Vendredi 2 : marcher (carte postale)

 

 

souvent en passant sur le pont, celui sous lequel hurle les loups, c’est juste et simplement beau – au Change – on passe, les touristes avancent à l’envers photos selfies la conciergerie, là, au bord du fleuve qui charrie pas mal ces temps-ci, ils sont venus – il y a quelques difficultés mais on oubliera vite – un événement en dégage un autre – il n’y a pas une semaine le passage en force des abrutis du cinéma – des hommes, le pouvoir et la haine – ça commence à ne plus être possible et elles ne leur marcheront même pas sur la gueule comme ils ont marché sur elles, cependant – le mot de Virginie Despentes avait de la classe comme on dit quand on parle de la lutte – formidablement juste – il y a des morts dans la rues, il pleut, ça s’étend, on s’est mis en grève dans les universités et on voit ce qui se passe dans les hôpitaux – on voit ce qui passe dans les âmes des gens quand les maternités ferment, les unes après les autres, de plus en plus loin, on n’attend pas d’enfant, on n’en veut pas : un monde comme celui-là, le leur donner ? Non merci…
Souvent, en passant sur le pont, je prends une image – je ne m’arrête pas je ne veux pas faire le touriste probablement – j’ai du mal à lire en moi souvent, je marche, oui, mais pour m’arrêter, il faut un but – je marche, je photographie

ce serait beaucoup plus beau si on disposait du point – mais non, je passe, j’impressionne, je ne veux pas qu’on me voie, je ne veux pas qu’on m’interroge – j’ai peur certainement des autres comme au cinéma je ne prends plus d’image – je ne suis pas à égalité avec les gens, je suis perdu déjà – je vois le fleuve et je me demande la frontière vers Lesbos, l’ignoble cynisme de ces dirigeants – ils se rencontrent aujourd’hui, chez l’un va l’un chez l’autre viendra l’autre – jets privés, valets de pieds et ordonnances – je me souviens du visage de ce type, voilà trois ans, qui portait la valise du numéro un mondial et souriait au bras de celui qui recevait son excellence Donald T. – le déclenchement du feu de dieu

tu te souviens – je me souviens : peu de choses, le fleuve qui s’en va à l’aval, les mouettes qui rient, ma ville, ses ponts, la fin du jour, je me souviens – tout à l’heure sur le boulevard, une femme avançait avec un peu de difficultés – quelque chose comme quatre vingt cinq printemps fermement mais boitillant un peu – manteau bleu foncé sur jupe grise cheveux serrés mocassins plats fatigués bas opaques au bras tenant à main gauche cabas de cuir au creux du coude et un exemplaire du figaro, à main droite le parapluie, elle traversait la rue des Saints-Pères, au fond il y avait le fournisseur en chocolats de la cour – dans ces quartiers, ils ont oublié le changement de régime, TNPPI y vivait : comme ma poche il m’est familier – elle marchait sur le trottoir, j’ai adapté mon pas – je me disais elle va entrer dans un immeuble, lequel à ton idée ? parce que c’est sûr, elle était arrivée, alors lequel, puis j’ai repris mon pas : non, pas celui-là… – j’ai vaguement précisé son profil – à ses tempes passait sa teinture – au 198 elle entrait posait sur le concierge électronique un badge hésitant : elle avait disparu – sur le boulevard il ne pleuvait plus – c’était un matin – sur le pont, je suis passé, sur la rive droite, il y avait l’ange

j’avançai vers mon destin comme à l’accoutumée – je marchai en ville  – à l’esprit cette chanson qui dit « et loin de nos villes / comme octobre l’est d’avril » il était six et demi trois de mars – une autre image 

il n’y a pas le point, il n’y a que la vue 

pour @joachimsene

donc, je passais dans la maison[s]témoin en toute quiétude, avec l’intention de relever le courrier, et voilà sur quoi je tombe…

évidemment, je pourrais mettre sur l’enveloppe « n’habite pas à l’adresse indiquée », mais j’ai peur que ce courrier se retrouve perdu et comme il m’a l’air officiel, le poster ici sera plus rapide

à la lecture (pardon d’avoir déchiré le timbre) je pense que c’est en lien avec les prouesses textuelles du-dit destinataire, converties il y a peu en pdf sous le sigle #MéchantsSortsÀMacron, desquels, bien évidemment, je me désolidarise

 

