Une histoire d’eau

 

 

Ville d’eau, salle d’eau, rêves de brouillards et d’eau, paradis peut-être, hélicoptère, voiture de luxe (la même que celle que son directeur de la communication avait prêtée à un futur ex-président de la République qui fautât en hôtel du même tonneau -de luxe je veux dire) (moi je m’attendais à un petit coupé dans ce style

grève générale

mais non) (il s’agit de la voiture de la production du film dans lequel l’héroïne essaye de gagner sa vie) et avortement, (presque) tout est dit.

Le film est burlesque et, d’une certaine manière, un peu manqué, mais comme il s’agit d’un premier long métrage, il y a des choses qu’on veut bien aussi encourager (ici c’est dans la salle de bain, fatalement, qu’on va poser ce billet,  parce que l’argument est de la transformer, par les bienfaits d’un scénario un peu trop lâche à mon goût, en salle de douche).

baden baden 1 salomé richard

(je crois qu’elle est de tous les plans (1) : Salomé Richard, interprète d’Ana, chante à tue-tête une vague chanson dont on ne serait pas trop étonné que les paroles soient de Rachel Lang, la réalisatrice, trente deux piges, brune blouson de cuir cheveu court).

La grand-mère de l’héroïne est interprétée par Claude Gensac (vue dans « Lulu femme nue » (Solveig Anspach -tant regrettée, 2013) mais aussi en épouse -éphémère je crois- du De Funès gendarme tropézien baroque et si français). Sa salle de bains possède une baignoire et la grand-mère est vieille -comme il se doit-, elle ne peut plus guère s’installer dans son bain et sa petite fille décide, lors d’un séjour à l’hôpital de son aïeule (c’est embrouillé mais n’importe) de réaliser la transformation.

Entre ses deux amants (l’un Boris insupportable, l’autre Simon insupportable) éphémères eux-aussi, l’héroïne procède donc aux travaux. Elle aide aussi sa mère (Zabou Breitman, juste comme toujours) à cueillir des mirabelles (les mirabelles, dans l’est, c’est un peu comme les pommes en Normandie, les piments à Espelette ou le Fuji-Yama au Japon : quand on va tourner là-bas, c’est contractuel, il faut que ça y soit) (je blâââgue) (le film se passe à l’est de la France, oui). Et puis, les choses elles aussi se passent, la construction de la salle de douche s’opère…

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(avec l’aide de l’employé francophone et hypocondriaque, interprété par Lazare Gousseau, mais sans celle d’Amar, le carreleur bientôt légionnaire étrangère – tablier, hache, pas de l’oie et tout le bastringue au quatorze juillet) (non, là je brode)

Ce n’est pas tellement triste (ni drôle), enfin parfois acide, mais non : la scène de l’engueulade ciné est mal proportionnée (ou alors c’est le régisseur qui n’est pas crédible ou simplement complètement abruti – ça peut arriver, certes); l’héroïne revêt toujours un short qu’elle baisse (ainsi que son dessous peut-on imaginer, mais on est loin), devant la voiture (plan large) pour uriner (j’ai pensé à Chantal Ackerman : est-ce un hommage ? je ne sais) (aussi bien aurait-ce pu s’intituler « Les rendez-vous d’Anna » d’ailleurs (y’a deux « n »)(Chantal Ackerman, tant regrettée, 1978) quelle merveille…); l’amant Boris (on n’échappera ni à la scène d’amour debout, ni à celle -mais avec l’autre- sous la douche) confie son téléphone portable et son portefeuille avant de s’écrouler dans l’eau du canal (c’est tellement amusant) (le bateau-mouche est peut-être contractuel, lui aussi, je ne sais) illustrant par là que le film ne tient pas debout – mais Boris, malheureusement pour le film,  sait nager, il a une mère comme de juste insupportable comme lui (elle est, dans la vraie (?) vie directrice de ce casting-là : c’est plus qu’un caméo beaucoup trop long, d’ailleurs), des oeuvres comme lui et des idées comme lui, enfin on ne s’étonne pas. On aura aussi droit à la toilette avec l’amie plus ou moins (ouf, plutôt moins) saphique.

