La musique du générique

 

 

Ce qu’il faut faire, avant tout peut-être, c’est faire tourner de la musique. C’est le tout du générique : tout savoir sur un film dès le générique (ou du moins si le film sera comme on aime), c’est le gimmick. J’aime ça (j’aime Saul Bass, par exemple, j’aime les James Bond seulement pour le pré-générique, et tant d’autres choses, les voitures, le machisme, le dom Pérignon cinquante trois j’en laisse de côté, je vais recevoir des cailloux) : de la même manière, quand je pose des fantômes ici (aujourd’hui c’est mon acteur préféré favori dans un film d’un de mes réalisateurs préférés favoris qui, en plus, sont tous les deux italiens, et j’aime tant l’Italie, tu sais), je me souviens du film (peut-être le seul que j’apprécie, avec « la Nuit américaine » (1973)  et « la Chambre verte » (1976) de François Truffaut) « les Quatre cents coups » où le jeune Doisnel  vole des photos de je ne sais plus quel film (« Citizen Kane », peut-être bien) dans la vitrine devanture d’un cinéma (ça n’existe plus, ça, une vitrine devanture d’un cinéma).

Francesco et IOrèneIrène Papas et Francesco Rosi

Tu vois, ce que j’aime dans cette photo, ce sont les visages, le sourire, la tristesse, mais la main de Francesco sur le bras d’elle, et la montre.

Dans le film d’aujourd’hui, je ne sais pas où le mettre mais probablement dans la chambre, sur la table de nuit, le héros incarné par Gian-Maria Volontè possède une même montre-bracelet, mais au bracelet fait de fils tissés d’or. On ne le voit guère, mais je me souviens (j’ai du voir ce film une demi-douzaine de fois depuis : la dernière fois, c’était en présence du réalisateur, avec sa casquette, sur la scène du cinéma des grands boulevards nommé Max Linder), qu’il la porte lâche sur le poignet (je fais, depuis, la même chose). Cette histoire de pétrole dans la fin des années cinquante, en Italie, faite de bruits et de fureur, de cris et d’accident d’avion

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(je suis allé chercher cette image quelque part, en effet, et d’ailleurs, il me semble qu’elle est marquée), cette histoire d’hommes d’affaires qui ici, dans le sud, luttent contre des forces occultes (tu sais l’Italie, la Sicile, le sud, le soleil le plomb, la poussière, la crasse, l’Otan et la standard oil, ajouter une dose de front de libération national, de décolonisations et la mort qui rôde toujours, Francesco avec sa casquette et ses lunettes de soleil, cette Italie-là, qu’on verra aux Etats Unis, avec Sergio Leone et son « Il était une fois en Amérique » ses semblables liens avec Hollywood, on regarde Franck Sinatra qui danse avec Dino, toute la panoplie de ces années-là…)

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J’ai posé Robert Wyatt et fait tourné « Alifib », j’ai cherché deux images volées dans la vitrine retaillées, peu retouchées, les amitiés de la seconde image sont traitresses, sur le sol du sud l’avion s’écrasera, au poignet d’Enrico cette montre, le rythme du monde, mille neuf cent soixante deux (le film date, lui, de soixante douze, palme d’or à Cannes ex-aequo avec « La Classe ouvrière va au paradis » d’Elio Petri (1971), avec le même Gian Maria…).

Je sais : ces années-là sont, pour moi, blessantes. Je sais, j’oublie je voudrais bien mais la chaleur de juillet, les départs en vacances et les plages où l’on bronze, oui…  toujours là, l’été, toujours là, la chaleur, un peu d’ombre, des lunettes de soleil, un bon livre, mes amies et je pars

2 stal 22 juilletcontre-jour sur la rotonde de la Villette à Ledoux 

J’essaye de tenir le rythme de publication d’un billet la semaine dans cette maison(s) témoin mais là, je m’en vais, je reviendrai dans cet antre probablement vers le milieu du mois d’août.

