseur est le même que celui qui a remporté de haute lutte le marché de la centrale d’Hinkley Point, c’est tout de même une référence… Hinkley Point, oui, c’est au Royaume Uni… Dans l’Europe, mais oui, toujours… Les dernières technologies, sécurisées consolidées et approuvées par la commission…

Jusqu’à preuve du contraire, Madame, la plus extrême vigilance… Mais tout à fait, il s’agit de notre manière de concevoir les choses, mais il n’y a aucune manière d’envisager… Non, impossible, ceci est contractuel…

Mais vous vous trompez, permettez-moi de vous le dire, vous vous trompez complètement, il n’y a là rien qui puisse nuire à…

Ah mais là, alors là vous avez parfaitement raison, je dirai même plus, vous êtes dans votre plein droit, tout à fait tout à fait tout à fait, exactement rien à dire je vous suis parfaitement absolument entièrement je partage, je partage, soyez-en persuadée, Madame, et vous aussi Monsieur, nous sommes absolument conscients de… Tout à fait, mais je pense que personne ne pourrait vous en tenir rigueur… Absolument, un délai de réflexion, si vous voulez vous concerter, je vous laisse libres et maîtres de votre réponse, je peux tout à fait vous laisser discuter entre vous si vous le souhaitez… Parfaitement. Oui.

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Ah.

Eh bien, tant pis, mais vous avez peut-être… Je ne crois pas, non, une offre telle que celle-ci est tout à fait je dirai spéciale, personnalisée, individualisée,  et dès demain, vous comprenez… Eh bien à prendre ou à laisser, non, vous y allez fort tout de même, mais suivant le marché, dans les dix neuf à vingt deux pour cent… Fatalement fatalement… Mondiale, que voulez-vous, mondiale, oui… Voilà. Au revoir, avec plaisir, Madame… Monsieur…

 

Jusqu’au bout du monde

 

(ce n’est pas tant que ce film ait besoin qu’on en parle-grand prix du jury à Cannes cette année ça va plutôt bien pour lui – sans compter la pléiade de vedettes -elles sont cinq qui tiendraient seules chacune un film à bout de bras et hors de l’eau-, mais c’est cette façon de parler le français qui fait avancer le truc : le cinéma des US des fois ça va bien) (on ne parle guère du cinéma indien, tu vois, philippin ou je ne sais pas trop ces industries d’autres pays – a-t-on le droit de dire « je ne sais pas trop » j’ai peur que non, il faudrait chercher, j’ai pas le temps je ne sais pas où et les semaines succèdent aux précédentes) (en même temps, c’est aussi une affaire un peu sotte que de parler d’un film qu’on a vu : il faudrait faire l’inverse) (tant pis) 

Ce sont donc cinq rôles, un premier disons

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(Gaspard Ulliel, Louis) et quatre autres (seconds ?). Les voilà tous autour de la table, on ne voit guère Vincent Cassel -il est en bleu – c’est le fils à Jean-Pierre- il jouait dans la haine il y a vingt ans -ici Antoine)

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il s’agit d’une famille (point de père : est-il seulement celui des trois, ou y a-t-il un secret ?), on reconnaît la mère (Nathalie Baye, en brune : Martine) puis sa fille ( Léa Seydoux, en tatouée dite Suzanne) au fond le fils par qui le scandale n’arrivera pas (Gaspard donc), l’aîné des enfants donc Vinz, et un peu de dos la bru (Marion Cotillard, Catherine). Il y aura bien un petit rôle de silhouette dans la scène de lit mais on l’oublie bien qu’il soit au centre du mutisme qui s’emparera de Louis – ou alors celui-ci (son mutisme) était déjà programmé (mais auquel cas il n’y aurait point de film). Louis vient annoncer sa mort prochaine à sa famille qu’il n’a pas vue depuis douze ans. Il ne l’annoncera pas (n’y parviendra pas, probablement), mentira sans doute en disant qu’il reviendra souvent, puis s’en ira. Unité de temps, de lieu, d’action (on passe sur les flash back qui mettent en scène Louis, un peu Antoine, un peu pas mal Pierre -son ami d’enfance, amant, amour, qui vient de mourir).