Monsieur Joachim Séné,

Je vous prierai de bien vouloir cesser vos diableries et autres sortilèges, car, ce faisant, vous érodez le ciment de la nation. Je vous rappelle — vous êtes surveillé pour votre sécurité — à la raison et vous préviens que vos scansions diaboliques peuvent dégrader à long terme ce qu’il faut bien définir comme— faute de mieux— l’état mental qui vous sert de pensée. En effet, les dernières études sur le sujet portées à notre connaissance démontrent qu’un taux d’agressivité trop élevé peut nuire à l’organisme. Nous ne pouvons que le constater : vos productions écrites regorgent de malveillances : l’amertume, la frustration et la colère irriguent vos terminaisons nerveuses. Les malédictions que vous égrenez comme des perles en toute impunité sont, par leur nature même monsieur Joachim Séné, inacceptables dans un état de droit. Nous sommes en France ! Terreau de la démocratie ! Mère du civisme ! Creuset de liberté ! C’est pourquoi je vous prie de cesser immédiatement toutes vos activités imprécatoires.

Qui plus est, il est entendu, tout le monde s’accordera sur ce point, que l’objet de votre hargne — à ce titre il ne me semble pas excessif de parler de fixation pathologique — a été élu. Un argument que même votre folie maniaque ne saurait contredire.

En espérant que cette nécessaire injonction vous ramènera à la raison, veuillez, monsieur Joachim Séné considérer l’expression de ma plus vive bienveillance. Un agent se tient à votre disposition près de l’interphone. La fonction gps de votre portable a été activée pour votre bien. Toute dissimulation de poupée vaudoue, mèche de cheveux non identifiés, yeux de grenouilles, mues de serpent et autres ingrédients sataniques porterait préjudice à votre dossier et/ou à votre intégrité physique.

En vous remerciant.

(suit une signature quasi illisible, frappée d’un sceau étonnant, une sorte d’œil qui clignote, c’est fou ce qu’on arrive à faire avec du papier)

Profils

 

 

un

deux (image rognée (c)Pierre Ménard)

trois (ils sont quatre – à vomir)

quatre

cinq (et cinq bis)

des profils inconnus ou trop connus – « je ne sais ce qui me possède » disait le poète – mais justement, voilà un moment que j’ai des difficultés – la maison en sera le témoin – parce que les choses ne vont pas, mais pas du tout (je fais référence à Zineb, à Steve, à tant de gens qui meurent sous les coups de la police) et d’autres encore qui me blessent et me choquent – encore avant hier, un Cédric C. qui meurt pour une insulte à un agent de la force publique (mourir pour un mot…) – je ne sais ce qui les possède… – qu’aurait-il à craindre d’ailleurs, cet agent ? Deux mois avec sursis ?

six

sept (au 20 rue Julien Lacroix)

les gens passent, de l’autre côté de la rue – profils – égyptiens, je me souviens aussi – je mélange tout, mais tout est aussi au monde – je me souviens de ce texte que faisait paraître il y a quelques semaines Joann Sfar

un peu long, un peu difficile à lire : cette dame, Sarah Halimi, vivait à deux pas de chez moi – le samedi qui a suivi son assassinat, les gens sont allés par les rues, une rose blanche à la main – j’ai ce même sentiment, quelque chose comme de la honte à faire paraître ce genre de texte que je signerais aussi – les profils

huit

j’en tiens sans doute des centaines

neuf

dix

je pensais : il faudrait écrire une histoire, regarde j’ai soixante six ans je n’aime guère cette vie-là j’essaye de la rendre plus agréable vivable aimable tendre je bute sur ce genre de fait divers souvent je me dis finir sa vie en prison ne le donnerais-je pas pour supprimer ce type qui est fou – qu’on arme mon bras, qu’on me dise où et quand comment je trouverai – il suffit de chercher – supprimer de la surface de cette planète un tel outrage à la vie, à l’amour – ce n’est pas lui qui la traitait de « sale juive » mais ses filles, elles vivent toujours là à quatre pas d’ici –

onze

ce genre de pensées suis-je seul à les avoir ? elles viennent, on bâtirait une histoire, on écrirait les moments clé

douze

on tâcherait de rendre les choses vivantes – les lieux plus ou moins communs – le conformisme la convention – on ferait lire on publierait – rendre le monde plus beau, plus juste – ainsi qu’un autre type (je me souviens de cette autre histoire, semblable, le type est en fuite au Japon dit-on

