Les révoltés

 

 

passera comme dans un rêve (c’était un (morceau du) titre de livre qui a disparu dans la maison brûlée) : le film commence par la scène de lit (on pourrait décrire les films par leur prise de position dans le domaine du genre : scène de lit, repas; courir la nuit, se baigner, retrouver sa mère etc etc…) mais ce n’est pas lui rendre justice que de commencer ce billet par elle (elle est illustrative, probablement, quelque chose qui doit s’y trouver, qui s’y trouve, parce que la description qui va suivre tente de coller à la vraie vie) (je ne pose pas d’image de la femme de Zé – en quelque sorte, Zé (José Smith Vargas) est le personnage principal de l’histoire si on décide que l’usine ne l’est pas). Et finalement si (Carla Galvao)

il m’a semblé comprendre que l’enfant qu’elle avait n’était pas de Zé, mais ces deux-là sont assez amis

ici ils sont tous les deux sur un radeau sur le Tage – au fond, la ville blanche peut-être bien qu’on distingue le pont Vasco de Gama sur la gauche de cette image : ça se passe dans sa banlieue – le lieu est désaffecté, des ouvriers tentent de prendre leur vie en main, appropriation des moyens de production, on pense à celles et ceux de Lip ici (à l’image Herminio Amaro)

ils ne veulent simplement que continuer à faire vivre cette usine et vivre aussi par la même occasion, le début du film montre la tentative de soustraire à l’usine ses machines, comme on l’a vu cent fois, on pense aux Conti on pense à Goodyear, on pense que c’est tout simplement dégueulasse et qu’il faut se révolter, oui, mais on suit une narration fluide (Zé, Herminio et peut-être bien  Joachim Bichana Martins)

qui montre ces ouvriers arriver au siège social, désert, il ne reste qu’un vigile qui leur dit « restez si vous voulez, de toutes façons personne ne viendra » , il y aurait bien de quoi baisser les bras mais non, des ouvriers à l’écran c’est déjà suffisamment rare ( on se souvient quand même du Voleur de bicyclette (Vittorio de Sica, 1948) là aussi, un prolo) (on pense à « La classe ouvrière va au paradis » autre merveille italienne (Elio Petri, 1971)) c’est suffisamment rare pour être souligné et soutenu parce qu’ils sont vivants et que c’est là-bas que le travail a commencé, trois heures avec eux, à sauver l’usine, à tenter de vouloir la faire fonctionner, à faire grève parce que c’est la seule solution, et puis et puis passer le temps

une séquence formidable avec des autruches

une autre en forme de comédie musicale

vivante, drôle, acerbe, parfois cruelle, Zé se retrouve peut-être bien seul, est-ce la vie, une espèce d’écho de quelque chose qui est en train de se passer (les difficultés du Portugal d’aujourd’hui, comme celles de la Grèce – j’euphémise, il la faut bien – que faire contre le système qui nous broie, nous isole, nous monte les uns contre les autres ?), comme on aime le pays, son âme et qu’on ne voudrait pas que ça disparaisse…

 

L’usine de rien, un film magnifique, collectif et portugais, réalisé par  Pedro Pinho.

Les bienheureux

 

ça se passe à Alger, vers 2007 ou 2008, je crois que c’est un peu l’hiver quand même, l’histoire d’une famille, la mère (Amal, Nadia Kaci magnifique)  le père (Samir, Sami Bouajila impeccable) le fils (Fahim, Amine Lansari – ici à droite, avec son ami croyant Reda – Adam Bessa) et les amis du fils (Fahim avec Feriel – Lyna Khoudri)– plus tourné peut-être vers cette génération-là, qui est celle de la réalisatrice (le courage parle, car c’est un film courageux).

Ca se pose dans le salonou dans la salle à manger (d’ailleurs ça n’existe plus, ça, la salle à manger, c’est complètement has-been, à l’ancienne on dit maintenant).

Ou alors dans les chambres (celle des adolescents condamnées et interdites aux parents) (j’ai des difficultés à comprendre cette affaire de territoire, comme des chiens, je ne sais plus si, de la chambre verte, j’interdisais l’accès aux autres, mais non) (on fume, on baise, on écoute de la musique) (enfin pas à l’écran) : celles des enfants, disons, ou alors celle de ce type de la police…

(j’essaye de trouver le nom de cet acteur, ça viendra : c’est venu, il se nomme Kader Affak)

Les cicatrices au cou, les tatouages les croyances ou la foi, la fumette et l’alcool, les représentations, les flics, la nuit…Je me suis souvenu du « Le Caire Confidentiel » (au même directeur de la photo : une image tramée, brouillée, sèche mais belle souvent) qui, lui aussi,mettait en scène un policier (plus violent, sans doute) : ici la guerre est passée, finie, rien n’est oublié : ni oubli, ni pardon – mais où donc se trouve la sortie ?

Pour les jeunes, ce qu’en pensent les parents (reconstruire – pour le père – s’en aller étudier et voir le reste du monde – pour la mère – surtout en France d’ailleurs – on parle assez français dans ces affaires-là) ne vaut pratiquement pas grand chose : ils ont leur vie, leurs exigences, leurs volontés sans doute – oui, comme tout le monde, mais on fait quoi, dans ces conditions ?

Des questions, le monde de la Méditerranée, de l’autre côté (la valise ou le cercueil, on n’oublie rien, de rien, on s’habitue, c’est tout), c’était novembre 57 je crois bien (je me suis souvenu de ce premier homme, de son étranger et de sa peste; et du Nobel à Albert Camus), le temps passe, tu sais, j’ai aussi pensé à ce film qui se déroulait à Cuba (comment était-ce déjà, oui « Retour à Ithaque » Laurent Cantet, 2014), il y a à peine un peu de joie ou de tranquillité, une nuit dans la proximité de la ville, vers la mer qu’on ne voit ni n’entend depuis ce restaurant « international » où on a le droit de boire du vin à l’extérieur – mais quel extérieur ? – la provocation du fils qui lui vaut une gifle méritée – les gifles aux enfants parfois, ça part, ça arrive et ça ne casse pas trois pattes à un canard non plus, faut bien dire – attends le maître mot c’est bigoterie (on voit la vraie foi de ce jeune type, Reda, qui y croit, et que peut-il bien rester, alors, que de croire ?).

