le é de cinéma

 

 

Il en est des lieux comme des gens: ils apparaissent, puis s’en vont sans qu’on y prenne garde. Je déteste ça, dans ce monde : dans ma petite enfance, je me souviens de cette carte postale que j’avais envoyée à mes soeurs de la Bourboule (tu vois comme les choses changent, hein), il s’agissait je la revois d’une girafe qui faisait « loin des yeux mais pas loin du coeur » j’y étais avec TNPPI pour curer mes bronches de cet asthme qui me valut, bien des années après, d’échapper à cette saloperie d’armée (je suis un « grand malade » suivant cette nomenclature, statut établi à l’hôpital de Percy (Clamart) au péril de ma vie (j’ai failli y passer, ce jour-là); je me souviens aussi de la journée de « don du sang » obligatoire où les appelés comme des mouches mais dans de grands « vlouffff » tombaient sur le sol de la tente dressée là pour l’occasion – pour ma part, l’appelé chargé de la mise en place de l’aiguille du prélèvement s’y reprit à trois ou quatre fois, ne trouva pas ma veine à mon bras droit, signa la pelure rose de la réalité de mon don et me libéra : j’avais gagné vingt quatre heures de permission…) (cela se déroulait au siècle dernier, mais il n’y a pas prescription). Mais en revanche, j’aime les souvenirs et ce matin m’est apparue cette image qui faisait suite à celle-ci capturée à la fin de mois dernier (il se trouve qu’elle est en date du 18 juillet et que le lendemain TNPPI tirait sa révérence – je l’aime toujours). Ce matin, donc cette image-làle cinéma (de plein air, disait-on) déménage : il est arrivé au parc dans les débuts quatre vingt dix, et plusieurs fois, j’en ai enquêté les publics – on était assez mal reçu, mais au début on percevait quand même quelque chose de la joie, ou de la détente. Je ne sais plus les films donnésmais ça n’a pas beaucoup d’importance – lorsqu’il pleuvait, abandon de terrain; on avait réservé une fois un transat à mon intention, je ne l’ai jamais utilisé, j’avais un  travail à exécuter et je le faisais, voilà tout, des spectateurs, des bouteilles de vin, du saucisson et des rillettes, des tartes préparées tout exprès, des sièges de fortune – un siège arrière de deux chevaux, je me souviens – la débrouille normale, la nuit qui tombe comme l’humidité et puis le film se termine et on rentre chez soi… Un peu plus haut sur l’avenue, on a posé les lettres du mot cinéma, ici le éen haut à gauche, bord cadre, je me suis souvenu de ce temps… Les enquêtes sur le jazz, celles sur les autres manifestations, j’avais un goût marqué pour le jardin, comme aujourd’hui (je me souviens de cette exposition du jardinier Gilles Clément, je me souviens de choses et d’autres : c’est qu’un mail, hier, m’a remémoré cette époque, l’ambiance de maçon qui y régnaitmes études de cinéma ne datent pas d’hier, mon travail dans ce milieu non plus, j’aime toujours autant les italiens, les américains, moins les français qu’est-ce qu’on peut y faire ? je me souviens de cet architecte à la retraite -short marcel méduses – qui venait d’Opéra à pieds et qui y retournerait par le même chemin « c’est tout droit » disait-il (l’avenue Jean Jaurès est en droite ligne de la rue Lafayette et de l’Opéra, certes), de nombre de personnes et je me souviens des entretiens filmés pour l’exposition de la fête foraine, autres temps ?sans doute, il y avait au bas d’un pavillon (Janvier peut-être ?) une bibliothèque, j’avais quelques amis dont cette dame, Françoise, qui publiait ce livre sur Belleville – j’allais y habiter – voit-on un rayon vert sur cette image ? on dit bonjour à Eric Rohmer et à Jullouville… – c’est chez Créaphis toujours, un autre ami qui vivait sur les quais de la Seine, le temps est passé, aujourd’hui il faisait beau, j’ai marché, le long du canal on a disposé une promenade surélevée (elle me fait penser à Gênes), j’y ai marché : le goudron s’en effrite, des folies en marquent le chemin (comme partout) : il y avait une émission, aussi, de radio, que je dois écouter, dimanche « l’esprit des lieux » je crois me souvenir, j’ai écrit alors de longs articles sur ces spectacles (je devrais les publier) , ceux du cirque comme ceux du pavillon blanc (Delouvrier de nos jours) (il portait le nom de son concepteur d’alors, Oscar Tusquets, on avait eu l’intention d’y proposer des cuisines du monde, on y donna une exposition de photographies de Jane Evelyn Atwood, elle prit mon texte – merci encore – je me souviens de la pâleur de mon commanditaire lorsque je le lui remis en guise de « rapport d’étude »…)je n’ai pas pris tellement de photographies aujourd’hui, non, j’avais à l’esprit cette institution(on voit mal ici gauche cadre en haut de son trépied le « m » de cinéma et sans doute le « a » vers le milieu de l’image) des gens passaient

vaquaient à contrejour, je me suis souvenu de cette époque et de la fin de mes travaux dans ce lieuil s’agissait d’enquêter de nuit, un spectacle autour d’une exposition, ou l’inverse, électrique, flippers et musique à rompre les tympans (électronique, deux pistes de danse, des jeunes gens soûls et défoncés, qui n’en a pas vu ou croisé ? jusque cinq heures, approcher les personnes qui sortent je me souviens de ce travail, l’un des plus difficiles) (un autre sur la projection en continu – huit heures du soir/neuf heures du matin – du feuilleton « Berlin Alexander platz », on sortait de là ébahis…), j’ai été remercié (c’est ainsi qu’on dit) pour ce travail, les gens sont encore sans doute en place j’imagine (TNPPI pourtant, je sais bien)

il y avait la cité de la musique et le conservatoireoù E. alla jouer du clavecin, je me souviens (si je trouve cette image, je la poste : la voilà

) mais c’est ainsi, les choses changent comme les lieux, les gens aussi, le temps passe, le soleil brille, j’ai regardé un moment ce type-làtout celà, c’est du travail tu comprends bien, ce n’est que ça, finalement, je vois les gens écrire, tenter de publier, s’entraîner, parler vivre, je me dis qu’il est assez inutile de se plaindre, à quoi ça pourrait bien servir – je me souviens qu’à l’occasion de cette fracture, j’avais écrit « détester être maltraité » mais est-ce que ça a de l’importance ? aujourd’hui, vingt ans après ?en réalité, beaucoup : toujours cette fêlure, cette trace à combler, cette disposition à souffrir pour des bêtises, qu’en a-t-on à faire ? « bien faire et laisser dire » comme elle disait; de la rancune ? certes; de la haine ? sans aucun doute, il y a dans ces jours-ci quelque chose chez moi, malgré l’incendie, les pertes, les larmes, il y a quelque chose qu’ils n’atteindront jamais, le garder sur soi, avec soi, en soi et continuer