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Ici à l’image : une vraie scène de cinéma (je ne sais pas qui se trouve être la silhouette, cet homme qui joue le malade gauche cadre et qui prend l’air -il est extra-: qu’on me le dise, et je poserai en dédicace) comme on aime, un vrai enjeu (on ne voit pas ici son visage (les photos sont taxées si tu veux savoir) mais je crois que l’amie d’Ana au premier plan est interprétée par une certaine Noémie Rosset (elle aussi en short -c’est parce que c’est l’été, si tu veux tout savoir…- ; si ce n’est elle, qu’on me le dise, je changerai la dédicace) d’acier comme Zabou Breitman (mais elle on le sait, elle a cette force/présence/acuité).

Au total, une heure et demie de tendresses joliesses mais aussi quelquefois de ratages parce que d’insincérités. Un film moitié belge, moitié français,  qui sert de témoin à une jeunesse en mal de perspectives (mais tout (ne)reste (pas) à faire : le chantier est fini,  le feu d’artifice clôt dans la salle de douche l’histoire, un peu dans l’ombre, un peu dans la mélancolie)

(alors : debout)

A voir, probablement…

(1) : pas de tous les plans :  l’un d’eux où elle ne figure pas (comme le tout dernier, feu d’artifice de la salle de douche), magnifique cependant,  montre le balcon de l’appartement de la grand-mère et devant l’horizon fermé d’un immeuble aux fenêtres nombreuses et aux angles droits cruels

 

 

Je me rends compte qu’en cette maison n’est pas une salle de bain, mais une salle d’eau (encore que : là, ou …). Et qu’aussi, ainsi, ce film d’eau côtoie « Le Guépard » (Luchino Visconti, 1963), ce qui rend la comparaison (ce sont deux films de cinéma, réalisés à 53 ans d’intervalle) assez vertigineuse et dangereuse pour celui-ci mais n’importe, quand on aime… 

 

 

Marchand de bonheur

Je ne vais pas cracher dans la soupe : c’est toujours moins cher que l’hôtel et je n’y dors qu’une fois par trimestre quand ma tournée passe dans le coin. Jamais rentable d’ailleurs ma tournée dans leur cambrousse : ils ne se bousculent pas les commerçants qui les prennent mes catalogues « Points Bonheur ». Honnêtement je les comprends : après, les clients réclament leurs timbres à la caisse – des timbres mal prédécoupés et qui collent aux doigts – et une fois le carnet collecteur rempli les clients râlent encore parce que le cadeau les déçoit. Faut dire qu’il y a de quoi. Une belle camelote qui en jette sur le catalogue mais quand vous l’avez dans les mains le plateau faux bois marqueté Angélus, franchement vous regrettez de ne pas avoir choisi autre chose. Mais quoi ? Une pince à sucre, un ramasse miettes, une poubelle de table ? Que des trucs dont plus personne ne se sert. Des stocks à écouler. Il en faut du bagout pour placer les catalogues Points Bonheur, et si c’était pas les points retraite qui me manquent, je te les planterais là vite fait avec leurs pinces à sucre. En attendant, heureusement que je ne passe là que tous les trois mois parce que j’ai rarement vu une installation aussi mal fichue. Sûr que c’est pas un hôtel leur maison et qu’il font ça pour payer leurs traites – et entre nous, des amis prêts à venir jusque là, ils ne doivent pas en avoir beaucoup, toujours dispo leur chambre d’amis – mais ils pourraient quand même faire un effort. Un deuxième porte-manteau et un fer à repasser, tiens par exemple, ça les ruinerait un deuxième porte-manteau et un fer à repasser? Si je prenais pas mes précautions et mon fer de voyage, je sortirais de chez eux le matin en ayant l’air d’avoir dormi tout habillé.

De l’autre côté de la rue

de l'autre côté de la rue

Face au grand terrain loti, maintenant largement ouvert sur la rue, le mur d’enceinte de l’ancienne propriété ayant été abattu pour laisser voir le parc, ou ce qui en reste, et les premières maisons du lotissement, dont la notre, la témoin, jeux de parallélépipèdes blancs animés de grandes verrières, c’est toujours l’alignement de petites villas, un peu hétéroclites, leurs barrières, leurs tout petits jardins assez touffus pour que la vie du nid, l’aisance un peu étriquée de leurs propriétaires, soit préservée.