treize

on laisse faire et on passe à autre chose – instigateur des attentats du treize novembre 2015 – on sait qui il est on en connaît l’allure –

quatorze

des gens du mossad des barbouzes de la cia ou du deuxième bureau – « oh je me présente, mon nom est Drake, John Drake » car tous les gouvernements ont leur service secret – ce ne serait pas ce n’est pas bien difficile – regardez ce type qui s’appelait Sergueï Skripal et sa fille Yulia : on sait pertinemment qui sont ses assassins (ils ont un peu manqué leur coup, bah personne n’est parfait) – les voici de face

quelque chose de particulier ? Non, rien – un peu du même genre que les deux- dit-on – qui aidèrent Carlos Guyancourt à s’échapper (une caisse de musicien, un masque anti-contagion, deux avions prêtés par des amis/connaissances/obligés sans doute – l’affaire est faite) – je mélange tout, oui, voilà – le profil, c’est aussi parfois ce qui permet aux antisémites de réaliser un rêve, celui de reconnaître le juif, Süss crochu du nez, ce genre de salade – ce monde-là

quinze

souvent, sur ces images, ce sont des gens que je ne savais pas y trouver – oh bien sûr ce serait user des armes qu’on déplore les voir utiliser – on se dégraderait, oui, pour un monde qui n’en vaut pas la peine – ça ne fait rien, un moment j’ai pensé qu’il y avait là un devoir, pour moi, me souvenir de ces wagons plombés et du numéro gravé sur l’avant-bras de mon grand-père – on commet tous des erreurs – pour finir, cette image (c’est moi) que j’aime tant (un portrait fait par le robot) au cinéma de plein air, au parc, en été (ou quelqu’un qui posa son image sur le site – je ne sais pas – de trois-quart) j’attends de voir

 

 

du travail

j’ai bien essayé, je suis vraiment d’une bienveillance, de voir d’un peu plus près cette expression : « ressources humaines », et j’avais un a priori si positif que la fée clochette devait dans mon cerveau déverser ses paillettes, « ressources » c’est-à-dire « ce qui peut améliorer une position fâcheuse, avoir de la ressource, de l’ancien verbe resourdre (ressusciter, relever, remettre sur pied) », j’y voyais personnellement, et on peut dire avec l’innocence qui me caractérise, un clin d’oeil au mot « source », ça sort de terre Ô magnifique Ôde à la vie essence même de notre présence dans ce cosmos en expansion gonflé de matière noire (une matière non identifiée, et qu’est-ce qu’on sait du monde ? c’est la question), source donc source, eau vive, petits poissons, qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de négatif dans source ? et puis humaines, l’humanité c’est beau, c’est un cadeau, à ce moment précis j’ai vu passer une vidéo où un jeune quidam blouson-noir (sorte de hooligan) sortait de l’eau un chiot, ou bien un chien très mal en point, au bord de se noyer, incapable de remonter les berges abruptes d’un canal bétonné, le jeune homme tendait le bras, se plaçait en déséquilibre pour le ramener au sec, oui donc, « humaines », humanité, j’ai pensé que c’était ça la marque d’une grande humanité, que ça faisait un grand ensemble, une grosse patate (j’ai appris le concept de patate au collège avec la grosse patate des nombres décimaux), il y avait donc la grosse patate de l’humanité où on pouvait caser des mots comme aide, gentillesse, attention, sympathie, générosité, altruisme, et d’autres grosses patates sur le côté bien moins aimables, et il fallait placer un trait séparateur assez étanche entre les saloperies et le reste, je ne sais pas vous mais pour ma part je trouve cette façon de voir plutôt claire, rassurante, donc « ressources humaines », ça ne peut pas faire de mal cette affaire-là, ça ne peut pas être nocif allons bon, resourdre-remettre sur pied, les petits poissons et les sauvetages, qui peut trouver ça moche à part Caligula, ensuite j’ai vu dehors une trace sur le mur un peu alambiquée, étrange, sans doute le passage d’une limace ce que j’en sais, et ça formait comme une silhouette de tête pourvue de jambes et de bras inventifs, c’est une « ressource humaine » je me suis dit (tout ça pour indiquer d’où je parle, c’est-à-dire d’un endroit saturé de patates dérisoires, de minusculitudes, allons allons, marchons toujours), et j’ai ensuite pensé que ce « ressources humaines », et surtout au pluriel, faisait référence au travail (de mon côté, j’avais dû, au travail, faire preuve de ressources ainsi que preuve d’humanité, mais c’était autre chose), car là il s’agissait de « recrutement, gestion des carrières, formation, gestion de la paie et des rémunérations, évaluation des performances », c’est-à-dire décider qui travaillait, à quel poste et pourquoi, qui serrerait les boulons dans le sens de la marche pour que la machine tourne, Charlie-Chaplin-clé-à-molettes, et j’ai pu voir la grosse patate remplie de qui ne convient pas, contrats rompus-suicides, enfin ça ne sentait pas très bon d’un coup les « ressources humaines », celui ou celle « en charge de » avait autorité sur qui et tous et toutes placé-e-s plus bas, sur qui se trouve où et pourquoi, c’est-à-dire qui travaille à quoi, c’est-à-dire qui travaille pour qui, c’est-à-dire quelle vie s’utilise pour quelle autre, « en charge de », mettre de l’ordre, il y avait aussi ce côté trieur de pommes talées, ce côté garde-chiourme en charge de virer qui a la tête ailleurs ou qui est trop fragile, qui n’est pas performant, là j’ai revu un dessin, celui d’un vieil homme surmonté d’une bulle, il dit « nous, l’argent c’est pas le problème, nous c’est pouvoir manger qui nous inquiète », ensuite j’ai vu (vraiment ce qui passe devant mes yeux, on le constate, s’enchaîne sans logique apparente) qu’un gestionnaire aux ressources humaines avait mis à la porte une employée pour une erreur de quatre-vingts centimes, ça n’avait rien à voir avec les chiots qu’on sauve de la noyade, vraiment, cette langue, j’en suis témoin, est désobéissante, elle s’extrait des patates dès qu’on regarde ailleurs, les traits séparateurs ne savent plus où se mettre, et puis l’aplomb, le fil à plomb, l’enclume, le plombé infini enfile le costume du bien, du bon, de l’amélioration, alors je vois des choses, des détails à la suite, avec ou sans logique, je ne sais pas quelle fourchette saurait titiller sous les mots doux les malfaisances, ou bien une fourche ? c’est du travail en tout cas, du travail