 

 

Il est des moments où je me trompe : ce n’est pas ici que devrait se trouver ce texte, mais sur pendant le week-end, qui ferait un « Oublier Paris » d’un quantième (soixante douze, je le vois et je le ferais) mais je le pose dans cette maison(s)témoin qui accueille souvent des absurdes personnages (les acteurs de cinéma sont souvent absolument absurdes – on a été voir, par exemple, « Une femme douce » (Serguei Loznitsa, 2017) où le personnage principale ne laisse rien voir de ses affects – sans doute n’en a-t-il pas ?) ou des vendeurs assez désoeuvrés  parce qu’il faut la faire vivre – le genre de personnages qui est ici en quelque sorte la référence, assez abjecte je reconnais, ne va pas en embellir l’ambiance, je sais bien, mais ce sont des choses qu’on ne gouverne pas facilement. Donc, à retrouver, sans doute dans quelques jours (le temps que les choses s’apaisent peut-être) d’un autre côté de mon éco-système (comme dit l’autre).

de la musique et de la danse

 

Une espèce de merveille qui envahit l’écran et la salle, c’est la musique et la danse de ce film : elles parviennent à dire l’humanité qui existe en nous, on l’espère, cette vraie humanité qui a parfois un aspect naïf, mais qui existe quand  même, peut-être plus que la haine. Aujourd’hui, c’est l’horreur : des corps jonchent les ramblas, on les a enlevés, on a dû nettoyer, le truc a été revendiqué et ceux qui ont agi l’étaient eux-mêmes par cette sorte de vantardise humaine qui imagine être le centre de la dignité. Ce qu’on a à leur opposer ? De la musique. Et de la danse.

Une horreur, mais nous sommes en vie. Il y a de la musique, des artistes et de la liberté, elle existe cette liberté même si certains aimeraient la ligoter (l’un des films précédents de Tony Gatlif, était intitulé « Liberté » (2010)) . Elle est là, nous l’avons, nous la défendons. Il y a des jeunes filles, deux : l’une, Avril (interprétée par Maryne Canyon)

 

l’autre, Djam (Daphné Patakia, créditée aussi de la chorégraphie)et la production du film est grecque, et turque et française. Peu importe l’ordre mais réunir ces trois institutions sous un même projet est déjà une preuve de la vérité de l’histoire. On se souvient (voilà seulement dix ans) du sauvetage des banques US (cette ignoble et abjecte façon de donner aux plus riches) , eh bien la Grèce (comme le Portugal) payent à présent (et depuis cinq ans au moins) pour ces errements. L’horreur que subit ce peuple et ce pays (ces pays, les pays pauvres) est à l’image des guerres subies elles aussi dans cette partie du monde, ce Moyen-Orient endeuillé déjà de tant et tant de guerres, de réfugiés, de morts tant, et tant, et tant…

Le beau-père de Djam (incarné par Simon Abkarian) Kakourgos, lui donne pour mission d’aller faire forger une bielle pour le moteur du bateau qu’il possède, défectueux et de toutes façons sans objet – il n’y a pas de touristes pour visiter l’île de Lesbos…

Le film trace une route : les deux jeunes femmes vont de Turquie en Grèce, déroulent une histoire, vont, avancent, rient et dansent, mangent et boivent. L’histoire c’est celle de notre vie à nous. Que nous restera-t-il, sinon nos yeux pour fixer les huissiers ? Scène magnifique de cinéma, Djam qui insulte les vautours, magnifique également celle où le moteur du bateau retourne : du vrai cinéma comme on l’aime.

Mission menée à bien : confiance, amour, joie et gratitude… Le reste du monde ? Sans doute, une histoire, des histoires… Mais la vraie dignité humaine est là : chanter, danser et rire. Ce sera tout.

Trois plans formidables : lorsque Kakourgos raconte l’histoire de sa vie avec la mère de Djam… Formidable cinéma à nouveau

A voir, magnifiquement.

Cacher ces yeux que je ne saurais voir

 

La manière a changé mais pas cette sorte d’amour qu’on porte à cette espèce d’art (le 7° (et le 8° aussi) / ces classements, numérotations, catégories et tentatives de mise en place de rangement de toutes les activités humaines, dans le but d’en tirer profit (ce mot de terreur) ont toujours quelque chose d’obscène). Quelque chose a changé, mais surtout pour ce qui est des illustrations : on prenait les nôtres, on les taillait, les ajustait et on les posait. A présent, on en prend d’autres souvent issues de la promotion des films (les films se promeuvent, les divers acteurs sont mis à contribution, on appelle ça le service après-vente (ignoble) : on dispose de « dossiers de presse » (repris mot pour mot sur des sites parce que on n’a pas que ça à faire) dans lesquels les promoteurs (comme il en est d’immobiliers) (les distributeurs) imposent quelque chose : ainsi que dans le film (un peu raté) « Corporate » (Nicolas Silhol, 2016) on les aide donc ici – et ils nous aident à les aider (wtf ?). On crache dans cette soupe, c’est vrai – mais on n’en a rien à faire, de cette soupe-là. Ici, on parle de cinéma, et la cinéaste (la Varda, si tu veux) commet des documentaires, assez fréquemment. Ici, ils sont trois à s’être associés (trois, au moins) : des têtes d’affiche, qui, par elles seules sans doute, peuvent mettre en place, pour peu qu’elles le veuillent, la production d’un film. Je me souviens d’avoir vu passer l’appel à dons qui a été pratiqué lors de la production de celui-ci « Visages, villages » (2017) présenté à Cannes cette année (images plus bas), hors compétition. Deux personnages en quête de vrais gens. Et le musicien (le cinéma, sans musique, c’est terrible et ça me procure un tel chagrin que – par exemple – les productions des frères Dardenne me blessent profondément). Tout ça pour indiquer que personne n’est dupe : on parle encore de ce qu’on veut et on n’en tire aucun bénéfice; on pose (on colle) quelque part dans la maison(s)témoin une image photographiée mais elle ne s’en ira pas  (croit-on naïvement) de sitôt; ce billet se trouve être en relation avec un autre (qui lui-même etc etc…) c’est tant mieux – et on aurait bien tort d’attendre quelque chose d’autre que ce qui se passera. Ca se posera un peu sur (ou dans, je crois, la rubrique) les murs. Comme un Décor…

 

Le film commence rue Daguerre et se termine je crois à la campagne ou à la mer (non, au bord du lac). Bizarre (et un peu décevant) qu’on ne voie pas à l’image Matthieu Chédid dit -M- mais on répare l’oubli

(une très jolie chanson (parole Robert Nyel; musique Gaby Verlor) , « C’était bien » (le petit bal perdu) il me semble (chantée par Bourvil, il me semble aussi, t’as qu’à voir) illustre aussi ce cinéma-là – 466 974 vues ce jour) (533 510 ce 3 septembre 2017).