Contemporains

 

 

Goules, fantômes, vampyres et striges, revenants, succédanés erzatz, âmes mortes et damnées, que sont donc ces apparences transposées d’abord en mots, puis en images projetées sur ces écrans, lesquels immédiatement ensuite n’en recèlent ni traces ni marques ? J’ai proposé ici des objets, mais il commence à suffire même si ce type de spectres, d’esprits, d’âmes ou d’ombres, ces objets donc  font tout aussi bien l’affaire pour peupler cette maison tout droit issue d’un imaginaire que personne ici ne chercherait à contrôler, maîtriser ou même simplement envisager (du visage, nous autres, écrivants, n’avons que le nôtre, au miroir, tandis que devant cette fenêtre ouverte, nous tentons de peupler un peu ce vide  creusé par des histoires qui n’en finiront jamais). Ces ectoplasmes s’incarnent, voilà tout, et dans les salles obscures (peut-être devrais-je les poser au salon ? c’est fait) sur les écrans, devant nos yeux, ils font comme s’ils vivaient vraiment. Vingt quatre fois par seconde, peut-être…

J’avais l’intention de comparer deux films – la nationalité est importante mais elle ne veut plus rien dire de nos jours, le marché est le seul important au cinéma, la production, les banques, les emprunts et autres Sofica ou centre d’image animée créent les conditions dans lesquelles se réalisent ces objets-là : une clé suffit, serait-elle « bus universel en série », pour transporter ces objets (j’ai laissé de côté les télés, mais c’est que je les agonis). En tout cas, tous parlent ici une même langue.

olivier goumret

J’avais à l’esprit le travail que mènent ces héros : « agent de sécurité dans des hypermarchés » (hyper-marchés, super-marchés, le marché ne se sent plus)  : on y contrôle les vols des uns (les clients) et des autres (les employés) tant est vraie la similitude qui unit ces deux classes issues de la même : faire surveiller les uns par les autres est d’un bénéfice formidable et d’un profit inexpugnable pour leurs employeurs.

vincent lindon

J’avais à l’idée aussi une autre forme de représentation : tant et si bien que, le temps allant, je me suis trouvé devant un autre film (j’y pense juste à présent). Elle (Corinne Masiero) y joue le rôle d’une caissière. Eux sont agents de sécurité.

corinne masiero

Mais tous sont issus d’une même classe : employés promis à un chômage  pratiquement assuré (sinon à la prison, sinon au cimetière). C’est pourquoi ces lieux où se déroulent ces actions me semblent des définitions du marché : on oblige à rendre gorge (simplement parce qu’il a la prétention de parler pour ceux qui l’ont élus) à un premier ministre européen, les choses allant comme elles vont, les affaires étant ce qu’elles sont, elles continuent, ainsi va le cinéma.

Les blessures ? Qu’importe ?  Les fantômes agissent : je suis allé voir autre chose, c’était au Royal (un cinéma de province, Condé-sur-Noireau, si ça dit quelque chose), on y donnait (on donne toujours les films dans les cinémas, comme on sait) ce film français, une comédie, certes, je n’en laisse apparent qu’un des objets emblématiques.

comme un avion

Peut-être me dira-t-on : « ça n’a rien à voir ». Ou « tu mélanges tout ». Ou encore « il faut aussi savoir décompresser » : certes, c’est vrai, je le reconnais. Mais une fois cette soupape rodée, que reste-t-il des fantômes qu’on a croisés, lors de ces séances ? Ici (Olivier Gourmet, qui joue dans « Jamais de la vie », (Pierre Jolivet, 2014), et Vincent Lindon dans « La loi du marché » (Stéphane Brizé, 2015),  deux banlieues de Seine-Saint-Denis, sans aucun doute; là une des régions les plus impactées (ce mot formidable tiré d’un vocabulaire militaire qui impacte celui de la science du marketing) par la « crise » (cette fameuse qui démet Alexis Tsipras par la grâce d’une triplette insolente et irresponsable), le nord du pays avec « Discount » où joue Corinne Masiero (Louis-Julien Petit, 2014). Préoccupations : manger, chercher du travail, en trouver, aider et subvenir à ses besoins, tenter de survivre.