Mais il restera aussi l’humour (un humour dérisoire, dévastateur, toujours présent).

Il ne fait pas si beau, ni si chaud, par là-bas – on a égorgé, tué, estropié, violé, battu et encore et encore, et ça a changé quoi ?

Les Bienheureux, un film de Sofia Djama.

Les Intrus

 

Le décor, ou le lieu prépondérant de cette histoire, est la cour d’une ferme où se trouve une petite maison faite de parpaings, petite fenêtre, tôle ondulée, une porte, tout en un, refuge prêté par la directrice du lieu à une jeune femme seule (dit-elle) et accompagnée de deux enfants en bas âge. Ainsi ici on ira dans la cuisine, laquelle fait office de tout dans cet asile ou retraite :  la maison(s)témoin, ce sera ce petit havre. La voici ici , y entrent la mère et la soeur (sans doute) de Maria, l’intruse.

On dispose d’un matériel spécial pour ce film puisqu’il a été présenté au festival de Cannes quinzaine des réalisateurs cette année dix sept (les photos en noir et blanc proviennent de cette manifestation) (promotion ou pas, parfois, on s’en fout) Et donc à l’image l’intruse qui fait le titre du film (Valentina Vannino souriante et heureuse, semble-t-il).

Sans doute, enfin on ne sait pas exactement bien, tout au long de la narration (serrée) qui, d’elle ou de sa fille, est l’intruse.

Ici l’équipe réduite du film (sans doute celles et celui qui firent le déplacement de Cannes en mai : à gauche, la jeune fille (Martina Abbate) qui joue le rôle de Rita , la fille de la jeune femme ici plutôt blonde qui joue sa mère, Maria – femme d’un mafieux qui a tué par mégarde (on sait comment ils sont, oublieux, sans trop de respect pour la vie d’autrui) un passant dans la rue – lequel était le père d’une des enfants qui jouent dans le film, dans une centre d’aide social nommé « La ferme » (en français, en italien « La Masseria ») lequel centre est dirigé par Giovanna (interprétée par Raffaella Giordano, à droite de l’image). Ca se passe à Naples (la mafia de là-bas, s’intitule la camorra).

Le réalisateur Leonardo di Costanzo, napolitain lui-même mais qui vit aussi en France, le type qui sourit avec ses cheveux blancs, nous avait déjà donné un film « L’intervallo » (2012) dans le même esprit disons (Naples, la camorra, les banlieues et les jeunes gens qui tentent de s’en tirer). Rien à faire, j’aime le cinéma italien, sinistré comme l’anglais peut-être, mais tant pis. Ici interrogé à Cannes

(un peu de couleurs ne nuit pas généralement), on pense aussi au « A Ciambra » (Jonas Carpignano, 2017), vu récemment aussi (je pensais en avoir parlé ici, mais non) qui se passe en Calabre, mais avec toujours aussi cette présence à peine entrevue de la mafia. Et c’est cette présence qui travaille : ici les protagonistes (très nombreuses sont les femmes, ce sont les premiers rôles) ont à vivre avec cette force, ou ce pouvoir. Occulte en effet.

L’intruse, c’est aussi sans doute la mafia : cette jeune femme qui a deux enfants (sept ans peut-être pour Rita, quelques mois pour son frère) ne montre rien de la reconnaissance qu’on pourrait attendre du fait qu’elle a été recueillie. Giovanna s’en arrange parce qu’elle comprend, sans doute avec beaucoup de grâce et d’humanité, qu’elle a en face d’elle quelqu’un de blessé, très gravement et, si elle n’y prend garde, de perdu.

Sans doute aussi, cette blessure ne se guérirait que par la compréhension, la mise à l’écart des meurtres du mari. Sans doute, s’il se pouvait, passerait-on l’éponge…

Ici Giovanna, qui toujours, comprend les choses plus simplement que par l’émotion, qui toujours attend pour répondre, toujours comprend avant de condamner. Pas facile : rôle en or, sans doute, mais tout le monde cependant se retrouvera  sans doute non pas vraiment contre elle, mais contre l’intruse.

Pour ma part, j’ai vraiment apprécié (d’abord les premiers, certes, mais aussi) les deuxièmes rôles, ceux des médiateurs disons : ici un garçon tellement empathique avec les enfants (je ne retrouve pas son nom)là Sabina (magnifique Anna Patierno)ici une autre éducatrice probablement (je ne retrouve pas non plus son nom)mais des seconds rôles tellement attachants (le jardinier aussi bien, le directeur ou le policier; les mères des enfants tout autant). Une direction d’acteurs d’acier, et un travail avec les enfants qui oublient la présence de la caméra, une espèce de documentaire mais non, une espèce de fiction formidablement interprétée, dirigée, écrite.

Le thème donc, que faire de ceux qui côtoient la mafia, les enfants, les épouses, se résout malgré les efforts de Giovanna : il est certain qu’il faut faire un pas vers la clarté, mais à qui de le faire, au monde de l’Etat, de la vie, de la société ou plutôt aux meurtriers et à ceux qui les voisinent ? Magnifique scène où l’intruse se maquille pour aller (probablement – c’est hors-champ ) rendre visite à son mari incarcéré, bijoux, coiffure, rouge à lèvres, qu’elle ôte avec quelque chose de la rage… Mais comment faire si le reste du monde demeure sur ses positions, refuse d’accueillir et d’aider (au fond, il s’agit d’aider et de recueillir) ces malheureux enfants de malfrats ? En sont-ils aussi, eux, des meurtriers ?

Alors, évidemment, si les efforts ne restent que d’un seul côté (de celui de la loi), ça ne peut pas se résoudre : lorsque la jeune Rita a quelques mots avec un de ses camarades (des mots qu’ont toujours les enfants entre eux (ainsi que les adultes d’ailleurs), sans qu’il soit nécessaire que cela se termine dans le sang…) et que sa mère tente d’imposer (par pure courbure de l’habitude, de ce qui lui a été enseigné) sa propre loi, ça ne peut pas marcher… Elle le sait, l’intruse écoute les conversations qu’on ne peut cacher

comprend, et s’en va… La fête aura lieu sans elle (si elle était restée, elle n’aurait pas eu lieu non plus…), sans ses enfants, sans Rita : elles s’en iront, sans qu’on sache très bien pour où, mais ce qui est certain, c’est qu’on ne les aura pas aidées à rester, et à vivre…

Terrible constat, mais qui peut être assez fort, sinon l’Etat lui-même, pour imposer cette espèce de pardon ? Et d’ailleurs, en veut-on seulement, nous autres qui ne sommes pas proches de ces meurtriers, de ce pardon de ces actions terribles qui ont été commises contre notre monde ? Pas si sûr…

 

« L’Intrusa » un film de Leonardo Di Costanzo.