L’un des gimmick du film (l’un des Mac Guffin si tu veux) c’est que le JR en question ne retire pas ses lunettes de soleil (ni son chapeau) et qu’il finit par faire semblant de se fâcher contre l’insistance qu’Agnès Varda met à vouloir les lui faire enlever (de quoi je me mêle). La fin du film (que j’ai trouvée dramatique) met en scène le moment où, comme Jean-Pierre Melville sur l’image  là retire ses lunettes et montre son regard, JR fait de même pour la Varda et que le monde (comme elle) voit enfin ce visage : flou. Il reprend en cela un autre même geste qu’avait joué pour la cinéaste un de ses amis d’alors (ami de la photographe d’alors) : ainsi tourne la boucle et le tour continue, et continue encore…

Ils sont trois têtes d’affiche :

le dernier JR qui ne quitte ni ses lunettes ni son chapeau colle des affiches sur les murs. C’est juste magnifique, la Varda filme et fait le clown (lui aussi), la musique accompagne précède tisse élabore illustre. Une douzaine de tableaux plus des transitions (au montage, la Varda) (comme Alain Resnais), une espèce de road-movie (c’est un genre, c’est un classement dans lequel les premières places sont prises par des fictions, « Alice dans les villes » (Wim Wenders, 1974),  et « Thelma et Louise », (Ridley Scott 1991)), on aurait tendance à dire « de vrais gens » (mais les faux ne sont qu’au cinéma, à la télévision, sur les photos…), j’en ai gardé quatre ou cinq (ce ne sont que ceux qu’on m’a proposés à travers la banque d’images dont je dispose) : quelque chose de la réalité du monde. Par exemple, je viens de trouver cette image des femmes de dockers (le formidable « c’est nos femmes » dit l’un d’entre eux – ils sont tout petit, en bas des images, les femmes comme des oiseaux à la place du coeur)un autre tableau montre Jeannine la seule habitante d’un coron promis à la disparitionun autre montre des chèvres avec leurs cornesun autre enfin un homme assis sur un bunker (il s’agit du photographe GUY BOURDIN (merci Employée) qui apparaît nu sur certaines photos d’AV des années 50)le maire de la commune où se trouve le bunker (SAINTE MARGUERITE-SUR-MER (re)) raconte comment le bunker a été poussé (ici il est très pixellisé) avant qu’il ne tombe sur la tronche d’un promeneur/touriste ou quelque chose, et comment il est resté ainsi sur la plage. L’agriculteur aux 800 hectares de Chérence dont j’ai oublié le nom (il se reconnaîtra) (l’image du hangar se trouve aussi sur le blog du Chasse-Clou lorsqu’il visita Chérence) le tout formidable de drôlerie, de sensibilité et de courage (et un peu de cucuterie comme la Varda aime à en poser, parfois). On en sort heureux d’être sur la même planète qu’eux. Avec, donc, tout notre amical souvenir.

Ainsi qu’à ce type-là, au bord du gouffre (?) de la retraite (adorable)

 

 

addenda italique 1: le rendez-vous manqué avec l’auteur (il n’est pas seul : au cinéma personne n’est jamais seul, et d’ailleurs il n’en fait plus guère) (son attitude de tête à claques mais auteur) des très aimés « A bout de souffle »(1960) et « Pierrot le fou » (1965) sans compter « Sauve qui peut (la vie) »(1979) surnommé le solitaire de Rolle dont on ne citera pas le nom sinon « peau de chien » avait l’air de cinéma, n’eût été le vrai émoi (m’a-t-il semblé) ressenti par Agnès V. (la moitié de Jacques Demy) (on ne peut pas ici ne pas le redire) – est-ce mise en scène que ces mots écrits au feutre sur la vitre de cette maison  – est-ce seulement la sienne ? – ? est-ce un coup de force tenté/perdu par la cinéaste ? s’embarque-t-on sans certitude d’avoir porte ouverte ? Je me souviens de Maurice Pialat (il ne m’aime pas non plus, je sais bien) levant son petit poing et disant aux siffleurs « si vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas non plus… » et j’ai pensé à ce mot voyant se dérouler cette dernière illustration (pas de visage, non, sinon celui, f(l)ou, de JR sans lunettes) et le cadeau de ses gâteaux préférés. 

Je me souviens de cette image et j’ai la réponse à la question que (nous/se) posait Patricia (on voit au reflet dans la photo, la bibliothèque de  derrière le bureau de la maison brûlée, tiens)

Le film se termine sur les deux AV et JR assis sur un banc, cadrés de dos, contemplant le lac (l’affaire n’y est pas) mais qu’aurait donné (sinon ce qu’ils en auraient fait) la rencontre ? On aimerait dire qu’OSEF (et c’est ce qu’il en est, en vrai…) mais, pour ma part, j’ai tout à fait le sentiment que cette manière d’agir est celle de certains artistes : rien à foutre des autres, du reste du monde et des rendez-vous avec les vieux amis… Une façon de voir le monde, la vie et ceux qui la font

addenda italique 2: (après en avoir discuté avec l’ami Chasse-clou taleur au bar) le solitaire de Rolle en question tape quand même les 86 printemps/balais/piges/berges ce qui fait peut-être qu’il ne désire pas qu’on soit averti de son aspect – une marque de respect des autres ? il me semble qu’il ne s’est pas présenté non plus à Cannes, à un moment… on peut gloser, mais la manière dont il se trouve présenté dans le film indique, à tout le moins, une espèce de mépris (pensé-je)   

Les amis dans la chambre

 

 