J’aime bien nos maisons.. elles ne sont pas totalement indignes, même si c’est un ton en dessous, en mineur, des architectures de villas du début du 20ème siècle qu’admirais tant quand, il y a très longtemps, j’étais étudiante en architecture, ou tentais, cela n’a pas duré, de l’être,.. cette pureté presque brutale, ces proportions qui se mariaient dans mon petit panthéon à celles des bâtiments cisterciens du sud ou aux églises romanes d’Auvergne, dans la plénitude de leurs proportions, dessins dans l’air, des formes et pierres aux formes et béton.. mais aux heures où je m’ennuie, et même si je dois meubler les moments creux par diverses tâches, pour le cabinet, sur l’ordinateur de mon coin bureau dans l’entrée, ou un peu à cause de cela, les moments d’ennui ne manquent pas pendant les heures d’ouverture, surtout en semaine, je regarde avec de plus en plus d’amitié, de l’autre côté de la rue, juste en face, encadrée par les deux pans du mur de clôture qui ont été conservés, habillés de vigne vierge, pour donner l’image d’une entrée au lotissement, encadrée de nouveau par les deux piles de son portail, une petite villa que je me refuse à dire kitch – on n’injurie pas ses amis, non, je pense coco, c’est mon terme pour le ridicule attendrissant.

Elle n’est pas très grande, blanche rehaussée de gris doux et sage, le gris imitant le bon ton, elle est carrée, surmontée d’un petit triangle abrité par un auvent roux, triangle habillé d’un panier fleuri et soutenu par deux petits putti sans ailes, gentiment déhanchés et posés sur le vide. Le rez-de-chaussée s’ouvre par une porte cintrée, de même largeur ou étroitesse que les deux fenêtres qui l’encadrent. Le premier étage, légèrement moins haut pour respecter les règles, reproduit la même disposition. L’étroite porte fenêtre centrale ouvre sur un balcon arrondi supporté par deux autres putti, qui se regardent en se balançant, ou le prétendant, sur de lourdes guirlandes. Il y a des volets sages, des petits carreaux aux fenêtres et deux lanternes. Elle est délicieusement prétentieuse et un peu sotte, mais avec mesure.

Je ne vois jamais personne entrer ou sortir par la porte ouverte sur une ombre mystérieuse, les volets du bas sont ouverts, ceux du haut entrouverts pour que la chaleur ne rentre point. J’imagine deux petits vieux, Philémon et Baucis, endormis sur un grand lit derrière la porte fenêtre, ou attendant, souffle retenu, que leur fin vienne à eux en souriant.

Et il y a presque toujours l’un ou l’autre des visiteurs pour la regarder vaguement rêveur.

L’autre jour, pendant que sa petite femme, charmante la petite femme, et pleine de projets, furetait de pièce en pièce, l’époux, ou non, qui lui avait délégué le choix, très chic l’époux, plutôt assorti à notre maison témoin, juste un peu trop chic, peut-être, comme son auto, est resté planté sur le seuil, semblant s’ennuyer un peu, et avant de la suivre quand elle est sortie en disant nous allons réfléchir, m’a demandé si je pensais que la petite maison, là, en face, était en vente.

Lui ai souri et dit que je ne croyais pas.

 

Sur le toit près de la cheminée

cheminée 7.5.16

(cliquer pour agrandir.)

Je ne suis pas ramoneur ni père Noël, je suis donc monté sur le toit près de la cheminée. Il y avait cette antenne râteau qui ne fait décidément pas moderne (on préfère les soucoupes non volantes dirigées toutes dans le même sens).

Les pigeons les adorent, j’admire toujours leur art de l’équilibre : c’est comme pour un programme télé, un doigt d’amusement, un doigt de politique, un doigt de jeux, un doigt pour les malentendants.

Le vent soufflait fort et les tuiles étaient un peu glissantes. J’entendais le bruit d’une sorte de courant continu qui sortait des barres parallèles en métal. Je me suis demandé si ce genre de dispositif servait aussi de paratonnerre (est-ce que cela existe encore ?), en cas d’éclairs toujours difficiles à saisir en photo.

Après tout, depuis cette altitude, on aperçoit toute la campagne environnante : quelques bovins paissent au loin (in pace), les champs sont clos, à chacun son pré carré et les vaches seront bien gardées !

Il n’y a pas de loups dans les environs car je n’ai pas vu de brebis : c’est sûrement plus haut que quelques rares bergers (une espèce en voie de disparition) veillent sur leurs troupeaux, avec leurs chiens affectueux, et le fusil de chasse en bandoulière.