C’est sûrement le paradis

 

 

 

évidemment, on n’a pas tellement le cœur à rire – ni à la comédie – on s’ennuie (on reste poli) dans les autos embouteillées, on patiente attendant l’autobus, les métros ne sont pas là, les gouvernants roulent dans leurs autos privées que la République met à leur disposition : c’est beau – il fait froid et entre l’ordure du vendredi noir et celles des fêtes de Noël, comment faire quand les finances ne sont pas si brillantes, et surtout ne pas gâcher, se gâcher la vie et l’émotion ? Comment faire pour continuer à penser à ceux et celles qu’on aime, à qui bien sûr il est toujours bon d’affirmer cet amour et de le réitérer encore et encore ? Des gens meurent dans la rue – plus de huit cents l’année dernière et l’autre cintré qui disait n’en plus vouloir :  menteur, qu’a-t-il seulement esquissé pour qu’il en soit ainsi ? Une loi travail – ni loi ni travail ? des yeux crevés et des mains arrachées ? Une femme morte chez elle, une autre grièvement blessée, les agents de ces crimes restés impunis ? C’est ce qui nous reste… Une comédie ? Un drame… On reste grave cependant et on soutient. 

Le titre de ce film , « Ce doit être le paradis », annonce vraiment ce qui est recherché – c’est l’histoire d’un type (probablement réalisateur de cinéma – puisque c’est lui qui joue son rôle, plutôt muet)

(là il tente de se débarrasser d’un oiseau qui veut l’empêcher de taper à la machine) (je dis taper à la machine parce que je préfère) (j’aimerai savoir qui se trouve en photo sur la droite de l’image) (ses parents ? lui-même?)

là, il est dans un taxi – le type qui conduit n’en croit pas ses oreilles

trop d’honneurs – notre héros, Palestinien, est à New-York et cherche un financement pour son film – on ne le sait pas trop (je ne le déclare qu’aux antisémites) mais mes parents étant juifs tous les deux, ils me l’ont cédée, cette appellation (je ne sais pas exactement ce que ça peut bien vouloir dire) et je me disais voyant celui-ci

lequel se sert dans le jardin de notre héros : voici des gens en guerre depuis soixante dix ans – voici des gens en guerre depuis des millénaires – et pourquoi ? un citron ? une orange ? – certes, il n’est pas avéré que dans les années trente ou quarante du siècle précédent, il y ait eu une hospitalité caractérisée pour cette peuplade disons au moyen-orient – ou du moins la plupart n’y émigrât point – mais on sait que tout ça peut se reproduire, l’homme (l’animal) est habitué à ce type de disposition – et de dispositif… – une comédie, oui, le réalisateur jouant son propre rôle, muet, va à Paris