On ne sait pas bien, exactement de quoi il retourne avec ces fantômes qui resurgissent de quelque lointain siècle dernier, c’est avant ma naissance, c’est plutôt à Paris, ce sont des musiciens, leurs images qui les font à peine réapparaître, ils sont tous morts, ainsi que le type qui les a faites. Il a aussi réalisé un film qu’il a intitulé « Bye » où il prend congé de nous (en 1990, cancer de la prostate – cette goule qui nous guette nous autres mâles, tout comme au sein la branche femelle), il est dans sa baignoire, explique : « j’aime bien rejeter en arrière mes cheveux quand ils sont mouillés » on comprend quelque chose du partage, on le voit se faire couper les cheveux, la barbe, puis plan rapproché de son visage « bye » dit-il. Un sourire, un geste de la main. Une merveille, donc. Avec cette satanée communication de nos jours, cette  publicité et ses incessantes injonctions, il y a toujours un pan de ce qu’on rapporte qui aurait quelque chose à voir avec une espèce de recommandation, « allez-y » dirait quelqu’un voulant vanter le truc, faire en sorte qu’on en parle afin qu’on y vienne, et qu’ainsi la présentation devienne un succès (notamment financier, mais aussi symbolique etc. : tous les plans sont bons à prendre -sur le site de l’artiste on ne peut pas voir les films) – mais foin : quelques photos, en voici une, à l’entrée de cette pièce de la maison(s)témoin, un pousse-pousse asiatique, les colons, l’esclavage… et puis passent les jours et passent les semaines. Je travaille à l’édification de ma culture personnelle. C’est dans la chambre d’amis.

Il y avait dans la bibliothèque une espèce de biographie plus ou moins romancée d’Ella Fitzgerald où il était dit qu’elle ne cessait pas de chanter, dans le bus des tournées, à ses débuts, cette femme-là, qu’est-ce qu’on peut l’aimer 

et aussi cette idée qu’elle avait de n’être jamais à la hauteur de ce qu’on attendait d’elle, mal aimée peut-être mais pas de son public (elle m’a quelque chose de la diva du Cap Vert, cette autre merveille de la chanson Césaria Evora), elle est toujours là, Ella Fitzgerald et son sourire, les années cinquante, le jazz et cette merveille

ce sourire magnifique, à peine esquissé, vivante et magique (claquer des doigts). Il s’agit de photographies prenant beaucoup d’objets (les voyages, les amis, les gens) mais un des versants s’intéresse aux gens qui font le jazz captés dans des moments professionnels si on veut parler de ça.

Il y avait Ella Fitzgerald, il y a aussi Sarah Vaughan, on l’entend presque chanter « Strange fruit » (sous le lien, c’est « April in Paris ») on estime le cadre et la lumière, il y aussi Duke Ellington

on pense souvent à ces (presque) rixes entre solistes qu’il organisait, ces rides qui expriment peut-être une sorte d’inquiétude, le jazz et les noirs, captés par un blanc, néerlandais nommé Ed van der Elsken, le sourire d’Oscar Peterson qui nous explique ce que c’est que la musique, la vie, l’humanité et la chance

et puis un autre artiste, plus clair de peau non pas musicien mais peintre, léger sourire, un détail d’une photo de Karel Appel (en 1953, à Paris)

 

Une exposition du musée du Jeu de Paume

A quoi on pense (où veux-tu en venir ?)

 

On vient ici le mercredi, une sorte d’habitude  – mais le rédacteur est un homme d’habitude, c’est une façon – celle qu’il a trouvée – de mettre un terme à une espèce de peur, d’angoisse, de crainte, de sursaut : il ne se passera pas un mercredi sans que – c’est une affaire entendue : je passe.

Par ici. Le mercredi, bien que je sois occupé ailleurs – j’ai des choses à faire, c’est à ne pas croire, notamment celles que je m’oblige à réaliser.

Il y avait une fois cette affaire de ma mère, ce n’est pas qu’elle soit reléguée, mais j’en fais quelque chose sans doute d’autre.

Je ne sais pas (ne pas) écrire, il le faut,j’ai vaguement l’impression que cette accoutumance se tait quand (disons) deux ou trois cents mots plus tard,je me rends tout à coup compte qu’il est deux heures, que je dois lire « La mort de Torcello » ou que je dois aller retrouver cet-te ami-e là quelque part, pour discuter de quoi au juste, je n’en sais rien, mais on a des trucs à faire, des choses à se dire et des histoires à tenter de raconter. Et donc on sort.

Tout en italique. Dehors, il fait un temps de saison : on aime à savoir que les choses sont ce qu’elles sont

tout comme les affaires, de même que le monde qui tourne donc (en) rond qu’aux Etats règne un fou dangereux ainsi que dans le royaume de la très sainte Russie.Ici un autocrate qui n’est pas encore sanguinaire – on va voir ce qui se passera lorsque, dans la rue, se développeront certaines actions.Pour le moment, il fait beau, il fait doux. C’est la trêve, les vacances, on pense à autre chose(les comptes, les trajets, les emplois du temps, quand où comment avec qui dans quelles conditions – la température, la pression, le temps et les autres variables, nous verrons ensuite).Il y a dans ce dossier vingt quatre photos : sait-on jamais pourquoi, tout à coup, certains objets appellent le cliché ? Il y a le fait que, lorsqu’on rentre ici (Jean Moulin, disait André, l’homme au pigeon de Lasserre) on y dépose quelque chose, des mots, des images, des liens, des pensées, on entre ici comme dans un moulin (jamais fait le rapprochement avec le cliché, tu vois comme les choses vont) et puis on en sort aussitôt : on nous a vanté la qualité de l’isolation, celle de l’acoustique, on nous a appris que le chauffage par le sol, ailleurs, demain jamais, que sais-je, on nous a dit que la modularité des pièces, les revêtements en chanvre ou les fenêtres isolantes et les tuiles photosensibles tout cela avait (certes) un coût mais que l’amortissement se ferait dans le temps (vingt ans, au regard de vos quatre vingts espérés, qu’est-ce donc ? un quart, eh oui) on nous a permis de faire sur l’avenir ce calcul basique et qu’on laisserait au moins ça aux enfants à venir, un couple charmant, une voiture décapotable, des sourires signal (je pense, je crois, il me semble que c’était un journal nazi, mais j’ai oublié, laisse, j’ai oublié) (tout comme la tour que voulait flanquer cette étoile de l’architecture que le monde entier nous envie, tu te souviens ? non, j’ai oublié) (la chanson dit « j’ai tout oublié des campagnes/ d’Austerlitz et de Waterloo », je me souviens) alors j’avance en âge (et je gagne en misanthropie, oui) petit à petit se constitue la collection, elle est là dans un dossier (ce magnifique rangement, arborescent, iridescent, incandescent, opalescent)dans lequel se trouve encore un dossier lequel recèle encore d’autres dossiers, et voilà le travail. On en pose une ici, une autre là (le mieux, c’est de réagir différemment : à la fin de l’envoi, je touche ! disait Cyrano, eh bien, la machine compte, mollement, les mots que j’inscris ici, et à la fin, le compte sera divisé par autant) (nous verrons) c’est tout vu.