 

Quatre images

 

 

Le temps est long, malgré tout, et il ne passe pas. Il arrive. Trois images (plus une), ici qui datent de l’année soixante six – les souvenirs se noient, je ne sais d’où me vient cette phrase – une chanson idiote sûrement. L’un des cinéastes les plus prolifiques, secret et inconnu de la plupart du public qu’on peut qualifier de populaire : il ne fait pas dans le block-buster, c’est certain mais qu’importe, son « La Jetée » (1962) avait quelque chose de fantastique (ce film-là est plus connu, mais son travail est assez incommensurable : inutile même d’essayer de le fonder en chiffre, cela n’importe pas).

Ici un film fait d’images fixes, j’en a pris trois il y en a toute une théorie (durée du film : 48 minutes, soit soixante fois plus de secondes, soit trente fois plus d’images donc de plans je suppose, genre 1400).

Probablement Paris, ou Anvers, Liège ou quelque part, la brume, les péniches, le fret pondéreux, avancer dans les terres, faire rejoindre ce fleuve-ci avec ce territoire-là. Même si on parle beaucoup de Cuba, coiffures danses cigares et tout le bastringue, d’autres lieux d’autres images (je ne vois pas qu’aujourd’hui on puisse comprendre la fascination d’alors exercée par cette Antille et son leader maximal et c’est bien une des déplorations du temps qui passe, et ne cesse pas).

Rond point des canaux, Paris 19. L’image est assez floue, on abat encore  non loin de là des bêtes pour les bouches affamées – tout au fond à droite, là-bas, reposent les dépouilles des monarques de cette France-là – à peine vingt ans se sont écoulés depuis la fin de la guerre – le cinéma rend présent le passé, on voit comment le monde se trouvait – on imagine seulement, c’est vrai. Ici, voilà trente ans, je comptais les entrants (ou les sortants je ne sais plus exactement), afin d’en tirer des conclusions définitives sur les flux, les visiteurs, les badauds, la présence ou l’absence suivant telle ou telle variable (compter et définir : la plaie du monde). Ici, non loin, par là, entre Pantin et Aubervilliers, vingt deux ans plus tôt que ce film, une rafle s’empara de mon grand-père. Puis dix ou douze ans plus tard, l’un de mes oncles que je croise au détour des arrêtés de fermeture de ces abattoirs…

C’est que les choses humaines, les miennes comme les vôtres, hantent toujours les images, le passé revient au présent par le cinéma, passer par un cinéma qui projette un film des années passées, noir et blanc pourquoi pas, le son quand même, regarder, essayer de comprendre en quoi ces images-là influent sur la vision du monde qu’on a aujourd’hui… Les images de guerre, de manifestations, tu sais l’année prochaine (elle arrive, espérons qu’on la verra, quand même – mais qui peut dire si d’ici demain, encore ?), l’Etat lui-même (ce chien, cet animal cruel et bas, vil et sans vergogne) fêtera (en l’espèce, s’il est encore là, son premier serviteur, le petit président) les cinquante ans révolus d’une espèce de happening, en son mois de mai – on commençait le vingt deux mars, dit la vulgate – mais comme il se doit, on réprima l’affaire (sans doute n’y eut-il que peu de sang, et j’ai vraiment peur, ces temps-ci, que le monde comme il est aujourd’hui ne réussisse pas à résoudre ses affaires autrement que dans cette humeur poisseuse qui noircit et se fige à l’air libre…) : dans le film, il est dit : « la police ne se trompe nulle part » car elle sait où frapper, toujours…

Ici une vue de Berlin, un lion (#319) qui sur son dos porte un ange probablement, et ce commentaire (off toujours évidemment) : « est-ce qu’une bombe atomique sur Berlin aurait innocenté Buchenwald ?« …

Sophisme ? qui pour reconnaître que l’histoire est passée ? il y a beau temps (le 10 décembre, je crois, ni oubli ni pardon, il m’a semblé voir passer une information sur le mémorial de la Shoah et les morts déportés de Tunisie, il m’a semblé voir ça quelque part), on n’oublie rien, il est temps de passer à autre chose, quelque chose comme l’espoir, ou la joie de vivre ? Il (nous) suffit de croire… Dehors tombe la pluie, au ciel l’astre décroît, sa courses s’infléchit ici, bientôt on fêtera d’autres jours célèbres … et un temps viendra « qui annonce pour on ne sait pas quand la survivance des plus aimés« …

J’aime tant à espérer, tu sais, tant…

Ah bah, voici ce visage magnifique, vers la fin (qui est-ce ? on ne sait, elle a vécu elle se trouvait dans une de ces réunions (ce genre de réunions qui, se terminant, voit aux abords de ses sorties les forces de police attendre de pied assez ferme (la police sait toujours quand il s’agit de réprimer, faire peur, combattre la liberté : la police aime l’ordre)) la voici vivante, pratiquement

Quatre images, une espèce diaporama commenté. Une merveille.

 

« Si j’avais quatre dromadaires » (un film de Chris. Marker, 1966) (produit par Henri Régnier (Hambourg)  et Claude Joudioux (Paris))

un concentré résumé pour connaître un peu s’il se peut Chris Marker : arte blow-up

 

Musique chanson

 

Il s’agit d’une villa, pas d’une maison(s) serait-elle témoin… souvent, à l’évocation du sujet, de l’objet, du développement, je me demande ce que je suis en train de faire – de la promotion quand le film est nouveau, ou quoi quand il est ancien, âgé, vieux, vieilli bien ou mal, je ne sais plus, et dans les rues glacées, je marche. C’est un billet programmé (demain je me tire), et aujourd’hui on a parlé de la bibliothèque, les livres tout ça, très bien, je me suis dit que l’évocation qu’on voit dans le film (un extrait d’un autre du même, « Ki lo sa ? » (Robert Guédiguian, 1985)) avait donné lieu à son scénario, mais finalement non, quoi que. Enfin, j’ai lu l’entretien que le réalisateur a accordé à je ne sais qui, et il y dit que non, ce n’est pas le point de départ du film.