C’est un film qui reprend la trame d’une pièce de théâtre écrite par Jean-Luc Lagarce (librement adapté, dit-on)

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mort du sida en 1990. Ressent-on quelque chose de ce théâtre , sans doute (le carton de début dit « quelque part, il y a quelque temps » sans autre forme de précision), une espèce d’huis-clos, quelque chose de la contrainte, de l’autobiographie ? Peut-être, mais en sortant de la salle (où était-ce ? sur le quai de Seine, vu que le film est co-produit par cet exploitant-prod-distrib), je me disais que le pacte qu’on a avec un film était rompu : on sait que Louis va annoncer sa maladie sa mort prochaine qui lui vient d’elle – ou invente-t-on ? je ne sais plus exactement…- , mais puisqu’il vient dans ce but revoir sa famille (comme une dernière fois) tout tient sur cette annonce, une espèce de suspens peut-être; comment va-t-il s’y prendre – on voit bien ses réticences et ses difficultés, il en parle avec son amant-ami-mari au téléphone (est-ce bien un homme au bout du fil, je ne sais pas bien : il faudrait réentendre pour déterminer l’indice qui nous conduit à le savoir, ou le croire) – mais d’annonce, point.

On dira c’est l’incommunicabilité qui est mise en scène. Bof. Mais en français, en tout cas. Ca rappelle un peu ce qu’on disait des personnages du nouveau roman à une époque (qui brisait, parfois, le pacte avec le lectorat). Ca rappelle aussi ces films qui disposent d’une fin qualifiée d’ouverte (c’est au spectateur comme il l’entend de finir). Ca ne me plaît pas. Ca n’a pas d’importance, c’est vrai, mais c’est dommage (les acteurs, même Vinz/Toineau, ont quelque chose qui indique une direction forte et maîtrisée) parce que ça n’aide pas à croire en ce cinéma-là, or le cinéma, c’est l’art de l’illusion par excellence, et donc de la foi…

visite virtuelle #6 garder la main

 

 

– En tout état de cause, c’est vous qui gardez la main… Mais certainement, vous et vous seuls  êtes les propriétaires, il s’agit d’un home-unity de toute beauté, une communauté de vie, un commun comme on dit aujourd’hui, quelque chose qui inspire comme une idée de partage, et d’ailleurs toutes les énergies sont ici renouvelables, les aliments bioéthiques, ça ne fait aucun doute, la durée du séjour est illimitée, le lieu est tout simplement magnifique et parfaitement adapté à tous les usages, les vôtres évidemment, comme ceux de votre dame, tout autant…

– Ah oui… Alors, attendez que je regarde… Oui, alors ah oui… un établissement d’hébergement pour… oui, tout à fait, oui… Mais parfaitement, le cas de la dépendance est évidemment prévu dès l’élaboration des plans de la maison, vous pouvez à votre choix, comme à votre guise, prendre le standard de plain-pied, ou celui avec un étage et ascenseur intérieur… Ah oui, c’est un peu plus onéreux mais le service est hors pair…