Vous êtes entré(e)(s) dans cette maison, les murs ont été laminés de gris taupe (on aime le gris taupe car il correspond à ce que voit l’animal, et nous voulons, nous aimerions tant que vous vous comportiez en quelque sorte non pas comme un mais à la place de, voyez), les sols couverts d’une couche à l’huile de lin d’une couleur indéfini mais non définitive, évidemment, car tout, absolument tout est négociable comme vous n’êtes pas sans le savoir. Les portes et les serrures, la cuisine et la salle de bain, la salle d’eau à l’étage contiguë à la chambre d’amis, le blanc va à ravir à ces espaces. Immaculés. Ainsi qu’en un rêve.Il fait doux, le printemps s’est achevé, l’astre au ciel parcourt inévitablement son ellipse et en direction de Véga de la Lyre a assuré sa voie son chemin son erre, dans trente trois ans, nous serons neuf milliards, avant deux mille cent la hausse de la température se sera limitée à deux degrés Celsius si Dieu veut (car il est grand et de ses prophètes il en est toute une théorie) la centrale de Flamanville sera opérationnelle dans dix ans, légèrement après la date prévue, son budget multiplié par trois ou quatre (comme celui de la philharmonie de Paris, mais là n’est pas l’enjeu) (non plus que la question), on en construit deux autres sur l’île, là, en face de Calais où une édile annonce sans rougir qu’il ne faut pas nourrir ces gens-là, celle de Finlande ma foi il fait froid, là-bas non ? des histoires à dormir éveillé, les attaques des virus, ils périront par où ils ont péché, c’est probable, et les vaches seront bien gardées. Il est tard.Le monde s’enfuit et s’éveille, demain le ciel s’éclaircira car c’est  l’été. On aime le savoir. 

Alors voilà, dis donc, à quoi tu penses ? Je me disais vingt quatre images, c’est exactement une seconde de cinéma. Ou autant d’heures d’un jour…

A quoi je pense ? A la prochaine séance. A mercredi prochain donc.

Un peu partout

 

 

 

Faire coïncider le titre et le lieu, c’est aussi ce que c’est, la maison(s)témoin – de ce côté-ci de l’écran (?) c’est une question qui se pose : qui vient, qui visite dans quel but ? personne, disent les statistiques (enfin, non, si on travaillait pour le nombre, on aurait cessé depuis longtemps : l’efficacité du truc, la performance, la lecture la consultation et les passages, il doit bien y avoir une autre raison pour faire vivre cette affaire-là – et sans doute n’est-ce qu’une habitude, une manie, une danseuse ? passons

).

On a laissé là le cinéma ( il fait trop chaud pour y aller ? non, mais on change, il n’y a pas que le cinéma dans la vie – par ailleurs, la chaleur est une des profondes ennemies du  rédacteur) pour s’en aller à beaubourg, sans majuscule ni autre envie que de voir s’il y avait (justement) du cinéma : il n’y en avait pas, de la photo (un type assez allumé – Steven Pippin qui, en érection – nu par le fait – marche devant des machines à laver qui font office de chambre – chacun fait ce qu’il peut) si, au premier sous-sol dans la galerie, on dansait aussi (cette façon de se donner en spectacle a quelque chose que j’agonis, pas la danse mais ce type de rassemblement, un entre-soi, des échanges de regards et des sourires entendus, très peu pour moi, je passe), et au rez-de-chaussée de cette étrange et grande maison, cette femme

au sol, ce sont des grains de riz (sans doute complet, vu la couleur), la femme danse tout en traçant au sol des passages -à moins que ce ne soient les passages qui la fassent danser, c’est indéterminé me dis-je –

à ses chevilles sont fixées des clochettes qui tintent sous ses pas

et donnent à son balayage (donc) un rythme un peu hypnotique

par ailleurs passent les visiteurs (l’un d’eux, un peu rêveur, manquera de croiser le projet, dont le fond noir marque le territoire) mais d’autres restent, regardent, sans qu’aucune presse, aucune excitation, rien ne vienne déranger le passage de cette femme, toute à son affaire et son aise (il ne s’agit pas, cependant, de faire du propre, non plus que de rendre le territoire aux passants).

On apprendra, sur l’affiche, que cette performance intitulée « Our labyrinth » (on aime bien, dans cette maison-là, parler la novlangue, on ne se trouve pas à Paris mais dans le monde, occidentale, développé, libérale et anglo saxon dominant) est due à un Thaïwanais du nom de Lee Mingwei mais, comme on voit, c’est une autre performeuse qui était en charge du balai. Et le monde regardait

Des gens passent, le balai trace, la femme danse. On regarde. Bienvenue.

 

Feuille de route

 

 

il n’y a plus personne ici, ou bien ? On s’essaye à faire des textes sur des personnages (ce sera le thème semble-t-il de l’été) (on avance en atelier comme en misanthropie, il en est ainsi et c’est tant mieux) tout est brûlé, oui

Alexander (Erland Josephson, un de mes alter ego – avec Gian Maria Volonte ou Stanley Baker) a foutu le feu , tu parles d’un sacrifice… (Andreï Tarkovski, 1986) 

« Nous nous sommes tant aimés » ce film magnifique (1974, Ettore Scola) C’eravamo tanto amati plus joli en italien, et puis on a cessé… Quelques semaines d’oubli, ou de pause de stase de fin, comme le clap… Le cinéma, tourner, tourner, tourner encore, le quartier est empli d’intermittents, on les voit à l’aube s’en aller à moto, appeler-touitter un krypto-taxi vitres fumées berlines à vomir valise à roulettes et bermuda à fleurs, on les entend le soir rire et chanter, quelque chose de l’amabilité – on fait ce qu’on peut toujours, je t’assure… – ou de l’horreur, c’est au choix.

Rien à faire, le temps passe.

 Paul Javal sur la terrasse, chapeau, ciel et mer.