La villa a été construite par le père (Maurice, Fred Ulysse) et ses amis de Méjean (le trio infernal ce sont les enfants de Maurice – Angèle, Joseph et Armand), c’est vers Marseille comme à l’accoutumée (en gros). Le mieux, sans doute, c’est cette espèce de réalité de la fraternité qu’on perçoit quand l’un embrasse l’autre, ou que le petit nouveau (Robinson Stevenin) embrasse l’ancienne (Ariane Ascaride).

C’est l’espoir (je me rends compte que je ne donne pas vraiment leur chance à Angèle et Benjamin… le matériel dont je dispose est insuffisant, ou je n’en ai pas trouvé d’autre).

Il fait beau, mais froid, apparemment, les trentenaires tiennent une espèce de compte (ils comptent beaucoup, nos amis trentenaires) (d’autant plus amicaux que ce sont nos enfants – et très souvent il m’arrive – comme à nous tous, je pense, parents ou pas – de m’interroger sur les pratiques de ces gens nés avec le socialisme (ou peut-être seulement ce qu’on appelait tel) quand il a pris le pouvoir… Les « moi d’abord » comme les TPMG (tout pour ma gueule en langage trentenaire justement), ce sont bien nos progénitures, et donc voici ce qu’on leur a appris, ce qu’ils ont retenu, ce qu’ils en ont compris (on pourrait faire dans l’écriture « inclusive » cette abjection, pourquoi pas immersive pendant qu’on y est ? non, vraiment ce monde-là – qui est assez montré dans ce film – incarné par l’ordure en motoscafi qui passe, mais aussi par la nommée Bérangère (Anaïs Demoustier) (et aussi, dans une autre mesure, par le fils des voisins, Yvan (Yann Tregouët), médecin, qui lui aussi fait comme on lui a dit de faire, j’en ai peur…) . Heureusement, sans doute, il y a la comédie et le jeu.

C’est une villa dont on va hériter (les héritages, cette plaie toujours ouverte, toujours béante et ici, ces gens-là s’entendent – c’est heureux que, quelquefois, cela puisse arriver) (pas dans ma famille, mais n’importe), une famille donc (la mère, où peut-elle bien être ? décédée probablement…), puis tout à coup, cette chanson du prix Nobel – « Je te veux » merveille s’il en est de  nos jeunes années – je me permets d’informer que je la chantais dans le métro, ça n’avance à rien années 70, mais c’était au Palais Royal – la petite marchande de violettes était sur la place – et cette séquence qui donne sa raison au film : en réalité, rire et aimer les enfants, les nôtres comme ceux des autres. Tout irait mieux, tu sais…

 

La Villa, un film de Robert Guédiguian.

en ouverture de billet : La calanque de Méjean, sur la Côte bleue – Florian Pépellin, CC BY-SA 3.0

Hans

 

Tous les plans n’y seront pas, mais n’importe : voilà qu’on revient à une espèce de table de montage (celle où (à laquelle) on passait des heures entières sans les voir passer – comme si on écrivait, et on écrivait d’ailleurs – dans le sous-sol de l’institut d’art et archéo pour disséquer, détailler, répertorier, agencer les plans d’un film ou d’un autre  – le monde a bougé, Claude Beylie est décédé, il se peut que la table ait été ôtée de cet endroit, je ne sais ce qu’il est advenu de la cinémathèque universitaire) (je me renseigne, t’inquiète) (je fais quoi, là ? je ne sais, ça n’importe pas vraiment). Dans le cadre des ateliers d’écriture proposés par François Bon, ici l’hiver 2017-18, on a une espèce de cap à tenir (durant ces mêmes ateliers – mais d’une autre année – les précis d’atelier se tiennent dans une rubrique, on peut lire pendant le week end si on veut les contributions, on peut lire les autres sur le tiers livre) : on a déjà donné, sur ce film-là mais toujours pareil, RAF ou OSEF c’est comme on veut : l’important est le travail. Tous les plans n’y sont pas, mais j’en ai pris onze – probablement en hommage à Pierre Michon, vu que j’ai fait semblant de l’être une fois, puis deux. OSEF et RAF encore : voici venir le moment du travail; il se verra tenir ici illustré (sans doute parce que cette maison(s)témoin a déjà quelques images de ce héros (Peter Lorre alias Hans Beckert, en 1931 -ces images sont en mots, on ne voit que Lohmann). La séquence d’ouverture, l’une des plus tendues que sache présenter le cinéma, toutes époques confondues (ces trucs-là sont extrêmement subjectifs, et d’ailleurs, étant humain nous n’avons que cette objectivité-là à proposer, comme on sait). On la prend, on l’arrête : elle ne dure que quelques minutes (un peu moins de 7 minutes). On travaille…

 

La cour (plongée) d’un l’immeuble, des enfants (une dizaine) jouent  : ils sont en rond, ce ne sont pas que des filles, certains sont déjà sortis de la ronde, l’une d’entre elles, au milieu, fait la plan en chantant une comptine :

attendez juste un instant le vilain homme en noir va revenir

avec son petit hachoir

il fera un hachis de toi !

celle ainsi désignée sort du jeu (« tu sors » lui la chanteuse) , et l’enfant recommence, et chante tandis qu’au premier étage (pano vers le haut) une femme (elle est enceinte) range le linge sec dans un panier qu’elle prend d’un fil à linge tendu sur un balcon – une femme de ménage, qui fait son travail; elle entend les enfants chanter et leur crie :

Les enfants arrêtent, elle s’éloigne, on les entend qui recommencent. (Dans un instant, le vilain homme en noir va revenir…). Elle s’en va

tout le temps cette maudite chanson

Elle se trouve dans l’escalier qu’elle monte difficilement,

elle porte sa charge, lourde, des deux bras, elle s’approche d’une porte, sonne avec son coude, deux fois, attend en soufflant (la caméra est dans le trou de l’escalier). La porte s’ouvre (travelling avant) , une femme apparaît, elle semble un peu âgée, elle prend la panière des mains de sa collègue (sans doute est-elle repasseuse, l’autre est lingère ? des gens, des femmes de peu – elle s’essuie le front) qu’est-ce qu’il y a ? lui demande la femme qui a pris le panier.