Et ailleurs ce « Comme un avion » tout droit sorti de ce sept huit où vivent les personnages (le Chesnay, il me semble bien : Bruno Podalydès, 2015). on y trouve les problématiques des dominants : manche à air en forme de lampadaire, construction d’un canoé sur le toit d’un immeuble, allégorie d’une forme de liberté, celle du corps notamment (une veuve noire se transforme en veuve blanche par la magie de l’amour) : une semaine de vacances… Que se passe-t-il ? Rien, sinon que celle-ci couche avec celui-là, et puis celui-ci avec cette autre, le cours de l’eau, l’absinthe, un radeau bleu…

Ce n’est pas que ces films se ressemblent ailleurs que dans le fait qu’ils sont, en partie, français. Ce n’est pas non plus qu’il faille à toute force les rassembler à cette seule aune. Non. Mais on les pose ici, avec leurs défauts, leurs différences, leurs similitudes (on voit bien aussi un agent de sécurité dans le film versaillais), afin de se souvenir de ce que, durant ces mois-ci, enfantait ce cinéma-là

 

 

 

Sous la fenêtre de la chambre du haut

 

 

Sous l’une des fenêtres d’une des chambres (imagine qu’elle soit louée à une étrangère de passage, un/e jeune étudiant/e ou quelqu’un des nôtres, un/e ami/e, une connaissance de la maison, depuis longtemps imagine depuis longtemps cette maison une famille l’habite les enfants sont partis les grands parents sont morts, depuis tant de temps, peut-être est-elle habitée par le veuf, la veuve, qui cherche une compagnie plutôt qu’un loyer faible dérisoire, imagine un peu), sous la fenêtre de la chambre à louer, on a installé une planche de bois dur, et lourd, on a posé des tasseaux (c’est une fenêtre dans un chien assis), on les a fixés de grosses vis et de grosses chevilles, en plastique gris les chevilles, la perceuse et le bruit, la vrille, le bruit, ce sera comme un bureau, on l’a louée et puis le temps est passé, la planche est restée là, c’est une planche de bois dur et elle servira à reconnaître que l’écriture de ce type a été tracée dessus…

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Le type, le locataire, un chapeau, un manteau, des bonbons et le silence de l’escalier, Allemagne années trente, à l’image la loi et la force de l’ordre, l’inspecteur Lohmann, il pense, et finit par trouver, oui, sur cette planche, les empreintes du crayon rouge, oui, on pense, cet homme, est-ce qu’on se souvient de lui ? Ah, Peter Lorre : « pourquoi moi ? » dit-il, « cette ombre je ne suis pas seul, je ne suis jamais seul quelqu’un me suit, je ne suis jamais seul, il est là, il me suit, c’est moi... », il sifflote un moment cet air de Grieg (trente et un, le son au cinéma commence, le son comme une antienne, comme un apport, comme une ouverture sur quelque chose qui évoque, le son comme à la radio (j’ai mis un lien un peu de commerce, mais ça ne fait rien, c’est pour Savannah) lui il le siffle, « un aveugle en gémissant« , disait Jean Roger Caussimon, « sans le savoir a marché dans le sang/ puis dans la nuit a disparu/ c’était peut-être le destin/qui marchait dans les rues« , oui, la force du destin), est-ce qu’il est responsable, tuer une enfant, responsable, une ville cherche son meurtrier, cette lettre tracée dans son dos, sur son manteau, quand il se retourne elle disparaît il lui faut un miroir, les mendiants, la pègre, la loi, ce n’est pas discours que de ne porter à l’image que l’inspecteur Lohmann, non, pas seulement, Allemagne année trente, j’ai peur de reconnaître les actes avant-coureurs, Fritz Lang qui vient après Samuel Fuller, un panthéon, une vraie furie… Sous la fenêtre, une planche et les traces du crayon, rouge il me semble me souvenir

 

A la folie

 

Il faut bien, sans doute, qu’on pose ici un système de chauffage (je vois bien que le travail d’installation est en cours, je propose seulement). Il y a là un élément important : le radiateur. La réalité des choses veut que ce couloir (« Corridor » dans le titre) soit infini : il y aura là

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un type, journaliste, qui voudrait confondre quelqu’un, lequel aurait probablement par accident mis fin aux jours d’un ou d’une autre sans vraiment en avertir sa hiérarchie. Ou alors intentionnellement. Plus probablement. (J’avais pensé aussi à « Soudain, l’été dernier », (Joseph Manckiewicz, 1959) mais finalement, c’est le radiateur qui l’a emporté). C’est que de peupler ainsi cette maison de héros plus ou moins inconnus de la cinématographie mondiale (ou tout au moins celle à laquelle je suis, disons, perméable) avait créé chez moi une attention plus grande, un désir aussi de rendre présentes des choses qui font que le monde est tel qu’il est. La folie, c’est une chose qui le fait avancer (tu vois, par exemple, il n’y a pas si longtemps, sur l’allée verte, à Paris, dans cette zone industrielle en Isère, ou sur cette plage du côté de Sousse).