Rien à faire, le livre magnifique qui met en scène le personnage principal, Rome, lu dans le métro, les rues tu te souviens via Veneto la banque, de l’autre côté de l’Aventin, l’autre comptoir, il y a du monde dans les souvenirs, il y a Fritz Lang (on sifflote, comme « M » en attendant qu’une petite fille passe…) il y a Sam Fuller « ahahah…!!! ça flatte mon ego…! »

il y a cette merveille-là

Pina (Anna Magnani)  « Rome Ville ouverte » (Roberto Rosselini, 1945)

l’Italie, on aimerait s’y installer, mais non, le temps passe, les ans s’effritent, le voyage en Belgique s’est bien passé merci, on avance en âge comme on se tourne vers des idées macabres

Patricia Franchini (qu’est-ce que c’est, dégueulasse ?) (Jean Seberg, « A bout de souffle », Jean-luc Godard, 1960)

fréquemment quand je prends le métro c’est un peu à elle (à d’autres aussi, les étrangers, les déplacés, les déchus) que je pense – ce sont des idées romantiques, ce sont des idées de Paris, la rue Campagne-Première ou le pont Neuf

  (je ne l’ai pas vu mais il est dans le petit carnet, à louer dvd : « Les amants du pont Neuf » (Léos Carrax, 1991) le type, Jean-Yves Escoffier qui fait l’image se trouvait un jour dans cette épicerie du faubourg Saint-Antoine (elle n’existe plus, il me semble qu’elle faisait le coin de la rue Saint-Bernard) et je l’ai pris pour un autre, il m’a serré la main, un sourire « Jean-Yves Escoffier » il a fait mais ce n’était pas lui, c’était quelqu’un d’autre , quelque chose comme un fantôme peut-être

le cinéma a cette grâce, on est assis dans l’ombre, le rouge des fauteuils n’existe plus (d’ailleurs ils sont bleu au Royal), sur l’écran une image qui vibre, cette musique-là (celle de Nino Rota pour Otto e mezzo, la ronde, cette autre merveille) et puis voilà, quand on sort il ne reste plus rien, que quelque chose dans la mémoire, il faut y retourner, on y va, viens on y va (les sièges, au 104 sont couverts de velours noir) on avance encore, c’est vrai tous les ans, on en prend un de plus (deux puissance six ce dimanche, tu avoueras…) (l’image ci-dessus, c’est l’un des neveux du réalisateur, « Homeland, Irak année zéro » (Abbas Fahdel, 2015) une autre merveille, ce garçon-là est mort à la guerre, tu sais…) ce n’est pas que la chance ne nous sourie pas, ce n’est pas non plus qu’elle accompagne chacun de nos pas ou de nos actes, non ce n’est pas ça. On n’a pas la prétention d’être superstitieux, non plus que celle de tenter quelque art divinatoire.

Je regarde cette maison (je suis désolé pour Sam Fuller, j’ai des choses à faire, je suis un peu pressé je changerai cette image (c’est fait), la poser aussi grande que les autres, allons) témoin de mon empathie pour le cinéma (je ne laisse pas tomber, non), je vais poser ça dans l’entrée (j’ai lu une feuille de route sur fenêtres et je l’ai trouvée à mon goût), et puis après le travail, tout à l’heure, j’irai voir soit le film de Schlöndorf soit le documentaire sur ce réalisateur afghan… Il fait tellement chaud, il fait tellement froid… Mieux vaut avancer

 

Post scriptum : cherchant cette image de Samuel Fuller, en train de diriger quelque chose comme « Les Maraudeurs attaquent » (Merill’s marauders ») (1962) ou « Quarante tueurs »(Forty guns » (1957), je découvre celle-ci

Sam en compagnie de Jim Jarmusch (ils étaient assez potes et c’est à peu près normal, vu que Jarmusch  est l’auteur d’un des plus beaux couples de cinéma qui puisse se voir (« Only lovers left alive » (2013)). Euh, moi non plus je ne vois pas bien le rapprochement, mais c’est certain qu’ils parlent du même point de vue, ces deux-là. 

Une chambre à soi

 

Comment faire pour n’y pas penser ? On est là, on va, on vaque, le cinéma les courses le travail le blog les amis les anniversaires, les meubles les cadeaux, le pain marcher dans les rues, le soleil, et puis voilà, un cinglé, un fou une ordure qui ose donner sa vie pour une cause et prendre celle de vingt-deux autres la leur ôter briser ce qui ne tient à rien, ici à Manchester sur le boulevard Voltaire à Paris ou rue Bichat, pour des idées – mais sont-ce vraiment des idées ? – pour qu’on entende comme si on était sourd, on est sourd oui, on continue quand même, donner tort raison faire comme si de rien n’était, des morts partout, sur la promenade des Anglais, ailleurs tellement ailleurs tous les jours, tous les jours, tous les jours. On ne va pas cesser, on ne va pas céder, on va plutôt continuer à tenter de décrire la beauté des choses et du monde, et de ces films qu’on aime. On prie, peut-être, on essaye d’invoquer quelque puissance, le hasard la chance, on devient superstitieux, on jette en pensée derrière ceux qui partent un peu d’eau d’un verre dans lequel on a fait glisser une pièce, on tente de s’essayer à demander sans y croire que les choses se distinguent, qu’il soit enfin fait une place à la paix… Mais souvent, souvent, souvent il fait un froid de tombeau

 

La maison(s)témoin c’est exactement ce vers quoi veut aller Manana (Ia Shughliashvili, formidable) : elle s’en va. Sa famille reste sa famille mais elle, elle s’en va. Personne ne sait pourquoi, mais c’est juste parce que c’est devenu insupportable. Elle loue un petit appartement deux pièces banlieue de Tbilissi (c’est en Géorgie, une république de l’union soviétique socialiste -1917-1989, 72 ans d’union : morte enterrée oubliée – située entre la mer Noire et la mer Caspienne, au nord de la Turquie, ce n’est plus l’Europe sans doute, mais est-ce déjà l’Asie, on se perd en conjectures ou peut-être pas, enfin, moi ici, oui), elle s’en va et laisse mari enfants parents vivre dans l’appartement qu’elle aussi occupait, mais c’est fini, trois générations et bientôt quatre sous le même toit : insupportable. Personne n’est sûr de savoir ce qu’elle fait, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle le fait

Elle continue son métier (elle enseigne, sans doute les lettres, elle s’occupe de ses élèves

qui d’ailleurs le lui rendent bien) elle s’en va, s’installe, et continue de vivre (marché, courses, correction des copies cahiers

Il y a probablement quelque chose de la religion en Géorgie et il s’agit de chanter : alors on chante (des merveilles, par quatre fois dans le film, des merveilles, des pures merveilles).