En vérité c’est en montage parallèle : pendant que sa mère (on l’identifiera tout de suite après) oeuvre

prépare le repas

(le sourire… ) (il est midi au coucou, puis midi vingt, etc.) met la table le tout avec amour et une espèce de bonheur figé, la petite fille sort de l’école, abandonne ses amies, traverse se fait klaxonner, un flic l’aide à traverser, elle joue au ballon

(derrière elle,

non, devant – des gens passent, lisent le journal, elle fait rebondir son ballon comme une basketteuse, cartable au dos)

puis avance vers une espèce de colonne Morris sur laquelle est collée une affiche – une voix off énonce ce qui est écrit, en caractères gothiques – et précisément c’est ici que commence le film qui m’échoit.

Précisément il n’y a pas de voix off, seulement la traduction en sous-titres en français, le bruit du ballon… Le ballon contre la colonne; le texte en caractère gothique (c’est le carton des films muets) – on lit

« 10 000 marks de RECOMPENSE.

QUI EST LE MEURTRIER ?

Depuis le 11 juin le petit KARL KLAVINSKI et sa soeur CLARA ont disparu. On pense bien sûr que les enfants ont été victimes d’un crime semblable à celui commis l’automne dernier contre les soeurs DOERING »

là, par la droite

l’ombre cache les écritures, c’est un homme en chapeau manteau assez corpulent, ses lèvres remuent quand il dit : «  tu as un bien joli ballon… » il se penche vers elle (hors champ), son ombre couvre toute l’affiche,  » et comment t’appelles-tu donc ? » et (off) la petite fille de répondre « Elsie Beckmann« .

Cut : la mère dans sa cuisine en train de couper une pomme de terre dans la soupe chaude et fumante, puis elle regarde dans la direction coucou – plan de coupe : le coucou marque midi vingt – (sur elle à nouveau, préoccupée) elle entend des bruits dans l’escalier : « ah la voilà » pense-t-elle, elle s’essuie les mains, va vers la porte, non, elle ouvre – cut : deux enfants montent les marches vers l’étage supérieur – (off : la mère) « Elsie n’est pas rentrée avec vous ? » – les enfants se penchant à la rampe de l’escalier : « Non » dit l’une. « Pas avec nous. » dit l’autre. Cut de nouveau sur elle qui regarde vers le haut, les enfants s’en vont, elle regarde dans la cage, scrute à droite et à gauche, rien, elle rentre chez elle, ferme la porte.Cut : (plan large, l’homme de dos fouille dans sa poche, cherche des pièces, Elsie à sa gauche, de trois quarts, le marchand de ballons de face) le marchand de ballon est aveugle (il a des blindismes et porte sans doute une pancarte attachée autour du coup qui indique « aveugle »), il prend un ballon, le tend à Elsie, l’homme est de dos mais on l’entend qui siffle son petit air, « Comme il est beau ! » dit Elsie prenant le ballon, l’homme siffle, l’aveugle entend, puis sent avec ses doigts les pièces que lui a donné l’homme, il doit y avoir le compte, Elsie avec une petite révérence  » Oh merci« , l’aveugle met les pièces dans sa poche, la petite et l’homme sortent par la droite.

Cut – dans la cuisine, la mère pose la soupière dans un bain-marie afin de la garder au chaud, la sonnette, elle se précipite presque « enfin » elle ouvre, un type (« ah mon Dieu non ce n’est pas elle…« )  petites lunettes rondes d’intellectuel, chapeau manteau grosse serviette bourrée de périodiques, lui dit d’une voix fatiguée : » bonjour madame Beckmann, un nouveau chapitre passionnant, palpitant, sensationnel… » elle va chercher un peu d’argent « ah oui, un moment monsieur Gerke… » il sort l’exemplaire qu’il va aller vendre au dessus, elle revient « dites moi, monsieur Gerke… – oui ? fait-il – avez-vous vu mon Elsie ? lui – non, ce n’est pas elle qui montait les escaliers ? elle lui tend de l’argent, dit – Non, elle n’est pas encore rentrée… il prend l’argent, un peu pressé  » Ne vous en faites pas elle va arriver, au revoir madame Beckmann… » il s’en va « au revoir monsieur Gerke » – il s’en va, elle va fermer la porte, se ravise, va vers la cage d’escalier.

Cut – plongée sur la cage d’escalier, vide, vide. Off, la mère qui appelle « Elsie..! » rien.

 

Cut -elle rentre, le périodique palpitant dans la main, elle ferme la porte, entend un crieur dans la rue, va vers la fenêtre, déplace une bouteille, ouvre la fenêtre, crie « Elsie…! » puis à nouveau, presque terrorisée « Elsie…! »

Cut – le plan de la cage d’escalier vide, vide. Off, la mère qui appelle presque en criant « Elsie..! »

Cut – le grenier où sèchent des linges, personne, off la mère qui crie et appelle « Elsie…! » une autre fois plus fort « Elsie… »

Cut – sur la table, les couverts entourent l’assiette vide, la serviette dans son rond, sur le côté, la chaise, en haut du cadre, vide.

Cut – une pelouse mal entretenue, le ballon d’Elsie qui y roule, rouel encore un peu puis s’arrête.

Cut – des fils électriques, s’y coince le ballon acheté à l’aveugle et offert tout à l’heure par l’homme, puis le vent l’emporte

Fondu au noir. Noir de quinze secondes.