Ou alors stagner.

Ou plus précisément, reculer, oui voilà.

Reculer. Comme dans celui dit de la mort : la folie du monde, c’est un peu ça.

Cela n’avait aucune importance : cette maison-là était une maison de fous (marabout de ficelle de cheval de ferme ta boite à clous d’acier toit de maison de fous comme toi) mais cela ne se dit plus. Cela. Le type a été servi  : ah bien sûr évidemment il a démasqué le coupable (la belle affaire), il a même je crois reçu le prix qu’il convoitait tant, ça n’a rien empêché : catatonie, pétrifié comme dans un rêve où l’eau directement descendue de son propre esprit désincarné, l’inonde et et puis ensuite plus rien

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camisole chimique ou pas, laisser reposer l’être, assis sur ce radiateur qu’on installera bientôt, dans l’un des couloirs de cette maison qui témoigne de l’existence indicible mais réelle de la folie pourtant car, dans la fiction,  comme on sait, tout est, toujours,  vrai

Résister (Anna Magnani)

 

C’est que les êtres qui hantent la maison[s]témoin nous sont chers, elle a quelque chose du panthéon, quelque chose de tellement inexistant, volatile, incertain et inutile, visitée dans son décor de pacotille, ses pièces sans vie, sans histoire, sans familiarité, tous ceux là y habitent, y sont parce qu’on les y pose, ils s’en iront sûrement un jour, exiger l’ouverture de ces portes, de ces murs, exiger l’enlèvement de ces gravats, de ces ordures, de ces déchets, exiger que ici, toi qui y entres, exiger que toi gardes (ou perdes) tout espoir…

(les photos sont de l’auteur, prises du DVD où Martin Scorcese explique ses liens avec le cinéma italien).

 

 

 

Ca commence dans la cour de l’immeuble

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une rafle, la deuxième guerre mondiale, Rome, on emmène les hommes, on laisse les femmes et les enfants (on se souvient, à l’occasion, de la mi-juillet quarante deux, au vélodrome d’hiver, à Paris), elle c’est Pina, Nanarella, c’est la plus grande actrice de tous les temps et de tout l’univers, on dira ce qu’on voudra, une merveille, une des merveilles du monde du septième art, une merveille de l’humanité : et que serait l’humanité sans amour ? C’est lui qu’on lui enlève, Francesco, elle déjà veuve, elle qui l’aime, elle crie, hurle, se bat, frappe, se déchaîne court vers la sortie

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on lui déchire le coeur, tu sais bien comment ça se passe chez nous autres, les humains, elle court et hurle « Francesco!! Francesco!! »

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il est embarqué, sait-on alors qu’il va vers la mort ? et qu’elle y court, elle aussi ?

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qu’on la laisse, elle court, sort, elle crie, court

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court

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lui la voit dans le camion, elle court crie « Francesco!! » quelques secondes

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lever le bras, crier encore crier

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on tue, on arme le fusil, on tire, on tue

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dans la rue, morte…

Résister.

« Rome ville ouverte », Roberto Rossellini, 1945.

 

Le deuxième portrait

 

 

Il se pourrait bien que ce soit de l’amour. Mais ce ne serait qu’en esprit, et en esprit, l’amour a plus de difficultés, entre les êtres, à s’établir. Peut-être entre les êtres. Mais ici, un souffle de vent, dans un rêve, quatre heures de l’après midi, soleil, bord de mer…

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Madame Muir s’est endormie (le ciel est bleu mais ce n’est que le fond de l’écran) (il en est de même dans le film, mais)… Seuls le noir et le blanc parviennent à dessiner la vérité de la relation qui unit cette jeune femme – qu’on voit là, endormie, au premier plan, de profil, elle rêve- et Daniel Gregg, capitaine de navire probablement, qui a fait construire cette maison et qui, dans cette image, entre sans qu’on le voie, par cette baie fermée à l’instant par notre héroïne (ce faisant, elle a à son doigt fiché une écharde ainsi qu’ailleurs la Belle au bois dormant, mais passons)