– Plain-pied, si vous le souhaitez. Les diverses options sont extrêmement distinguées, taupe ou gris, comme vous voyez, vous gardez la main comme vous préférez, en option la teinte écaille d’oeuf est assez prisée, mais il y a aussi une possibilité… Oui, par exemple vous voyez, le couple qui vit en face, ce sont des Islandais, ils viennent pour la douceur du climat bien sûr et eux ont aussi opté pour une présence estompée mais de framboise… Moyennant un supplément certes… Ah je ne pourrais pas vous dire exactement, mais de l’ordre de quinze à vingt pour cent, oui je pense… Ah mais oui, tout à fait oui, vous avez remarqué, oui, en effet mais les moeurs des propriétaires ne nous regardent pas, nous proposons et vous disposez, vous gardez la main sur tout… En ce qui concerne les soins, vous ne pouvez pas vous trouver à une distance de plus de cinq cents mètres du dispensaire, tout est prévu… Tout, oui tout à fait un médecin sur place, deux infirmières, deux garçons de salle, tout est prévu… Eh bien, dans les deux semaines, la disponibilité est totale… Il y a une trentaine de home-unity en activité, mais nous tablons sur le triple d’ici quelques mois, oui… Vous serez très bien, servis, choyés, c’est certain… Les repas sont servis chez vous, nous disposons d’un menu coloré, lundi rouge, mardi jaune et cetera… Une image pimpante, voilà exactement tout à fait… Midi et soir, la teinte peut varier, c’est vous qui gardez la main, si vous le désirez, vous nous le dites… Et oui, parfaitement, nous appliquons… Il y a un barème… ici, voyez… Ah oui, c’est un peu plus oui mais ça reste très raisonnable… Voilà, oui tout à fait, comme vous voulez, c’est à vous de garder la main… Pour le transport ? Eh bien nous avons opté pour un partenariat avec cette firme allemande, tout à fait sérieuse comme vous le savez qui a repris l’ancien modèle qui avait cette tendance un peu fantaisiste propre aux sujets de sa Très Gracieuse Majesté, oui enfin, cette production a  duré, mais de nos jours, les nouveaux modèles sont entièrement électriques… Une petite voiture de golf, parfaitement, mais oui, mais oui, je vois que vous avez une mémoire fidèle et extrêmement précise et fiable, tout à fait oui cette série, anglaise je crois oui, avec cet acteur séduisant voilà, Patrick Mac quelque chose, n’est-ce pas ? Oui, voilà mais oui… une image difficile, vous trouvez ? Ah à cause du titre de la série ? Oui, c’est amusant, mais évidemment ici personne n’est retenu, si vous le désirez, vous pouvez même vous promener en campagne, sans problème… Et vous pourrez aller en ville aussi, bien sûr, vous êtes à dix minutes de la gare, privative, oui, un petit cabriolet vous y emmène, et la voiture se trouve en tête du convoi, privative elle aussi, parfaitement, ceci a été négocié aussi avec la société privée nationale, nous avons tout prévu… Vous serez au centre ville en quelques dizaines de minutes, et là, shopping, jeux, casinos ou même divertissements particuliers, rencontres distinguées, spécifiques, c’est vous qui gardez la main, notre devise « loyauté fidélité fiabilité »… Mais bien sûr, lorsque vous rentrez, nous vous attendons en gare et nous vous ramenons… Parfaitement. Un supplément dont le paiement peut-être étalé, mais bien sûr que oui, parfaitement, cela sera négocié avec l’établissement bancaire de votre choix, c’est vous qui gardez la main sur tout…

– Ah oui, eh bien je suppose qu’il faut en parler, votre santé et votre bien-être sont au centre de toutes nos attentions, nos préoccupations, vous disposez d’un bracelet comme ceci directement relié au centre de soins, à toute heure du jour ou de la nuit, vous appuyez ici et vous disposez d’une écoute bienveillante, experte, dédiée, votre dossier personnel et individualisé fait partie des prérequis bien sûr… Géolocalisé, absolument, mais vous vous y connaissez, n’est-ce pas… Ah eh bien pour votre épouse, c’est à peu près la même chose… Oui, j’ai bien compris, oui bien sûr, mais elle disposera d’une chambre, particulière et médicalisée…  Suivant son état monsieur, c’est vous qui garderez la main… Oui, le diagnostic est assez réservé semble-t-il, oui, mais enfin pour les semaines à venir, nous ferons le nécessaire, bien sûr, vous pourrez évidemment bénéficier de toute l’attention spirituelle que vous désirez, quelle que soit votre foi, votre religion, votre croyance, nous sommes là pour exclusivement votre bien-être, et celui de vos proches, bien entendu…  Parfaitement oui, vos enfants pourront tout autant… Eh bien, dans les années à venir, ce bien vous est acquis pour toute la durée de votre présence, jusqu’au dernier vivant bien sûr et puis il est remis en jeu, si vous voulez me permettre cette métaphore, et lorsque vos enfants ou l’un d’eux, ou sa famille désirent en prendre possession, nous évaluons avec eux la durée approximative du séjour, comme nous le faisons ensemble aujourd’hui, et ce seront à eux, alors, de prendre et le relais et la main…  Mais voilà oui, tout est parfaitement clair simple limpide et transparent, parfaitement…

Vous signez là.

Voilà.