 

 

Ce film a déjà ici été l’objet d’un billet (la petite tablette devant la fenêtre sur laquelle Hans Beckert écrit je ne sais plus quoi au crayon rouge – le truc est important, mais voilà bien trente ans que je n’ai pas regardé ce film en entier), ici c’est pour mettre à l’étrier le pied de l’atelier d’écriture, pourquoi ici je n’en sais rien, mais c’est là. En tout cas, il m’importe de déceler ici dans ce « M » une espèce d’intitulé (la scène où le tueur d’enfant dit qu’il est pris par quelque chose qu’il ne peut pas contrôler est, à mon sens, une sorte d’illustration de ma propre condition – il n’est sans doute pas indifférent que je sois né un onze juin). En tout cas et état de cause, ce prénom fait écho à celui du petit homme dans ce magnifique « Freaks » (« La monstrueuse parade », Todd Browning,  1932), presque contemporain (dans une espèce de mémoire rétroactive et ré-interprétative – on a fait la même chose avec « La Chinoise » (1967) de Jean Luc Godard,  en 1968 – on peut dire que ces deux films parlaient sans vraiment le savoir complètement du nazisme). Pour moi, donc, des emblèmes de mes années d’école (j’ai rédigé le découpage plan à plan de « Freaks » pour le magazine l’avant scène cinéma, à l’époque où, étudiant en cinéma de Paris trois j’avais des stages à réaliser – j’avais refusé de faire le nègre (où ce que je considérais ainsi) du directeur de recherche, j’avais cherché ailleurs, trouvé la place d’assistant à la cinémathèque universitaire, travaillé là à monter du quatrième sous-sol jusqu’au rez-de-chaussée les boites de films dans un caddy taxé à la société nationale de chemin de fer, il me semble, mené avec d’autres des actions commando pour chercher des films perdus,oubliés, laissés aux ordures (dans l’ancienne usine Kodak de Vincennes, notamment) afin d’enrichir le fonds de la cinémathèque universitaire et d’autres choses encore). Epoque que j’aime encore, insouciance probable, cheveux peut-être longs, rires et joies, vaches maigres, débuts dans la vie. Le cinéma, que d’histoire(s)…! – et cette dernière sans doute avec ce charmant (il est vraiment charmant) Peter Lorre (soit dans « le Faucon Maltais », John Huston, 1941) soit dans « Casablanca » (Michael Curtiz, 1942), qui montre dans ce dernier film, un Claude Rains jeter à la poubelle une bouteille d’eau de Vichy.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thérèse

 

 

On n’est jamais sûr de rien, c’est bien connu, il n’y a pas d’actualité, ni de dictature du présent, il n’y a pas non plus d’autre chose que le hasard qui puisse présider au choix d’une chronique – qu’est-ce que c’est que ce désir de cinéma, d’en parler d’en écrire, d’en faire l’éloge – on ne va pas parler des films qu’on déteste, quelle affaire – d’y rester plongé quelques quarts d’heure, prendre quelques clichés de l’écran de l’ordinateur, tenter de les rapprocher d’une vision qu’on a il y a belle lurette ressentie – le film de la semaine dernière, « Carré 35 », on n’en finit pas d’y penser, même s’il ne s’y trouve pas de fiction, non plus que de directeur d’acteur… Donner au cinéma, c’est un peu comme à la littérature, c’est peine perdue s’il en est, puits sans fond, n’en attendre rien, jamais, milieu tellement libérale, loi du marché et trahison, « il n’y a que ceux qui travaillent qui travaillent« , familles connaissances amitiés, pourquoi faire ? Cette plaie. Hier matin, croisant sur la route qui menait des impôts à la sécurité sociale (je n’y suis pas allé d’ailleurs, oubliée en chemin, cette sécurité, tiens) un tournage sur la place (ici l’un des éclairagistes

règle sa lumière

) une telle inanité s’empare de moi, ma claque d’errer, de tenter d’exister, de vouloir envisager quelque chose, et quelque chose d’autre, et encore, marcher avancer continuer, travailler et encore et encore… Je me suis arrêté, j’ai regardé le travail, me suis souvenu de ce studio de la rue Fontarabie (c’est – le studio était, il n’existe plus – dans le 20, ce devait être en 1981 un peu avant l’élection de tonton) où se tournait « L’Etoile du Nord »  (adapté de Georges Simenon) avec cette même madame Simone Signoret (et Philippe Noiret, et Fanny Cottençon dans un de ses premiers rôles) (non, tonton devait être élu, ce devait être en septembre puisque le coup de téléphone de Bertrand Tavernier je l’avais reçu un quatorze juillet – il avait fini de tourner son adaptation « Coup de torchon » de « 1275 âmes », avec à l’image Pierre-William Glenn, comme dans « l’Etoile du Nord » – ony voyait aussi Noiret…), c’est que déjà cette chronique hantait un peu son rédacteur (il faut bien que les êtres qui nous sont chers nous hantent, sinon à quoi bon ? eh bien je pense à l’une de mes tantes, mon amie dont on ne cesse de salir la relation que j’avais avec elle, j’y pense et l’aime toujours, ainsi que cette Thérèse Raquin, noir et blanc, 1953, mise en scène  et portée à l’écran par Marcel Carné (adapté d’un roman d’Emile (dit Milou) Zola (ou « J’accuse ») qu’on aime autant que Gustave, Victor ou Honoré).

Je continue mon errance, donc, et si des larmes me viennent d’avoir tant et tant perdu de celles et ceux que j’aime, ce n’est que le vent, l’automne et les ocres des feuilles qui, au printemps, reviendront. 

 

C’est ici dans la boite aux lettres : la petite bonne de l’hôtel (une camériste si tu préfères) où descend le Riton ira poster son pli vers 5 heures, ce jour-là – ce sera à l’heure où passe le facteur qui ramasse le courrier…

 

Dans le roman (on s’en fout, du roman, je sais bien) c’est un fantôme qui hante le couple formé par Thérèse et Laurent : celui de Camille qu’ils ont noyé (tant mieux, en même temps, il faisait vraiment braire, ce petit freluquet). Ici aussi, le destin frappe un jour, dans un train où Camille veut emmener sa femme à Chatou, chez une vieille tante, pour la cloîtrer et l’empêcher de s’enfuir avec son amant. Laurent le jette du train (Lyon-Paris, de nuit, j’ai l’impression : dans le compartiment, un marin dort – le destin, c’est lui

Il roule en moto, ça rappelle un peu

Orphée et les motards, dans le Rolls il y a Heurtebise (François Périer, magique) et elle, « la princese » interprétée par Maria Casarès (ah! Maria Casarès…) (Jean Cocteau, 1950). La moto, le marin veut faire chanter le couple, voilà tout.