Servie par un scénario en acier du plus bel alliage (une merveille aussi), une mise en scène qui ne trouble pas (ici, on pose l’image

des deux réalisateurs, Nana  – Ekvtmishvili – et Simon -Gross, c’est un s tzette en allemand, il doit être quelque chose comme pas loin de l’allemand, j’imagine – on accepte ce genre d’image pour mettre au point quelque chose – le chapeau, la montre, l’épaule nue les regards… la lumière : tout cela censé décrire probablement la réalité des actes et des métiers…) (on ne demande rien à la mise en scène, sinon de ne pas (trop) se montrer), une histoire de famille comme on aime (ici une espèce de conseil…

qui tente de faire revenir Manana sur sa décision…) des moeurs sans doute légèrement différentes mais la réalité de la vérité, la place des femmes au monde, la force du désir et celle du destin (un film formidable).

Je voudrais seulement revenir sur un trait transversal du cinéma : on peut, par exemple, s’interroger sur la place des portes, des raccords, sur les scènes de lit ou de disputes, sur celles qui montrent des acteurs en train de procéder à leur toilette, à leurs besoins, les ablutions ou les lavages de dents ou d’autres parties du corps, toutes catégories qui permettent d’envisager les choses d’une distance féconde à l’interprétation ou à la compréhension de ce que désiraient montrer (ou faire passer) les réalisateurs, producteurs et autres collaborateurs de création (j’adore ça, moi, les collaborateurs de création : c’est pas complètement nouveau, mais ça sent bon son technicien de surface son agent de production ou sa force de vente – la nausée technocratique, voilà tout). Ce sont des topiques, sans doute, ou des tropismes (j’adore ça aussi, la topologie, c’est un de mes sports favoris) et l’une de celles que j’adopte en regardant les films, c’est celle du repas. Alors je conseille de s’attarder sur cet aspect particulier de la mise en images (ou scène, si on préfère) : elle apporte, ici comme ailleurs, de très nombreuses voies de compréhension. Lorsqu’on attend la petite amie du fils cadet, on regarde les biscuits sur la table

(elle arrive, gaie pimpante enceinte…), ou lorsqu’on se retrouve vingt ou trente ans plus tard lors d’une réunion d’amis de fac

ou lors du repas normal, quotidien, semblable à tous les autres (la place de Manana est vide, au premier plan)

mais tout le monde (tout son monde) est là.

 

Une famille heureuse (My happy famyli) de Nana et Simon, 2016.

 

 

 

 

Alimentaire

 

 

Il s’agit juste d’une sorte d’épicerie – si j’ai bien compris, je ne suis pas complètement certain, je n’ai pas posé de questions (je n’en pose jamais dans ce genre de réunion, en même temps) – réservée aux coopérateurs : ils ont le droit d’acheter des légumes, des produits type fromages etc. et entretien aussi semble-t-il dans la mesure où ils donnent quelques heures de leur temps tous les mois (un peu moins de trois heures je crois bien) (et aussi une centaine de dollars d’inscription, il m’a semblé).

le magasin, capturé par le robot, juin 2009 (devant l’entrée le bénévole -gilet jaune fluo –  qui aide à porter les sacs) 

Ca se passe à New-York, quartier Brooklyn, sous quartier Park Slope entre la 4° avenue et Union street. Apparemment, d’après le film (vu au cent quatre à Pantin- je crois que la maison(s)témoin devient une succursale de ce cinéma-là- entrée libre, salle assez emplie, notamment du fait du début de la « semaine du développement durable » qui commençait hier), le quartier est en phase d’embourgeoisement avancé (on entend ici des gens qui nous donnent des explications sur ce changement dans ce quartier – moi j’y ai vu Belleville et Oberkampf, mais chacun voit midi à sa porte à ce qu’on dit). On fait attention à ce qu’on mange, et aussi à combien on paye pour ces produits de bonne qualité. On a, preuve à l’appui, comparaison faite avec les mêmes produits vendus sous d’autres enseignes, l’évaluation des gains en argent réalisés.

l’épicerie en mai 2011 (apparemment fermée, on attend l’ouverture; sur le banc, assis, deux bénévoles qui attendent aussi de pouvoir raccompagner les clients au besoin : il s’agit d’une des possibilités pour parvenir à devenir client du lieu)

Le film (documentaire d’assez bon aloi) intitulé « Park Slope Food Coop«  est réalisé en 2016 par une personne qui a réalisé le même type de produit, d’épicerie, de lieu dans le dix huitième de Paris, association nommée « La Louve » (supermarché autogéré, ici) (ouverture automne 2016 dit wikipédia bizarrement mais il me semblait connaître le lieu avant). Il s’agit (sans doute) de quelque chose comme du prosélytisme : une réalité sociale de notre monde moderne.

l’épicerie en octobre 2013 (à droite cadre sans doute la remise sous la marquise verte) (l’adresse est 782 Union street donc)

Comme d’habitude, ce type de dispositif n’a pas non plus tellement besoin d’écho : il semble que la situation de ce commerce se tienne assez bien (celui de Brooklyn est installé là depuis 1973 : on entend les précurseurs raconter leur histoire, sympathique et donc, édifiante – la photo d’entrée de billet, c’est eux). De nos jours, il s’agit de notre santé donc. Dans ces temps où les végétaux semblent prendre une certaine importance dans l’alimentation des jeunes gens (je n’en suis plus mais des vieux aussi) (j’en suis, ça va aller) : on fait attention donc, à son (petit) intérieur.

en septembre 2014

(la bénévole qui raccompagne les clients pour les aider a repéré le robot) les enfants sont là, le monde US donc, il fait assez beau (dans le film il pleut, c’est Noël, il neige même). L’important est sans doute plus dans le fait que les flux de produits sont réalisés avec des producteurs locaux et que ces produits peuvent profiter à des personnes dont les ressources sont moindres – produits non nécessairement bio (organic in english) mais achetés avec l’aval des divers coopérateurs – du fait des coûts réduits de la main d’oeuvre, et de la mise en place d’une marge de 20 pour cent unique sur tous les produits.

en novembre 2016

Franchement, les documentaires et moi, nous ne sommes pas très amis (que ce mot a perdu de son sens…) : cette chronique pour signaler ce film, mais surtout pour indiquer ce quelque chose de la mode (peut-être est-ce  cette mode du documentaire qui me fait un peu ne pas goûter le genre ? je me souviens de « Nanook l’esquimau » (Robert Flaherty, 1922) ou des « Trois soeurs du Yunan » (Wang Bing, 2012), ou même de ce « Camion » (Marguerite Duras, 1978) qui peuvent expliquer aussi mon peu de goût pour ce mode narratif)  indiquer ce quelque chose donc qui se passe aujourd’hui dans la haine qui monte (ça commence quand même à faire vingt ans…) pour la grande distribution, la consommation à outrance suremballée et tout le kit qui nous vient de ce merchandising d’outre-atlantique.