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Tempête

 

Le fait est qu’il faut aussi faire en sorte que le cinéma vive : je ne suis pas complètement sûr que ce que je fais soit digne (?) d’attention pour le cinéma – le cinéma français – qui est un peu différent des grosses machines qu’on peut trouver ailleurs -jte parle même pas de l’Inde, hein, ni de la Corée ni de la Chine, ni mondial ni rien, jte parle du cinéma d’ici – je n’ai pas de prétention à la critique savante, je fais vivre ce lieu de ces images qui, une fois diffusées sur écran se perdent dans des limbes inconnues un peu comme lorsqu’on fait une faute de frappe et qu’on efface cette lettre, ce mot, qu’on le dépose où ? Qui dira la tristesse des mots laissés dans les corbeilles ? là c’était en DVD alors on pourrait le mettre dans le salon, mais non, c’est cette maison-là, toute entière, peuplée de fantômes et de revenants : les personnages de ce film-ci, le fils Mattéo

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Mayliss la fille -adoptée, on ne lui connait pas de père – sinon celui-ci-

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et le père Dominique

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interprètent des rôles, ce sont les leurs (les mots sont beaux, de temps à autres : ce sont des leurres, oui) il y a peut-être quelques années de cela. L’histoire est un peu la leur, ils jouent

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ici au scrabble, ils interprètent, ils sont eux-même tout en étant des acteurs de leurs vies passées. C’est un très joli abyme : une tempête parce que le métier du père (le « grand métier » dit-on) c’est « d’aller à la mer » (pécheur sur un chalutier en haute mer : escale à Cork (Irlande) où débute le film, passage aux Sables d’Olonnes, puis dans la campagne environnante, petite voiture) : dans ce dispositif, on pense à ce film avec le Lindon (il y incarnait un agent de sécurité) (en même temps je cherche dans mon souvenir le titre, « La loi du marché » voilà (Stéphane Brizé, 2015) où les acteurs eux-mêmes jouaient leurs propres rôles -pas le Lindon qui reçut cependant un prix d’interprétation à Cannes si je me souviens bien) (on n’a guère le droit de se tromper de nos jours, avec cet internet où on peut tout vérifier) ou cet autre film, je ne sais plus, où cette cinquantenaire (je me souviens que cependant Nicole Garcia avait présidé à l’octroi, pour ce film d’une récompense : mais tout ceci est trouble) cette cinquantenaire donc décidait de retourner à son métier d’entraîneuse alors qu’un mariage avait toutes les chances d’aboutir (c’était « Party girl » caméra d’or en 2014 -Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis). Le réalisme documentaire, une sorte de sillon tracé ici, décalé de la fiction d’une certaine manière dramatique mais aussi comique, ou burlesque parfois.  Ici, ce film nommé « Tempête » (Samuel Collardey, 2015) fait la part belle aux acteurs qui sont dans leurs propres rôles, le film fonce sans pathos. A voir (le père, Dominique Leborne a reçu un prix type Lion d’or je crois, ou coupe Volpi à Venise) (je rechercherai, j’ai pas le temps) je m’en vais…

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visite virtuelle #4 Le jardin

 

 

Ah, mais c’était il y a longtemps, ça, oui, on en mettait autour des propriétés c’était du grand standing oui bien sûr, un peu ce genre de truc, c’est de la ferraille, de la vieille et bonne ferraille mais comme vous voyez, ça peut rouiller aussi, enfin, c’est quand même un truc fait pour durer pas comme maintenant, des dizaines et des dizaines d’années, maintenant on aime quand ça change, ça ne se fait plus non, mais oui c’était là pour ceindre, on avait l’ambition de donner aux choses des abords singularisés et distingués, oui, on avait aussi la possibilité de mettre des murs de briques tout autour des jardins, parfois on les doublait d’une haie en troènes, puis une porte en bois dur, parfois même pas, ça entourait, ça disait ici c’est privé, aujourd’hui, comme vous savez, ce sont, nous avons opté pour des pelouses rases rasées qui entourent les bâtiments, les lotissements, les pavillons… Oh, c’est beaucoup mieux, mais on mettait ça en ville surtout, autour, on pouvait voir au travers, il y en a aussi autour des gares…