Le couple, Thérèse et Laurent :

(Simone Signoret et Raf Vallone, excuse-moi du peu, Lion d’or à Venise le ptit Marcel – « le môme » l’appelait au début Jean Gabin – on arrête d’évoquer sauf quand même le « Retour à Marseilles » (René Allio 1980), cette merveille, trente ans plus tard Raf Vallone…) : elle est une enfant trouvée, par la Raquin mère, mère de Camille (Jacques  Duby) contremaître dans une entreprise de transports (haïssable, bien sûr et normalement). Sans doute l’a-t-elle épousé par conformisme.

Mais lorsqu’elle rencontre Laurent, c’est le coup de foudre… Ces deux-là s’aiment, c’est à ne pas croire. Il leur faut partir, s’en aller loin, impossible sans doute. Et puis, et puis tant de choses, l’apparition de cet homme à moto

(Roland Lesaffre (Riton) un peu coureur, un peu (très) fêlé de la guerre, qui croit un peu au père Noël, qui s’imagine, qui veut profiter du sort – comme si c’était possible, tu vois ça d’ici – mais non…). Lorsque Camille meurt, ce n’est (ce ne doit être) qu’un accident mais sa mère en perd et la parole et ses mouvements, en chaise roulante, c’est encore Thérèse qui la nourrit à la cuillère…

(interprétée par Madame Sylvie, ici la photo ne lui rend guère hommage, mais tant pis

à peine mieux…). « La prunelle de ses yeux » tel était Camille… Et elle sait qu’on le lui a tué. Thérèse aussi sait qu’elle sait

Ah, le destin, le chemin de fer, l’indemnisation, le chantage, et la mort qui rôde…

Ce n’est que du cinéma, oui.

 

Thérèse Raquin, un film de Marcel Carné (1953).

 

 

 

  

Pour Balthazar

 

photo d'entrée de billet : la plage municipale de Casablanca ( (c)Yassine Mounaim pour GSW, réglages et cadrage PCH)

 

 

 

Dans son charmant pied-à-terre qui donne sur le grand canal, Peggy a fait installer (enfouir, sans doute) les sépultures de ses chiens (il y en a une tripotée) et je crois bien aussi (peut-être que ce fait mériterait d’être vérifié, étayé, recoupé et légitimement accepté et alors communiqué) l’urne qui contient (au moins) une partie des cendres recueillies lorsque sa dépouille (sans plus de vie) a été brûlée (aux alentours de la Noël 1979)quelque part par là, dans les jardins du palais inachevé (dit Venier dei Leoni, du nom de la famille qui donna à la Sérénissime trois de ses doges dont le vainqueur de la bataille de Lépante, c’est dire si l’affaire est fichée dans le marbrede Carrare ou d’Istrie, je ne suis pas certain).

Ceci pour indiquer que, dans le jardin  de cette maison, serait-elle témoin – mais il y a de la pérennisation dans l’air (date à compter du 13 mai 15 soit deux ans et demi, pile le jour de la rédaction du billet deux cent quatre vingt dix huitième du nom) – il serait bon de prévoir un lieu où entreposer, laisser reposer, laisser et oublier les restes de certains fantômes (de compagnie, ou non) et autres innocences inconnues de nous comme d’elles-mêmes, et nous y porterions quelques fleurs, de temps à autre, nous y poserions des arbresla pluie en novembre, la neige et l’hiver, on essayerait d’y survivre comme tous les ans oubliant les erreurs et les impasses, ne pensant qu’à l’avenir, qu’à nos proches et nos amis, puis aux autres et aux autres encore. Que ces mots et ces images trouvent quelque pardon en vos lectures, Venise fait partie (ainsi que les lions – on aurait pu intituler ces trois là du #313 – ce sera peut-être fait d’ici là – et c’est fait) d’une espèce de tropisme qu’il m’est difficile, voire impossible, de refréner (d’ailleurs je n’y tiens pas spécialement, à vrai dire). Car enfin, le film (magnifique) dont il va être question n’a rien à voir avec Peggy, Venise ou les lions. Mais seulement avec les fantômes.

 

Il y aura trois générations qui apparaîtront en image. Le réalisateur, ses parents et son fils, prénommé Balthazar. Une histoire de famille qui va d’Espagne (pour les grands parents – ils ne sont plus) au Maroc, là où se marient les parents

dans les années cinquante, puis la France dans les années soixante où leur naquirent deux fils, dont l’un

a ourdi ce film. Un film d’histoire qui nous raconte ce qui, au début des années soixante, puis plus tard, agitait le pays (celui-ci, la France et ses colonies bientôt ou déjà libres de protectorat).  L’histoire d’une famille, d’une mère peut-être parfois tourmentée

un peu dirait-on (cette photo sans doute du début des années soixante dix). Puis, nous les verrons, ce père et cette femme, de nos jours. Une histoire d’enfant disparue, une fille prénommée Christine, décédée au début des années soixante, et qu’ils auront tenté d’oublier. Un homme finit sa vie (on le voit aussi, d’un plan, mort sur son lit d’hôpital)puis une femme qui niait l’évidence, puis ne cachera plus ses tentatives de réaménager le passé, peut-être même l’acceptera-t-elle, on la verra sur la tombe de son enfant (située dans le carré 35 du cimetière français de Casablanca – lequel carré n’existe pas plus que notre maison(s)témoin, c’est pour te dire…), photo disparue, peut-être reposée ensuite, à Casablanca, au bord de l’océan, là où elle l’avait confiée à une soeur sienne.

Une des merveilles, c’est de l’y avoir ré-emmenée, cette femme, sur ces lieux…

Choses tues et cachées, oubliées, tramées, perdues, de la mémoire on tentait bien de les chasser en les transformant en quelque chose de plus acceptable parce que cette douleur-là, la perte d’une enfant, est indicible, et d’autant plus indicible que cette perte-là était presque désirée (mais ne l’est-elle pas chez nous tous ? à peine audible, visible, dicible tout autant, taire, et garder pour ceux-là tout notre amour). Choses tues , oubliées et cachées mais qui réapparaissent : passant d’un esprit à l’autre, sans mot dire, là où est cachée la vérité, là d’où il faudra la mettre au jour afin qu’elle ne blesse pas le nouveau venu… Balthazar, donc, alors : longue vie à lui, si possible…

Encore une chose, cependant, sur le bord de l’eau. Une image qu’on voit, pas si fugitive : j’avais à l’idée cette chanson de Michel Jonasz « Les vacances au bord de la mer » (« avec mon père ma soeur ma mère » y chante-t-il), la mise au point sur le côté si tramée gommée oublieuse des détails…parce que le point est sur cette petite fille qui a froid ou peur, ou quelque choseregard caméra presque, on peut le croire, elle ne bouge ni ne sourit… De longues images de l’eau, qui bouillonne ou qui envahit l’écran, comme quelque chose qu’il faudrait qu’on se dise, entre nous, sans un mot.