Le vert des prairies contraste avec le bleu gris du ciel : c’est là que se bousculent les moutons.

J’avais emporté ma scie égoïne, j’ai sectionné la base de l’antenne. Ici, personne ne regarde plus la télé, car l’idéal serait d’en créer une soi-même (une « télé libre » comme lorsque Mitterrand en 1981 ouvrit la porte aux « radios libres »). Plus besoin de passer par Bolloré et autres magnats de la presse.

Je sais qu’on est surveillés, et que notre maison est dans le collimateur de la gendarmerie. Des « témoins » passent de temps en temps pour essayer de voir ce que l’on concocte à l’intérieur. Ils doivent penser que cette habitation est une sorte de succursale de la bande à Julien Coupat.

Maintenant, je redescends par l’échelle en bois, j’ai jeté l’antenne en bas depuis le sommet du pignon. Je ramasse les morceaux, on ira les porter à la déchetterie (oui, on respecte l’environnement).

Cet après-midi, ça m’occupera, je vais me mettre un film en DVD dans le lecteur : A Hard Day’s Night (Richard Lester, 1964).

Je dois dire que c’est l’élection de Sadiq Khan, le nouveau maire de Londres, qui a déclenché cette idée. Des images du « swinging London », et enfin une nouvelle qui fait plaisir !

Tous les occupants de la maison-témoin sont partis faire une randonnée : là, je suis seul, tranquille, juste en compagnie des Beatles. Le temps devient de plus en plus sombre : est-ce que cela ne va pas tourner à l’orage ?

texte et photo : Dominique Hasselmann

Par la fenêtre

 

fenêtre

J’en ai visité des maisons, témoins et sans témoins, avec ou sans les propriétaires, avec ou sans soleil, avec ou sans meubles, avec ou sans grenier, avec ou sans jardin. Je n’ai encore jamais réussi à trouver celle qu’il me fallait. Celle-ci est vraiment différente, on dirait que chaque pièce a été décorée par une personne différente. Même la cave est personnalisée…

Il faudra bien que je me décide à trouver un nouveau lieu de vie. Tout changer, c’est facile à dire, moins facile à réaliser.

Il faudrait déjà que je réalise ce qui m’est arrivé, que je l’admette. Toute une vie chamboulée en quelques secondes. Repartir à zéro, et ne regarder que devant soi.

Je n’ai pas tout perdu, il me reste le travail. C’est déjà très beau d’avoir du travail à notre époque, tant de gens n’en ont pas. Le travail, je n’existe que par lui, que pour lui. C’est pour cela qu’il faut que je retrouve une maison qui me convienne, un lieu qui serait mon prolongement où j’entasserais tout ce qui me ressemble. Un lieu où j’aurais envie de passer du temps, histoire de ne pas passer ma vie au travail !

Mais ce que je souhaite vraiment, ce n’est pas quatre murs pour y entasser ma vie. Si j’écoute mes désirs, ce que je préfère c’est avoir un jardin autour des quatre murs. Je pourrais passer ma vie dans ce jardin, et après être rentrée à l’intérieur, je pourrais passer des heures devant la fenêtre à regarder ce jardin. Il n’y a que là que je me sentirais enfin moi-même, couchée dans l’herbe la tête sous le tilleul et les pieds dans le plantain. J’aurais aimé être un campagnol ou une musaraigne pour passer ma vie à courir dans l’herbe, ou une chouette pour les voir courir d’en haut.

Ce qu’il me faut c’est un beau jardin et de jolies fenêtres pour voir le jardin.

Ici, les fenêtres sont belles ; ils les ont habillées de grilles en fer forgé. On a l’impression qu’elles dansent autour du temps. Devant la fenêtre un pic épeiche sautille sur le gazon. Il m’a vu et s’envole dans le hêtre pourpre. J’ouvre la fenêtre et l’évidence me saute au visage. C’est ce jardin qu’il me faut.

Une maison témoin, après tout, est faite pour donner envie aux gens de se projeter dans une nouvelle vie. Je n’ai jamais fait les choses comme tout le monde, moi je me projette dans le jardin. Je vais leur faire une proposition, ils accepteront peut-être que je m’installe dans le jardin ou à défaut que je reste assise devant cette fenêtre.

Si je promets de ne pas gêner les autres visiteurs…

Texte et Photo M. Christine Grimard