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Ici, le portrait qu’on trouve au salon, qu’on posera plus tard sur le mur de la chambre du haut (c’est le deuxième de cette maison-ci, qui n’a d’existence que parce que nous autres y plaçons certains souvenirs, mots, photos, signes, témoignages et autres dons immémoriaux ou liens, rapports, noms propres ou communs, lieux et territoires, une histoire et une géographie, une science ou un désir) : à droite, l’agent immobilier qui ne veut pas louer, au presque centre cette Lucy, de noir vêtue veuve d’une année, et le capitaine qui nous fixe, nous et moins elle…

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La rencontre (s’il y a lieu : ce sera dans la cuisine) la bougie, la lampe et le cran : une sorte d’amitié

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Le capitaine est à l’image : Rex Harrison, la jeune veuve, Gene Tierney : le film vient juste après la deuxième guerre (1947), c’est Joseph Mankiewicz qui le réalise (il y a dans cette maison un certain nombre de gens qui ne sont pas nommés, mais ça ne devrait pas durer, je pose des liens dans le cellier-qui ne sert à rien- la buanderie-il en était une chez mes parents à Carthage avenue du Théâtre romain – dès que je peux), ensemble (est-ce ensemble ?)

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une magnifique ambition, un lien sublime et tellement affectueux, un vrai couple de cinéma dans l’un des plus beaux films de tous les temps…

(Ici, dans cette maison, ici ne viennent que des films les plus beaux de tous les temps, ici s’évanouit la fiction pour à la réalité faire place, ici comme il est tellement difficile aujourd’hui d’être exigeant car le monde ne le veut pas et s’oppose à tout ce qui pourrait aider à penser, ici donc vivent nos fantômes – et comme on les aime… – mais est-ce que c’est de l’amour, dis moi ?)

 

Billet réalisé avec la complicité de Joachim Séné,  pour l’aimable prêt du DVD : qu’il en soit (ainsi que son père, si j’ai compris) donc ici remercié.

 

Le plus beau de tous les temps

Un chiffre, et quoi d’autre ?

Ca se range, ça, un chiffre ?  (il y a comme une obsession dans cette maison, par rapport au rangement : chaque chose à sa place, et chaque place a sa chose, dit le proverbe) (est-ce bien un proverbe ? je ne sais plus) Un chiffre, jt’en ficherai moi…

Une adresse, ça pourrait tu vois aussi, mais là : on peut encore se contenter de bis, ter ou encore mais demi, non, jamais.

Tant pis.

Quelle idée aussi (je sais bien d’où elle vient, va, encore cet esprit -peut-on vraiment parler d’esprit pour ce type-là ?-  cet esprit dis-je, embrumé par des fantasmes à n’en plus finir, tu sais bien, ces histoires de poitrines proéminentes, de hanches épatées, de fesses arrondies énormes, ces sourires maquillés, ces femmes, toutes ces femmes, outrées, fardées, rieuses ou pleurant, tu sais bien (ici Claudia, qui jouait aussi dans « Le Guépard » – même année, 1963, tu vois bien-

claudia

mais là, elle sourit, elle conduit une petite voiture allemande, il est à côté d’elle et lui a promis une rôle, si je me souviens – tiens j’ai une photo de lui, je vais la chercher

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la voilà, elle est dans le journal comme on voit (la lumière c’est le flash juste sur son prénom), il mime sans doute pour l’un de ses acteurs favoris

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le chapeau, les lunettes, l’écharpe et le sourire, le jardin des statues) non, mais quelle idée, et puis finalement, je me souviens de lui dans sa salle de bains, aussi

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il a gardé son chapeau, tandis qu’en dessous, on aperçoit cette Gelsomina qui fait de la main un signe (on le revoit tout à l’heure, en contrechamp), Zampano ou Snaporaz, des noms, des surnoms, paparazzo ou Rimini, la mer d’huile et de plastique d’Amarcord, le mollet de la botte, les chemises rouges de Garibaldi (non, lui n’aime pas vraiment ces histoires-là, cette histoire aussi bien) des chambres d’hôtels, oui, des maisons en tissu sur la plage, peut-être, du vent, les vagues, l’Italie – mais cette maison, là, dans une sorte de minuscule jardin, ces pièces intérieures, le monde qui entre, visite, juge, moues dégoûtées et rires frelatés, à vendre, ce sera « chez vous », entrez,  entrez – le numéro de la rue, le nom, la ville, et la plage, c’est loin ? non, vraiment, non, et la dernière scène du film, celle où à chaque vision, moi, je pleure, je ne sais pourquoi, le type est un monsieur Loyal

