or, zen, futé

tout près de la maison[s]témoin il y a un grand parking avec souvent un bus garé, son moteur tourne au ralenti – puis on longe l’eau jusqu’au pont, à cet endroit où passent la voie rapide et les pistes cyclables

en contrebas poussent des arums sauvages, ça fait du bien de voir leur grandes vasques blanches qui dénotent dans tout ce vert sombre, du bien aussi de prononcer leur nom arôme, un nom-parfum

on traverse en s’éloignant des files de voitures, on passe un portique de fer qui tourne sur lui-même, et c’est encore assez urbain – il y a des poubelles, un hôtel à insectes aux pans de bois si bien rangés, si bien vernis, qu’un insecte n’oserait pas s’installer – on suit le ponton lancé par-dessus la zone marécageuse – de grandes tiges dépassent, parfois un iris jaune tout déplumé – et puis ça tonitrune, les grenouilles sont petites mais elles font plus de bruit que cent — à peine quinze –, leurs jambes élastiques fendent les lentilles d’eau, leurs yeux roulent pendant leur spectacle, performance : parce qu’elles s’observent l’une l’autre, elles font tout, l’artiste et le public

avant la voie de chemin de fer on tourne – c’est un sentier, de l’herbe, des boutons d’or, et ça s’ensauvagise – on marche et bientôt ça retourne sur soi, on revient vers la ville en longeant l’autre parking et le garage – il y a de grands drapeaux, OR, ZEN, FUTÉ, des occasions à ce qu’il paraît, qui pourrait croire que l’or, le zen et le futé scient les planches du radeau sur lequel on se tient serrés (il est possible qu’on coule)

on reprend le portique et on retrouve le bus à l’identique, son moteur allumé que des fleurs tricolores respirent – on se dit c’est dommage : comme l’anxiété du pipi jaune dans les piscines qui se verrait tandis qu’on nage, il faudrait des fumées colorées sur le cul des voitures, des jaunes, des brunes, des écarlates – les bleues seraient acides, les vertes et les violettes les plus nocives puisque, c’est bien connu, ce sont les couleurs du poison

on se mêle aux touristes, on les entend parler anglais, allemand ou norvégien, à ça qu’on les reconnait, et puis aux appareils photos avec leurs zooms si longs qu’ils  les déséquilibrent – on pense à cette amie qui s’est acheté une canne et marche sans doute comme oscar wilde, aussi élégamment, parce qu’elle est élégante, du dedans, du dehors tout autant (mais on ne sait pas si la comparaison lui va)

on rentre à la maison (témoin) – on se demande où se trouvent ses archives car le grenier a l’air bien vide et bien propret – on se demande ce qui sera archivé, et qui nous archivera dans les fumées

des hommes se serrent les mains, se congratulent, ils s’applaudissent avant d’entonner l’hymne de la fierté et du costume amidonné – on distribue des points – on fait « voir », « plus d’infos » et « ajouter à ma playlist » – on tousse – on écoute le silence qui dure plus qu’une minute, par respect – les tiges de myosotis résistent au vent, et le banc est repeint – BFMtv répond à toutes les questions : « Révélations ce soir. Saisissez l’opportunité. Ensemble. C’est là que ça se passe. Allez, c’est parti. Partagez vos bons moments. Maîtrisez votre trajectoire. Dans la vie on ne devrait pas avoir à faire de compromis. Terminus dans trente minutes. C’est en suivant ses rêves que l’on trace sa propre route. Profitez de facilités pour le transport. Nous partageons le même amour de la liberté. C’est bientôt l’heure. L’heure des comptes. Mais je vous interromps, vous imaginez ? C’est la réalité. C’est compliqué. »