– on aime Paris au mois de mai, les jolies filles tout ça tout ça – parfois, le champ pourtant y est vide (ici les jardins du Palais Royal)

là à la pyramide du Louvre

on y trouve parfois un type qui court, et planque sous une auto

un gros bouquet de fleurs – les flics le suivent

en un joli ballet, une femme marche dans le métro

les flics la suivent en un joli ballet – un type est installé sur une terrasse

les flics prennent 

des mesures (en un joli ballet), un type s’enfuie, les flics le coursent en un joli ballet – ça c’est Paris –

en France donc – et pourtant des chars

et des mirages

mais aussi des touristes qui cherchent

quelqu’un

mais non – ça c’est Paris – la France, et puis New-York (où tout le monde se trimballe armé jusqu’aux dents), on traque un ange

– on ne l’attrapera pas

– notre héros reviendra dans son pays, y retrouvera son voisin (le citronnier ou l’oranger aura poussé) – on verra un homme danser, magique et magnifique

et tout finira (comme il se doit) avec des chansons – mais des chansons joyeuses, jeunes et gaies – comme une note d’espoir et de joie.

 

« It must be heaven »

assez merveilleux (2019, mention spéciale du jury au festival de Cannes) (ici devant une librairie-papeterie transformée en salon de coiffure)

d’un voyage à l’autre #6

 

 

 

je suis en retard – je suis toujours en retard – mais je me tiens au rythme quand même (le billet hebdomadaire) – je suis en retard, c’est parce que je travaille (mais n’en est-ce pas ?) (si) (il y a dans cette maison un lieu où on entasse les cartes postales – bons baisers d’ici ou là – je pense à toi, il fait beau et on mange des glaces – on bronze – ici il neige… – je me souviens, en Italie les timbres-poste pour les cartes ne s’achètent pas au tabac (d’ailleurs, il n’y a pas de tabac) – des images de faux voyages (ou de fausses images de voyage) – des cieux surtout

c’est en Finlande, le soleil de quatorze heures – l’ombre de l’opérateur et de la voyageuse (son pied) – le froid –

quelque part aux États-Unis, il me semble me souvenir (tu sais quoi ? ces voyages, là, ça me prend vers sept heures et demie du matin en semaine – j’écoute un  peu les nouvelles, je regarde un peu le journal, je voyage)

ce peut être l’Ukraine, quelque part à la fin de l’hiver (l’annexion de la Crimée par le tsar du kgb, je préfèrerais qu’on parle d’autre chose – mais non)

des hommes , il fait froid, une pause dans le voyage  – je ne vois pas d’armes, il n’y en a jamais dans les images prises de cette voiture – les lieux sont calmes

ici on est en France, il s’agit du triangle de Gonesse où aurait dû s’installer un centre commercial, mais finalement non, un arbre – un autre

plus quelques autres – c’est la fin de l’hiver, c’est aussi l’Ukraine, à la fin du jour – parfois, le Chili, la Bolivie, l’Irak, l’Egypte, non vraiment c’est difficile de rester au calme, tranquillement – le journal le matin, les vendredis du climat, les samedis des gilets jaunes – le travail, ah oui, le travail

une image prise d’un drone, c’est en Hongrie, la plaine les ciels le bleu – je tiens aussi quelques animaux, ici un chien devant des jantes

(c’est à Iakoutsk, en Sibérie – moins 40 l’hiver, 25 à 30 l’été – au bord de la Léna) là des pigeons devant un vendeur des rues

c’est à Mexico – quelque chose du rêve ? oui sans doute – je continue, mais ce sont des choses trouvées hier du côté de Romny (c’est encore en Ukraine – c’est que ça ne veut pas lâcher – en Chine, des Ouïgours sont internés, massacrés sans doute mais on n’a pas de photo, non) ici un petit bateau

et là, le repas qui chauffe cuit embaume peut-être

comme une phrase qui nous serait dite, je vais remettre des fleurs rouges au début, pour un peu de douceur (elles viennent des États Unis – je vais retourner au travail) (j’ai du retard) (j’ai toujours du retard…) (j’avance quand même)

ah oui, encore deux images : celle-ci qui vient de Porto (je crois que je l’ai volée à Lou Dark)

avec son pont au double tablier au dessus du Douro et cette dernière, la plage d’Hammam Ghézèze (c’est en Tunisie, non loin du cap Bon) – les vieux vont se baigner avant six heures le matin (parfois une femme, habillée passe et elle aussi se baigne) : y entend-on presque le doux ressac et une mouette qui rit…?