loyal

c’est un homme fardé de blanc (jl’adore) (tout à l’heure, il se préparait, croisait les doigts au passage de Marcello, lui disait : « Ciao..!! Buona fortuna..!!! »), voilà tout, et c’est parce que il y a cette musique (Nino Rotta), c’est parce que on sent bien que la fin arrive, on a monté l’échafaudage

échafaudage

dans l’hystérie, les journalistes, les autres, il plonge sous la table, Marcello, dans sa poche, il s’allonge et tout disparaît, survient Luisa

anouk 2

Claudia tourne le dos

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Anouk Aimée si fine légère formidable

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cette femme-là, c’est pas compliqué, je l’adore (« je peux essayer, dit-elle, si tu m’aides… »)

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tout sauf la musique qui est là, une fanfare (elle n’est pas au point, ce sont des clowns, oui)

fanfare

le petit môme en blanc, qui joue de la flute, là, on commence à ouvrir le rideau blanc

ouvrir le rideau

et que descende la foule

la descente

(« riez, parlez, bavardez… ») et que batte la musique, et que passe le monde en blanc

son père et sa mère

ces deux vieillards, la mère et le père, là, il leur dit bonjour, au revoir, adieu qui peut savoir

au revoir aux parents

regarde au fond du plan, cette présence de la foule qui est là, sans le dire, sur l’estrade ronde, et mettre en place

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prendre la main de Luisa, l’emmener

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si elles sont bougées, c’est que la danse est là

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ils la rejoignennt, la farandole, tournent les danseurs, les acteurs, les personnages

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il faut que ça se termine, tu sais, un film, une danse

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dans un magnifique contrechamp peut-être, une musique tellement belle, on fond, je te jure,  quelques larmes de joie, le monde tel qu’il est, ainsi jusqu’à la nuit, « le monde est un joyau sans meurtre ni misère », une vraie histoire vraie, celle d’un homme qui n’a rien à dire, mais vraiment félicitations maestro, alors oui, l’un des plus beaux de tous les temps, oui, huit et demi

 

Sortie de bain

 

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 » C’est le père Pirrone, qui dit que c’est urgent… »

L’homme (c’est le Guépard) bougonne : « qu’il entre…! » , sort de l’eau tiède

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(si ‘l’Employée aux écritures vient par ici, je lui dédie ce papier peint) (d’ailleurs, c’est un paravent) (il irait bien aussi chez un des héros du propriétaire de l’horloge comtoise) (mais je m’égare)

l’homme (c’est un prince) pense à part lui : « que me veux ce (WTF) ecclésiastique… ? »

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il sort de la baignoire, il vient de parcourir, en cinq ou six jours, la campagne sicilienne, voitures chevaux bruits de guerre et violences, dormant dans des auberges immondes, sous une chaleur caniculaire, et voilà que ce prêtre

salle de bain 4

est surpris par la nudité du Prince qui n’a rien à cacher au Créateur et encore moins à ses représentants ici-bas

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non, il ne savait pas mais c’est énervant quand on a l’habitude d’être servi de ne pas trouver au sortir du bain le vêtement approprié

salle de bain 6

dit le Prince au prêtre, et encore d’autres choses du genre : « vous qui avez l’habitude de la nudité des âmes, celles des corps est bien innocente, allons padre, le peignoir… » puis très vite, l’autre ne comprenant pas :

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le prêtre le couvre du linge lourd et le sèche, s’approche, et le Prince, sans sourire (ce n’est pas drôle) :