Une merveille.

« Carré 35« , un film d’Eric Caravaca.

 

 

 

 

Travailler

 

 

Il a passé la nuit là, comme s’il était chez lui ( une clause de son contrat, cependant, stipule que si un détournement de ce type est constaté, il sera foutu à la porte sans pouvoir prétendre à quelque indemnité que ce soit), mais notre agent s’en fout comme de sa première location(moi aussi d’ailleurs, mais je n’ai guère voix au chapitre). Il se peut même qu’il soit ou ait été accompagné d’un-e ami-e (de nos jours on a des moeurs libérées, on fait comme on veut, avec qui ont veut – on se protège n’est-ce pas tout de même – et la langue elle-même tient compte de ces géantes avancées – même si ça a eu lieu, et de tous temps)au loin le ciel poudroie, le soleil flamboie, il est huit heures du matin, le froid a commencé de s’étendre sur le peri-urbain (on est bien dans cette banlieue dite grise, rassurez-moi : il s’est levé, au lit repose son élu-e, la griserie de bafouer la loi, sans doute est-il nu, braver les interdits), évidemment comme la maison(s) reste témoin, on n’y a pas droit au chauffage (il est factice, mais notre agent a apporté – pas si con – un petit convecteur, allumé l’électricité et le compteur tourne aux frais d’une certaine princesse)cette chaleur dans les tons, bientôt un autre jour est là, d’autres visites, d’autres personnes, des gens comme vous ou moipar la fenêtre, ces gouttes par milliers, collées, en attente d’évaporation, surtout ne pas les brusquer, il fait froid c’est le début de l’hiver, bientôt le lotissement sera hanté de voitures grises, de bambins et de vélos, à l’heure dite on s’en ira à la ville gagner de quoi assurer les mensualités, mettre de côté des trimestres, revenir à la nuit des courses plein le coffre de la petite auto… Pour le moment, il faut se lever, se laver, se vêtir comme disait le poète (pour ma part, je ne goûte pas trop ses chansons, mais tant pis) et puis un petit déjeuner frugalet hop…

La vie facile

 

 

T’en souvient-il de cette chanson qui fait :  » la grande vie/à mon avis/c’est la vie que l’on vit/lorsque l’on s’ai-ai-aime » ?  Je ne me souviens plus, peut-être Zizi Jeanmaire (prénom d’un autre siècle, pas vrai ? mais moi je l’aime bien cette dame, toujours parmi nous jte ferai dire)… Trouvée.

 

C’est l’histoire d’un type de peut-être seize ans qui s’en va de sa campagne (il y laisse une mère, un frère plus âgé marié père d’un enfant -on l’apprend ensuite) pour travailler en ville

(il semble – je n’ai pas fait le travail comme il faut, je n’ai pas lu l’entretien avec le réalisateur; parfois je n’ai pas le temps, je n’ai pas l’envie) (la solitude, sans doute) un boulot de merde comme on dit de nos jours (le film se déroule de nos jours, sorti en décembre 2016, présenté l’année dernière à Cannes à la Semaine de la Critique), quand le bâtiment va, tout va : c’est le cas, semble-t-il à Phnom Penh, capitale du Cambodge, située au milieu du territoire mais sur le Mékong

ici le champ : là où bossent des milliers de gens pour l’établissement de résidences ou hôtels de luxe pour « population solvable » (c’est beau comme de l’antique, l’hôtel de ville y est d’architecture greco-romaine…)

contrechamp : le fleuve – alors « Le barrage contre le Pacifique », un peu comme la mer, et celle de Marguerite (sa mère), la rue Saint-Benoît, Robert Antelme et les années cinquante, ça m’évoque et me dit à l’âme des mots et des choses qui me disposent, fatalement sans doute, très bien à l’égard du film, je le reconnais), le jeune type (il se nomme Bora dans le film – évidemment aussi voilà un prénom qui descend des montagnes sur Trieste tu sais – son nom en vrai : Sobon Nuon, simple et vrai, magnifique) est happé par la grandeur ou la beauté de la ville

(une photo retournée et recadrée prise au dossier de presse, ici au film annoncele clinquant n’est pas douteux, mais n’importe), les couleurs, la joie de vivre et de côtoyer des amis, des garçonscomme des fillesdes histoires eau de rose (comme on voit, le rose, oui), Bora retrouve un frère plus âgé lequel remarqué par un riche américain semble disposer de nombreux atouts

il se nomme Solei (Cheanik Nov) (on ne les connaît pas, non) le voilà qui aide notre héros, les choses vivent avancent, les temps changent, la mère au loin, du coeur, s’en ira, impalpable au loin « fais attention à toi, tu as bien mangé ? » tu sais comment elles sont, et tout parle, Bora grandit sans doute, son frère lui montre la voie ou le chemin, peut-être gagner mais derrière soi abandonner (son amie, son amour, Aza – Madeza Chem – adorable

la vie qui va) nuances, charmes et douceurs, là-bas quand on ne répond pas, ça veut dire oui, trahison sans doute, aidé par un travail au son magnifique de transition et de simplicité fluide, un peu comme dans un rêve

sans tapage ni violence, une sorte de reconversion, quelques années plus tard, épilogue sans doute, Bora installé, bien coiffé propre sur lui, atteignant peut-être une espèce d’idéal légèrement frelaté, le futur se chargera (on ne le lui souhaite pas) peut-être de drames, quelque chose sourd cependant des images…

Fin.

 

Une merveille, « Diamond Island » de Davy Chou (sa photo en entrée de billet).

Dans la bibliothèque des dvd de la maison(s)témoin, à l’extérieur parce que le monde bouge plutôt à l’extérieur, ici il n’est pas douteux qu’on trouve des appartements témoin : voilà une photo pour illustrer le monde de la vraie vie, dans la salle à manger… (Building G, Koh Pich – Diamond Island en khmer – photo copyright Narun Ouk)

Bon appétit…