 

 

Désolé, on vous a manqué

 

 

 

on vous a manqué parce que vous n’étiez pas là et le livreur laisse un petit mot à celui à qui il livre des colis – c’est le monde d’aujourd’hui : on achète sur internet des objets, n’importe quoi, ce que vous voulez – des poupées gonflables, des pilules de viagra ou d’ecstasy, des passeports – vrais, faux, n’importe – n’importe quoi, des smartphones ? si vous voulez et on vous le livre – on vous donnera même une heure contractuelle au delà de laquelle nous serons, nous autres vos livreurs vos obligés vos serfs, à l’amende – et alors, elle est pas belle la vie ? Il s’agit d’une famille ordinaire

. Voilà dix ans, ils avaient pour projet d’acheter une maison – ils avaient obtenu un prêt : ils étaient tout heureux, prêts à en suer pour y parvenir, devenir propriétaire – acheter une maison bien à eux – une photo atteste de cet état

où ils sont aussi quatre : la petite (Lisa Jane, dans le film, qui a onze ans maintenant – adorable, jouée par Katie Proctor) est encore dans le ventre de sa mère. Et puis les choses sont allées comme elles ont été, et puis le père a été lourdé de ses boulots divers – il n’aime pas qu’on soit sur son dos pour vérifier le travail.  Il décide de devenir auto-entrepreneur – il achète un camion avec l’argent de la voiture de sa femme

c’est un brave homme, Ricky (Kris Hitchen), typique et vertueux – et c’est cette vertu même que le monde s’emploie à réduire et à détruire. Cette vertu qui veut qu’on soit son propre chef parce qu’on sait ce que c’est que le travail – et qu’on l’aime un peu bien qu’il soit tellement difficile et dur. Comme on voit, c’est son travail qui prime, mais sa femme travaille elle aussi – sans voiture elle ira en transport en commun vers les personnes dont elle s’occupe – dominée, donc. On a des problèmes avec l’aîné : le garçon, sur les épaules du père sur la photo (il se nomme Seb, incarné par Rhys Stone) ici dans son lit (il est tard, il ne se lève pas, il va se faire lourder du lycée)

non, lui ce qu’il aime c’est les graffitis –  il va jusqu’à voler des bombes de peinture, on l’attrape, on le sermonne, son père va le chercher au poste, mais pourtant la vie, parfois, redevient un peu comme avant

on aime à rire – sauf que le travail de l’une (la mère, Abbie – Debbie Honeywood – tendre, gracieuse, gentille) (sous-payée…)

adorable comme sa fille, compréhensive – gaie et loyale avec son mari comme il l’est avec elle – une relation juste humaine (magnifique mais juste humaine) que ce monde s’emploie à briser – comme  de l’autre, le travail de Ricky

incarné par un chef borné et salaud (on sait ce que c’est qu’un salaud) (Ross Brewster, un chef d’équipe vrai comme s’il avait fait ça toute sa vie – il était policier et l’est peut-être toujours)

des acteurs formidablement dirigés (on court pour porter les paquets plus vite, à l’heure, quand et comme il faut)

des relations interpersonnelles fortes et vraies, de l’amour pourtant

mais ça ne suffit pas…

 

« Sorry, we missed you », un film de Ken Loach (comme on l’aime lui), un scénario implacable de Paul Laverty (formidable aussi)

d’un voyage à l’autre #5

 

 

 