 

sur le trottoir devant la maison[s]témoin

J’aimerais vous donner de ses nouvelles, clairement, je ne sais pas. Sa présence ne passait pas inaperçue. Voilà, et vous savez la suite. Il parlait de rien. Lui était médecin et il savait, à la visite d’embauche il aurait pu dire. Jamais on s’est posé la question de la visite inverse. La réponse était inapte. L’usine de la honte. L’usine cercueil. Essentiellement des femmes. Les gens qui habitaient dans la rue sont morts. Non lieu. Il n’y a même pas matière à instruire ou à juger. Dans cette rue y’avait les abattoirs, la spa et l’assédic. Maintenant ils ont mis des sdf. C’est pour dire la vocation de cette rue. Avant c’était une rue ouvrière. Y’avait les grèves, des distribution de tracts. Maintenant y’a quelques entrepôts, c’est des bureaux, artisan du placard, expertise-comptabilité, ils ont acheté ça pas cher. Là où y’a écrit horizon, moi j’ai commencé à travailler là, là où c’est marqué horizon. Le dernier pdg il travaillait là. Avant c’est son père qui était pdg. C’est des verrières. On n’a pas besoin de faire de fenêtres pour les ouvriers, sinon ça les distrairait. C’est la poésie patronale. Mon père avait été licencié comme syndicaliste, je pouvais plus aller à l’école, je suis venue et on m’a embauchée. On rentrait là. À côté y’avait la filature et en haut c’était le filage tressage. Il faisait tellement chaud, ça tapait on demandait au chef de peindre en bleu pour filtrer les rayons du soleil, on prenait les bobines et on les balançait sur les verrières, on les cassait alors ils venaient et ils peignaient. Y’avait des machines qui brasaient partout, vers chaque machine y’avait un nuage de poussière. C’était une atmosphère irrespirable. C’était une machine qui faisait une tresse, une gaine, la machine y’avait un tapis, ça faisait une mèche, on n’avait ni masque ni gant. Toutes les femmes en blouses de nylon, parce qu’en coton ça se collait dessus. On en avait dans les cheveux, les oreilles. Les médecins anesthésient les gens. Y’avait peut-être vingt-cinq navettes qui tapaient tapaient, ça faisait un bruit infernal tout le temps. Au début je venais pour gagner ma vie après je venais pour faire la syndicaliste. Le seul problème qu’on posait pas c’est celui qu’on savait pas. Entre gêné et empoissonné, c’est pas la même chose. Elle respirait pas bien ou elle toussait? On se disait c’est de la poussière. Aucune poussière n’est bonne. On se disait ça se saurait. On voyait des gens qui mourraient mais le lien était jamais fait. Il est mort de façon très rapide. La direction devait s’employer justement à dire ils fument ils boivent ils s’abîment la santé eux-mêmes, les mineurs crachaient leur poumons, les gars du bâtiment dégringolaient des échafaudages, c’est la condition minimum. Ce qui me tracasse beaucoup, c’est peut-être que ça se réveille. Le jour où ils ont annoncé la fermeture les gens étaient désespérés, j’ai demandé d’être entendue, on est rentré tous dans le grand bureau, il était là, elles ont commencé à dire c’est une honte, ce qu’on dit quand on est jeté à la rue et lui il était très surpris, il nous regardait d’un air détaché, y’avait une part d’indifférence, peut-être presque d’indifférence de naissance. C’est le dernier cliché que j’ai. Moteur.

Je suis arrivé tout début janvier. J’ai découvert le site, c’était le moyen âge. Y’avait de la poussière qui était là depuis quarante ans. Au bout des six mois, il avait rien fait, il fallait arrêter toute l’usine. Quels travaux. L’expert a mis huit mois pour faire le voyage, huit mois pour faire son rapport, en tout deux ans. Le pdg a déposé son bilan. Entre nous je crois que la faillite est arrivée au bon moment. Il savait très bien que c’était excessivement dangereux. C’est scandaleux. Ils ont bénéficié de ces experts, de ces médecins qui venaient dire que c’était pas dangereux. Le fils, quand il a pris l’affaire il savait très bien tout ce qu’il fallait faire, il savait.