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c’est juste fait pour ceindre, pour empêcher aussi qu’un de ces olibrius désemparés se jette sur les voies et empêche les trains de faire leur boulot par le fait, c’est arrivé, vous ne croiriez pas l’imagination que peuvent avoir ces individus pour se supprimer, c’est à ne pas croire, mais enfin voilà, ici vous avez votre magnifique portion de gazon, là, semblable à celle que vous avez sur l’arrière, une plante grasse, ça habille, c’est un peu la campagne comme vous le voyez, et aussi là, vous pourrez emprunter le chemin qu’on va garnir pour le coup avec des petits cailloux – la teinte est standard partout, sur tous les lots oui, voilà,  c’est uniforme et c’est joli, ça donne à l’ensemble une gaieté particulière, vous ne trouvez pas ? un peu ce qu’on a coutume d’appeler une « french touch » n’est-ce pas ahah… et puis pour garer l’auto, il y a une place aussi pour la petite voiture dans le garage, ah oui, c’est spacieux, ah mais oui bien sûr, c’est en béton lissé, le petit portail est électrique bien sûr la porte… ah oui blanche, oui, c’est contractuel ça, oui, en matériau composite de dernière génération, léger, fiable, imputrescible,  on l’utilise pour construire les fusées vous savez, eh oui, tout à fait, c’est garanti, absolument, alors bien sûr, si vous y tenez, mais il y a un supplément non négligeable tout de même, on pourrait si vous y tenez faire en sorte de vous faire bénéficier d’une sorte de comment dire ? reconstitution de ce type de grille, oui, c’est une grille voilà…

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non, mais ça cache aussi la vue, c’est certain, ça a un effet dissuasif mais c’est aussi un peu gênant, ça ne s’utilise qu’en ville en même temps, vous pouvez bien sûr en bénéficier si vous y tenez mais je ne vous le conseille pas, ce n’est pas que ce soit interdit, comprenez-moi bien, c’est une dépense inutile je pense, c’est certain oui, mais vous verrez comme ça change tout d’être propriétaire, on jouit d’une position assurée, stable, confortable, d’autant plus qu’ici nous avons l’ambition de donner à nos clients une gentrification à échelle et visage humain…

Une gentrification ?…  Mais c’est un sursaut, un bond en avant, une réelle adaptation au milieu des classes supérieures aisées, de la vidéo-surveillance aux contrôles aux entrées du…

Mais évidemment, par des personnes assermentées, bien sûr…

La plupart des lots sont déjà partis, vous êtes au courant je suppose mais il ne s’agit pas de vous presser, non plus que de vous imposer quoi que ce soit, il est certain que, cependant si je peux me permettre évidemment, il est certain que pour ceindre rien ne vaut un beau gazon bien entretenu d’ailleurs vous pourrez constater que nous proposons la prestation, ici, voilà oui, là, payable au mois, afin d’entretenir comme il se doit ce petit coin de campagne, ce sera une merveille, une espèce de paradis individuel… Oui, la plupart des personnes qui nous ont approché ont décidé de prendre une option sur ce service, oui, c’est normal, tout à fait normal bien sûr, on comprend que quand on travaille toute la semaine, bien sûr, on préfère jouir de son coin de ciel bleu plutôt que de s’échiner à entretenir bien sûr, et puis l’outillage, il faut aussi y penser, bien que, naturellement, vous ayez la possibilité avec le garage… Evidemment, il faut réfléchir.

Bien sûr, évidemment.

Oui.

Quand vous voulez, nous sommes à votre disposition.

Sept vingt quatre, parfaitement, sur notre site, réponse garantie dans l’heure moyennant un supplément, vous savez de nos jours, tout se paye, n’est-ce pas…

Voilà. Oui, c’est pour vous…

Uniquement pour vous, c’est notre devise… Voilà, oui, madame, monsieur au plaisir, oui. Parfaitement, ici, mon téléphone, personnel et direct. Voilà.