étant donné que l’ami Lucien s’en est allé à Rome (et en est revenu) (la fiction, les dévoilements, les indiscrétions, les habitudes particulières ou la réalité des choses étant, ici, sur la toile le web internet virtuel etc. pléthore) je dépose cette image qu’il me dit avoir postée sur touittaire « pour ses fans » (je ne le suis pas – j’en suis pourtant – mais pas sur ce réseau-là)

dont j’apprécie particulièrement l’arrière-plan

pixellisé, certes – donc je me promène aussi (cette ville magique et magnifique) (un peu comme partout sauf qu’il y a le climat et les collines, le Tibre et la villa Borghèse – et d’autres choses encore) – passons (on y retournera, espérons-le) mais pour le moment

je ne parviens pas à lire mais cette plaque est apposée sur un mur de l’ex-immeuble de la police (plus ou moins) secrète de l’ignoble salazar (sans majuscule) en souvenir des quatre morts du 25 avril 1974, laquelle plaque ne fut mise là qu’il y a peu (on préfère toujours oublier) – c’est à Lisbonne (on y retournera aussi, oui, espérons) (on vit d’espoir quand on voyage) (on n’en finira jamais) – j’ai aussi celle-ci en magasin

mais ça, c’est Paris au troisième acte des gilets jaunes (dont le cinquantième se déroulera ce samedi – je pense souvent à Nuit Debout, il m’arrive d’oublier : je ne suis pas militant) – mais passons, le monde est à nous

quelque part à la Nouvelle-Orléans ou à Bâton-Rouge (je ne suis pas non plus très rigoureux – je prends des images mais ne les indexe que peu) (j’aime la femme en rose sur son palier) (et la batterie de paraboles)

quelques années plus tôt – une série commence à deux –

mais d’autres gens – Sophia dite Maria et Luchino (le polo fermé au cou) – constituer un panthéon ou quelque chose de cet ordre (on n’aime guère le panthéon reconnaissant mais tant pis)

une autre de la même – en passant – poing fermé – ce ne sont pas des voyages, mais qu’importe – j’essaye de ne pas penser au travail – j’essaye de ne pas penser que, bientôt, il en sera fini – la Force du destin, la Norma, ou comme tu veux –

des changements en ville

je passe seulement

l’officine des roses de TNPPI – rue du Bac – Paris

petits métiers (pour gens de couleur) architecture grossière – contrechamp

on ne s’arrêtera pas de vivre quand même – on a à continuer – on doit avancer – ici le mur du cimetière Montmartre

sans les images de B2TS mais ici avec (mais sans type à cabas)

c’est Paris, oui – ailleurs aussi

c’est en Hongrie, c’est en fleur – zéro trace de la pourriture endémique de ce monde

des images qui peuvent parler d’elles-mêmes sans trop savoir pourquoi elles se côtoient ici sinon cette volonté de ne pas mourir de surnager de vivre et de rire

comme dans cette jeunesse un peu ternie à présent – elle s’éloigne, elle s’érode, elle s’oublie – ces avions au ciel qu’on saluait, ces roses qu’on portait, ces cailloux qu’on posait – et puis le reste du monde

ses beautés éphémères (image (c) Juliette Cortese)

platine/épaules/verre/piscine

débardeur/jean moulant/ceinture/poing levé dans le stade – du pain et des jeux ? – toute une machinerie qui intime à se rendre compte, à se souvenir, à ne pas oublier cette vie-là, ce monde-ci, ces façons d’être et de se tenir

(la plage de Dunkerque quand même)

c’est journal en images (des semaines et des semaines de lutte)

JO Cox, morte assassinée par un déséquilibré (seize juin 2016, à coups de couteau, type d’extrême droite fan du brexit sans doute) – ne pas oublier, non et continuer à lutter

Marielle Franco, assassinée au Brésil par les amoureux de Bolsonaro (le 14 mars 2018,à coups de feu, des balles provenant des stocks de l’armée : merci qui ?) et puis le monde tourne – non, bien sûr non, on n’oublie pas – écouter de la musique, regarder de belles images et le beau côté des choses

d’un voyage à l’autre #5

 

 

 

ça s’est interrompu – et voilà que ça a repris (S. va beaucoup mieux, crois-je possible de croire) – il y a dans le dossier « image » un peu trop de documents, je m’en vais le vider – d’autant que pour l’Air Nu, je commence une nouvelle rubrique intitulée « Ville et cinéma » qui va me prendre un peu du temps qui me reste – dans les moments de presse, il faudra faire attention et preuve de patience – (un entretien à monter pour la petite fabrique du livre aussi, enfin, il y a des choses sur le feu)

commençons par cet arbre abattu, une série en cours qui a pour nom « souche Corentin » que je croise en allant travailler – c’est une image du robot – mais elle ne correspond pas aux voyages d’Olivier Hodasava – je la pose ici à titre de marqueur : le monde va son chemin (à Rouen, à Pantin dans l’école Méhul ce samedi 21septembre, à Washington où on espère que la loi va foutre dehors ce menteur truqueur voleur raciste homophobe et j’en passe à la tête de l’État, à Londres où cet autre du même acabit fait semblant de croire qu’il va tenir ses fausses promesses…)