On résiste, alors ? (ici, nous autres avons pour nous, cependant, encore, l’appétence pour la gastronomie…)

Food coop, un film de Tom Boothe, 2016.

Photos: courtesy of GSV.

Tunnel

 

Le film est réalisé par Kim Seong-hoon, réalisateur sud-coréen de quarante cinq ans(je dépose ici cette image – lunettes chapeau certes, derrière lui un dessin de New-York quelques poissons en forme de décoration… – mais je pense que, croisant cet homme dans la rue demain, je ne le reconnaîtrais pas : fixons les idées cependant). Il a intitulé son film « Tunnel » (sortie en 2016).

Doucement, l’objet de ces billets s’est fondu dans une chronique des films plus ou moins appréciés : il était question de les écrire et déposer en des endroits sûrs d’un lieu hypothétique, où des êtres différents mais semblables avaient pour ambition de résider, et même d’habiter pour tout dire, encore que ces créatures plutôt imaginaires (disons) n’avaient rien de spécialement humains (elles étaient réalisées pour représenter cette catégories d’êtres vivants sur cette planète, mais rien de plus – Fabrizio Corbera de Salina est une exception : il est « quelque chose » de plus). Du cinéma : projeté sur un écran une image animée par un flux de vingt quatre par secondes aussitôt vu aussitôt échappé – ça se passe dans le noir, le plus souvent, une salle parfois plusieurs centaines de fauteuils très toujours rouges, on en sort ébêté/abruti parfois heureux on parle de ce qu’on vient de voir qui n’a plus aucune existence sinon dans la mémoire (il arrive qu’on n’ait pas vu ou regardé ou compris ou interprété les mêmes choses, on peut en venir aux fâcheries ou aux jugements comminatoires, se séparer haïssant le reste du monde pour son ignorance ou son amour béotien pour des imbécilités…). On propose, depuis de très nombreuses années, sur les bords de la Riviera française, des réceptions, des réunions, des pince-fesse, des jurés des jugements, des prix qui vont jusqu’au Phallus d’or (car ce qu’on appelle le septième art n’est pas avare de ce genre de rigolade bien franchouillarde – au vrai, ce type d’amusement grossier est assez mondial), décernant palmes et autres distinctions (oscars césars lions – eh oui –  ours j’en passe de moins connus) dans des ambiances de plus en plus conquises par le mercantilisme qui est à la base de ces manifestations (la soixante dixième édition de ce qui est nommé « festival » (ce sont des fêtes que ces panégyriques de l’entre-soi) ouvre ses portes comme on dit demain ou quelque chose – nul doute qu’on y notera la présence du nouvel élu…). Tout ça pour dire que ce qui se joue ici pour le rédacteur a changé ( une sorte d’écoeurement vis à vis de ce qu’il faut bien nommer un spectacle a fait son  apparition – au vrai, il y a longtemps que je l’aime, et que je le déteste tout autant…). La manifeste solitude dont ces billets sont des preuves n’entame pas, pourtant, l’entêtement à les produire.   

L’action se déroule dans la proximité d’un tunnel qui vient de s’effondrer,un type se trouve dans sa voiture et le tunnel (zeugme) (une autre automobiliste y est aussi (accompagnée d’un chien), il la retrouve, mais elle meurt…) il se retrouve seul avec le chien. Les recherches sont entreprises à l’extérieur (ici l’une des affiches du film, en coréen)ce sont ces secours qui sont les principaux personnages du film (les humains sont des personnages importants, mais ce sont et la société et ce qu’elle va mettre en oeuvre pour sauver ces vies qui sont examinés). Le type (interprété par Ha Jong-woo) est marié (il a une petite fille aussi : il lui parlera au téléphone), sa femme vient sur les lieux de l’accident, des jours entiers passent, des nuits tout autant, des recherches sont entreprises, on travaille avec pas mal d’acharnement mais aussi pas mal d’à-peu-près, on cherche, le type survit (à l’image, il mange le gâteau d’anniversaire de sa fille, il allait le fêter quand, empruntant le tunnel, il s’y est retrouvé coincé)et même si (pour beaucoup) le film souffre d’invraisemblances (ainsi que, sans doute d’une trop longue durée) on y tient à la vie : le sauveteur en chefaussi (Oh Dal-soo), qui pense qu’une vie humaine vaut plus que le percement d’un tunnel : on doit, en effet poursuivre les travaux, malgré l’accident, et percer d’un autre, tunnel parallèle sans doute, la vie d’un homme vaut-elle qu’on arrête ces travaux d’ampleur peut-être nationale ? La plupart des personnes présentes lors d’une sorte de conseil général peut-être extraordinaire, ou d’une conférence de presse, ne le pense pas. On arrêtera les recherches au bout d’une vingtaine de jours, on persuadera la femme du type (Doona Bae, qu’on avait déjà vu dans « A girl at my door » (July Jung, 2014)) la femme du type, donc enseveli, sera persuadée qu’il est mort, elle signera l’acte par lequel elle accepte qu’on arrête les recherches (ici, la neige tombe et les recherches cessent : la femme du présumé enseveli et donc décédé regarde les explosions qui ont repris et qui signent comme une mort certaine de son mari (si ce n’était déjà fait)). Tout au long du film, les médias (et leurs représentants, les journalistes avides, lâches, bêtes), le gouvernement (en la personne d’une ministre des transports -avide, lâche, bête…), les hommes d’affaires les bâtisseurs les proches du pouvoir, tous permettent la mort de cet homme enseveli. Les sauveteurs dont une bonne part d’incapables (comme pas mal de journalistes tout autant) ne font qu’obéir servilement aux ordres qui leur viennent de la hiérarchie. On obéit, c’est terrible (l’autre automobliste, coincée sous un énorme bloc de rocher, peu avant de s’éteindre, parle à sa mère et lui demande de l’excuser auprès de son employeur : elle ne viendra pas travailler…) (non,en effet…), terriblement contraint, poli, conditionné, soumis et dominé discipliné, veule tant parfois qu’on se regarde en se demandant si vraiment, nous aussi, dans de telles circonstances… Non, sans doute pas, non. Non…

Ni film catastrophe (genre bon enfant prolifique profitable et très rentable) ni comédie de moeurs, parfois cocasse (mais ce n’est pas tellement le lieu ni le contexte : choc culturel sans doute) parfois tellement différent de nos préoccupations culturelles (de petits mausolées montés sur les défécations du chien, des développements sur la nécessité de boire son urine…), deux heures de huis presque clos qui se terminent en coups de théâtre (ici de cinéma) assez bienvenus.