A vous aussi.

visite virtuelle #2 la Salle d’Eau

 

 

Ce sont deux éviers, deux lavabos, deux vasques, l’une et l’autre dominées par des produits étiquetés codes barres prix qualités compositions emplois, baumes, crèmes, douceurs et satin, beauté et hygiène, extraits et concentrés, ou plus haut placée cette quintessence parfumée, et aussi mousses précipités appareils et émulsions force senteurs, essences et et et… vérification immédiate sur le support de faux argent par des yeux exercés et depuis longtemps rompus à ce type d’exercice -plutôt matinal, mais n’anticipons pas.

Séparer les usages, comme il se doit des genres (sauf à certains moments capitaux que, comme disait le poète, « ma mère m’a défendu de nommer ici ») (il parlait, certes, d’autre chose) : si ici se trouve le masculin, là sera le féminin (on choisira comme on aime préfères-tu, chéri-e être proche de la fenêtre ou …?  – on pensera (plus tard, nous avons le temps) à poser sur les vitres de celle-ci un film, opaque, de préférence à un tulle peu imperméable, afin de ne pas provoquer quelque atteinte à la pudeur, de ne pas choquer un voisinage semblable pourtant en tous points, mais justement cesser de s’identifier et les vaches -hors du lotissement- seront bien gardées…)

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Cette maison nous est proche parce que nous la partageons ; nous accueillons ici des couples (jeunes) (ou des vieux, si elle se trouve de plain pied)  : en salle de bain, certains sont  des habitués (on pense naturellement -naturellement, ce naturel-là est ici marqué au coin de l’usage, de la présence, de l’habitude- à la scène d’ouverture de « L’Arrangement » (Elia Kazan, 1969) (on ne se refait pas, comme on voit, et même s’ il y a pas mal de choses dans la vie, il y a le cinéma, aussi)  d’autres sont des novices un peu comme en amour : faut-il apprendre ou se lancer, tempérament ou caractère, friction fusion, se jeter ou attendre ? Deux visions du monde, insuffisantes peut-être, mais un homme et une femme (et s’il se pouvait qu’il en arrive deux du même genre pour partager cette antre, qu’en dirait le courtier -la courtière – la (ou le) « commercial-e » ? Mais rien. Rien. Non, rien de rien -sans en penser moins, évidemment – : vendre, vendre vendre voilà tout) (comme il est bon de partager le monde en deux, ici l’ombre, là la lumière) différences, onctions, soins de beauté, d’esthétique ou d’hygiène, on partage, il en est aussi ainsi des taches, la lutte pour les places, ici on est nu et on abolit dans l’omission besoins, efforts, tensions chaleurs vapeurs humeurs odeurs pour ne se consacrer qu’à une certaine apparence, s’oindre et se masser, se regarder et rectifier l’alignement des cheveux, du derme des ongles, des rides…

Ici, comme ailleurs dans cette maison, trônent, feulent, passent et disparaissent certains fantômes (on vient d’y croiser Kirk Douglas et sa femme du moment, Deborah Kerr -on emploie leur patronyme à la ville, peut-être ne sont-ce, comme pour Kazan, que des pseudonymes dus aux raccourcissements produits par les gardes d’Ellis Island – on y a vu pratiquement nu (« Allons, mon père ne faites pas l’idiot » disait-il)  Burt Lancaster en guépard, on y verrait sans doute (inutile de convoquer Sir Alfred, son « Psychose » (1960) et Janet Leigh, magnifique comme dans « La Soif du Mal » (Orson Welles, 1958) interprétant cette jeune madame Vargas) encore cette autre jeune femme qui remplace, pour sa grand-mère -qui ne passera pas la fin du film- une baignoire par une cabine de douche -la grand-mère est Claude Gensac, la jeune fille Salomé Richard, le film « Baden Baden » (Rachel Lang, 2016) (à la rigueur) , d’autres encore et tant d’autres hommes ou femmes, enfants ou chiens chats, qui jouent ici quelque chose de la vie réelle et tous les jours vécue par nous-autres, simples mortels à la connaissance binaire oui ou non, y aller ou pas , laver, curer récurer, et rincer, couper, poncer, nettoyer et jeter, frictionner puis détendre, caresser, effleurer, pincer, choyer puis épiler, comparer, regarder à nouveau l’effet au miroir, se reconnaître ou se haïr, un coup de rasoir ici un autre de peigne, là, prêts pour la jungle ou seulement le jardinage, décidément ce monde et cette maison…