(on ne la présente pas mais elle fut grugée) – continuons voulez-vous continuons

c’est sûrement l’été mais c’est une station de sports d’hiver – on nage – on se protège du soleil – on nous informe que le niveau des eaux monte, que la civilisation actuelle (kézako ?)  va vers sa perte en 2050 (on aime les comptes ronds) mais les affaires continuent (business as usual comme ils aiment à dire)

lui est mort mais pas elle – en Arabie recueillie sur son lit de millions de dollars : charmante – les images ne mentent que parfois et encore : admirable le partage du pied de poule carrés noirs et blancs etc. hein… –

(ce doit être en Irlande je crois bien – le flou a gagné les roses, c’est une horreur mais peu importe : nous en sommes les auteurs) –  il n’y a pas de quoi s’offusquer

on répare (wabi sabi) partout (ici c’est dans le Dakota) c’est dehors, on garde un oeil, on refixe, mourir pourquoi faire ?

on met des gens et ça vous a tout de suite une autre esthétique pas vrai ? (elle, Megan Rapinoe, équipe de football des US qui refuse d’aller saluer le peroxydé machiste et homophobe, elle, je l’aime bien) – une espèce de journal – je fais défiler les images

tu te souviens, le changement de direction au CNC ? concussion, renvoi d’ascenseur, non les affaires continuent – ils ont changé de locaux, sont boulevard Raspail à présent, un certain Boutonnat préside…- rapport de cause à effet, qu’en savoir ? – et tant qu’elles continuent, pourquoi s’en faire ? préparons plutôt l’échéance prochaine –  je dispose aussi d’images de cinéma, je les range dans un coin à part – le truc est encombré, c’est à ne pas croire- faut que je range, mais je suis malade, il est 5h10 et je ne dort plus depuis une heure – je vais fatiguer, mais je travaille, j’y travaille

j’avance je ne sais vers où – ma fièvre monte, mes bronches s’enferrent, je tousse, un thé, un café, quelque chose ?

ça se passe à Dublin, le pont a été baptisé Samuel « bon qu’à ça » Beckett (j’ajoute évidemment des guillemets – une rue, un pont, un édifice à son nom, quelle reconnaissance…) (que de son vivant il ait crevé de faim n’est pas le sujet) (d’ailleurs,il n’y a pas de sujet)

(en dédicace spéciale à  Elisabeth Legros-Chapuis – la photo est d’elle je pense) (moi je serai plutôt celui qui nage, là, bord cadre en bas à gauche) (j’aime nager)

un type attend (c’est en Angleterre, Manchester quelque chose)

ici (Charleroi, en haut : la Sambre) du linge sèche,voitures indifférentes, trains bientôt dans son fracas

quelques fleurs rouges (de Waterloo, Iowa) pour saluer Sharon Tate (on a vu le film de Tarentino – performance d’acteurs, certes, mais misogynie assez grave j’ai trouvé)

pour finir, Fatoumata Diawara aux Vieilles Charrues avec Mathieu Chédid (parce que le monde recèle des merveilles – quand même)

Avec son meilleur souvenir

Le dernier jour des vacances, presque un pied déjà dans le bateau pour le continent, j’ai écrit une carte postale, collé un joli timbre et mis l’adresse de la maison-témoin. J’ai hésité au bord de la boite à lettres (celle par où on expédie et non l’inverse) : fallait-il indiquer un nom avant l’adresse, et lequel ? Qui serait là quand la carte arriverait ? Personne, probablement. Qui la récupérerait quinze jours après, parmi les avis de passage des petits Savoyards et les publicités tonitruantes des supermarchés ? Elle se perdrait, peut-être. J’ai juste écrit « Maison Témoin », comme ça. Était-ce tellement important, après tout, que je vienne par ce bout de carton illustré (petites barques blanches sur une mer bleue, fond de ciel bleu) dire aux gens qui ne sont pas dans la maison-témoin que non, je n’y suis pas non plus ? Entre temps, le temps (toujours lui) a grignoté le délai que je m’étais accordé ; la sirène du bateau a retenti, il allait partir sans moi. Peut-être que le facteur penserait qu’il s’agit d’une personne, prénom Maison, nom de famille Témoin. Ou pas.