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Il est complètement anormal qu’on me trouve ici : on ne me voit pas, tu me diras, puisque je suis probablement dans un des placards qu’on ne distingue pas d’ici ou encore dans l’une des malles des nouveaux arrivants, peut-être (cette idée d’appeler cette pièce « salle d’eau » vient de qui ? on ne peut pas aller jusqu’à « salle de bains » non ?  ce type de lieu, témoin de quoi jte le demande, furieusement classe moyenne, médiane, commune, ni tout à fait complètement pauvre, crédit vingt cinq ans et au bout de ces vingt cinq ans, plus rien, les placoplâtres fichus, les fenêtres et les joints éventés, j’en passe des meilleurs des pires, c’est aigre aujourd’hui, pourquoi ce dégoût ?) je suis blanc, propre et sec : le prêtre, peut-être négligé dans cette lointaine campagne, le Prince qui va se parfumer, après ses jours dans la poussière et la chaleur, il me faut la photo de son visage, il y a peut-être une heure, quand il est arrivé à Donnafugata lorsque la messe en son honneur est dite, il me la faut parce qu’elle dit ce que c’est que d’être un acteur de cinéma, même si elle est trouble, sans doute parce qu’elle est trouble, elle dit (ne le dit-elle qu’à moi ?) ce que c’est que d’être un acteur du Nouveau Monde qui joue dans l’ancien, l’Histoire, la constitution de cette Italie, en mille neuf cent soixante trois, adaptant le livre date de mille neuf cent cinquante huit, et qui donne les événements de mille huit cent soixante

Burt

le Prince Salina, don Fabrizio, Burt Lancaster, trapéziste dans sa jeunesse, ici voyant le monde devant lui changer, changer pour que tout reste comme avant et que rien ne change…

Au grand jour

 

Le cinéma, c’est toujours un peu la même chose. Parfois, on aimerait pouvoir croire qu’on n’y est pour rien, mais voilà, non, jamais. C’est un peu comme l’histoire, cette histoire-là, celle de l’humanité aussi bien, cette histoire comme ce présent et cet avenir, en est-on ? L’accès à la maison est l’accès aux témoins : ici, avant qu’on y entrepose cric et horloge comtoise, photos de tableaux ou de graffitis, dessins ou icônes, mots enfin laissés là pour que d’autres s’en emparent, les lisent, les comprennent, ici vient qui veut, s’en va qui ne peut rester, je n’en sais rien, c’est égal, pour ma part, je n’ai rien choisi, et parfois, dans des moments de lucidité peut-être, je me dis que c’est tant mieux. 20150527_145722

Il y aura des gens qui nous sont inconnus, d’autres qui seront passés à la postérité

monsieur grave

sur le même  monde, tu sais bien, debout toujours, des gens qu’on aime, qu’on a aimés, toujours est-ce un mot d’amour, toujours ces images-là, ces histoires-là, elles sont vraies, le cinéma, c’est un peu toujours la même chose, on nous raconte des histoires

pierre mendès-france

Bordeaux, en juin mille neuf cent quarante, le Massilia, on croisera des gens célèbres (ici Antony Eden , au nom si prometteur de jardin, né un dix huit juin…)

lord Eden dans son bureau

au lieu de « gravats » peut-être aurais-je mieux fait de poser ce genre dans quelque « bureau » ? Je ne sais pas, il s’agit d’un documentaire, je fais ce que je peux, je ne sais pas, il dure des heures (faut-il compter ? les nombres, les cinq cents, les dix fois douze ça ne fait que cent vingt, une moue un peu dégoûtée, inconsciente, les additions, je les laisse à ceux – ce ne sont que des hommes, certes- que ça intéresse, moi j’ai des choses à faire) , ici monsieur Grave aux champs (c’est une photo que j’adore)

monsieur Grave aux champs

c’est parce qu’il rit, cette maison et ces champs, ces gens qui visitent, ce monde qui bruit, ces histoires là : madame Solange ici, coiffeuse

la coiffeuse

dénoncée puis torturée, brisée, que peut-on savoir de cette haine, puis ici, Raphaël Geminiani (un coureur cycliste qu’on a peut-être oublié)

raphaël geminiani

le monde est tel qu’il est, il a son passé (enfouissons-le sous nos gravats si tu veux, mais ça ne sert à rien), il a son histoire racontée par les vainqueurs comme on sait, racontée par les hommes pas par les femmes, racontée par un idiot, voilà tout, c’en est fini du cinéma, la fiction, la volonté de montrer des choses et des sentiments vrais, désordonnés, cruels ou illuminés, doux et tendres, oui, montrer le monde comme il est, tiré d’une histoire vraie

les frères Grave

ce ne sont que deux frères, l’un est Alexis, l’autre est Louis, je ne sais pas lequel, j’ai rendez-vous avec le mien il faut que je me dépêche, tu sais on lui demande  un moment, dans ce film, c’est une merveille juste une merveille simplement sur la vraie histoire du monde, de la vie et de l’humanité, une histoire comme on nous en raconte de temps à autre, quelque chose qui peut-être pourrait nous endormir puisque c’est dans les rêves que les choses arrivent, Hollywood n’y est pour pas grand chose,  les acteurs, les images, les éclairages, la nuit et le silence, quand on lui demande « mais jamais vous n’avez eu envie de vous venger ? » l’image de son regard

monsieur Grave 2

son histoire, je me vois bien appuyé sur mon poing au deuxième plan, toi mon ami, mon frère, toi mon amie, allez viens, on oublie et on sort, au grand jour

ciel houdin 2702515

 

Posséder

 

 

Parfois, on aimerait pouvoir croire qu’elle n’y est pour rien .

Une maison, un toit, des conditions climatiques, une famille, des chambres à n’en plus finir, un hiver à passer là, à écrire -un peu comme ici.

Parfois on aimerait croire que ça n’a rien à voir avec le reste du monde et qu’il s’agit juste d’une histoire, une fiction comme on dit, à laquelle on n’a pas d’importance à attacher parce qu’elle puise ses sources, ou ses idéaux, son imaginaire ou ses fantasmes ailleurs que dans quelque  repli abrupte ou aigu, le fil du rasoir ou le bord du monde quand il était plat, une partie retirée ou cachée, de notre âme. Un coin, un placard, une porte dérobée, un faux semblant, un trompe-l’oeil.

Parfois, ce serait bien d’y croire. Comme si le monde, le notre, celui sur lequel nous vivons (nous vivons sur le monde) (dedans le manteau, le noyau, les plaques qui se chevauchent et ces effusions, ces effluves, cette chaleur insoutenable, ces fumées et ces fusions, dedans, nous n’y survivrions pas), comme si ce monde-là n’avait pas d’autre existence que celle que nous lui infligeons en y bâtissant des histoires. Elles sont vraiment arrivées, et elles se sont vraiment produites. La preuve, il nous en reste encore quelque chose. On pose trois images (*), et sur la platine un disque, un cercle parfait, parfaitement gravé, complètement réfléchissant, et on entend la musique des sphères (la morna, tendre et chaloupée).

La merveille de cette histoire-là (on trouvera dans l’une des chambres d’enfant un tricycle dans les bleus), c’est sa brillance. Je me souviens qu’à cette époque-là, lors de la sortie -en 1980- de cet étrange sorte d’objet de fantasmagorie, il avait été comparé à une autre histoire d’enfant envoûté (« L’Exorciste », William Friedkin, 1973) (je m’attache aux dates, parce que sans elles, je suis perdu). C’est dans une maison, les choses se passent. Un enfant est médium. Un autre être, (un noir, le noir des US c’est toute leur histoire), un autre être est, du même sort (est-ce un sort, dis-moi ?) habité.

L’habitation, parfois, on aimerait pouvoir croire qu’elle n’y est pour rien. Encore faudrait-il y croire… Rien d’autre qu’un décor, tu sais bien. C’est dans les rouges que les choses se passent (comme ici cela a été indiqué).

shining 2

Tiré d’une histoire vraie (c’est à la mode, ces temps-ci). Un roman (comme si le genre n’avait pas d’importance). La porte de la chambre est ouverte.

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Il s’agit de notre monde, le chiffre et le code ça nous dit quelque chose, la possession s’en est emparé (tu sais, posséder aux deux sens). Notre monde, le vrai. Et des portes des ascenseurs s’écoule

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notre vie elle-même, de nos veines, de nos artères, ces liquides et ces humeurs, ces effluves et cette chaleur, une sueur parfois froide, et puis la chambre, les chambres ici elles ne sont que d’hôtel, le labyrinthe dans le jardin, la neige la nuit la chenillette, dans le Colorado (colorisé, ce que les mots nous aident parfois), cette histoire, notre histoire, et de tout temps, des fleuves de sang…

(*) : les photos, toutes en (C)PCH, réalisées bien sûr sans aucun trucage, sont des illustrations réalisées au téléphone portable-ça ne se dit plus- à même l’écran et tirées du disque inclus dans l’intégrale