Nous faisons partie de votre héritage. Vous avez eu le meilleur et nous le pire. Vous avez eu l’argent, nous avons eu la maladie. Il voulait pas faire de travaux. La fortune il l’a pris. Il faut qu’il prenne les victimes aussi. Les patrons ils venaient pas beaucoup, une demie-heure par an. La plainte a toujours pas abouti. Les témoins sont morts. Les accusateurs sont morts. Mais on se dit que ça pourrait donner à réfléchir aux autres. La dignité. Que nous on nous donne le statut de victimes, et lui d’empoisonneur. Que chacun ait sa place. Et que les ouvrières redescendent du bus en chantant. Qu’il ose nous faire face. On lâchera jamais.

(lettre à Chopin)

le tiroir


S. n’habitait la maison[s]témoin que depuis sa construction.
Avait posé la première pierre, avait frotté du plat de la main la première plaque de placo-plâtre.
Avait testé le premier tour de robinet.
S. avait décidé de laisser venir.
Les mots.
Puis de les coller comme ils venaient,
dans l’ordre d’apparition à l’écran de sa vue,
sur des morceaux de cartons étonnement rectangulaires, régulièrement carrés, le plus souvent munis de ces angles qu’on qualifie de droits.
De temps en temps, S. s’arrêtait de tourner dans la maison[s]témoin.
Cessait de regarder par les fenêtres
(les ponts, les travées, les affiches, les barricades, les courbes en hausse à 150 %).
S. lisait alors la récolte de messages ainsi constituée dans le plus heureux des hasards, celui qui s’adressant à S. ne pouvait jamais se tromper.
S. lisait :

« nonchalamment étendus dans la vase du fleuve
au milieu de cette foule de chevaux affolés
PROJETS D’AVENIR
Je m’écriais en moi-même :
cette clef
« ALLONS? JEAN-PIERRE EMBRASSONS-NOUS »
_Vous avez tort de me parler sur ce ton.
_N’y comptez pas !
_Mais si, mais si…
_Je ne vois pas ce que je gagnerai au change !
La porte s’ouvrit silencieusement.
vous imaginez que
_Je vous méprise autant
_Eh bien, mettons que j’en ai assez !
_Si j’étais vous
_Peut-être
_Mardi. _Ce n’est pas mardi. _Est-ce mardi ? _ C’est peut-être mardi.
SE PRÉOCCUPER DES FONDS OBSCURS
_Oui, c’est mardi.
Visser le fond
avec le pointilleur.
RÉVÉLATIONS !
un vrai miracle
directement à votre adresse.
La rivière est barré
et l’eau remonte.
On sent que le pas de l’homme
peut être regardé comme la plus grande
dérivation.
Un très riche et très noble dessein,
nous, à ses pieds,
il nous suffisait de l’apercevoir. »

Une fois ses lectures faites (à voix haute et à voix basse simultanément), S. se repliait en seize morceaux de taille identique et se rangeait dans un tiroir, celui du haut, ou celui du bas, selon la teneur de ses émotions, fugitives, contradictoires, pesantes, enthousiasmantes, incontrôlables, et propres à transformer S. en fumée.
C’est à ce titre que les volutes du S qui lui servait d’initiale lui apparurent comme prémonitoires.

« Vous devez être heureux de votre voyage » lui répondait alors un livre ouvert page 47(une page saturée d’un hasard objectif, millénaire, incompressible et discret).

Il étouffe, dit quelqu’un.

Elle était très habile, elle a donné son portrait au lieu de le vendre.
Plus que satisfaite.
Tout ce qu’elle suppose est que Rose est une rose.
Que suppose l’acheteur de la maison[s]témoin ?
Veut-il vendre son témoignage ?
Une artiste canadienne confronte les objets : statuette de lapin blanc et bouteille de rhum vide.
Elle accroche des couvertures qu’elle a récupérées et réparées.
Que confronte l’acheteur de la maison[s]témoin ?
Que veut-il récupérer et réparer ?
On a tous besoin d’accumuler, dit quelqu’un.
On a tous besoin que quelqu’un fasse appel à notre intelligence sensible, dit quelqu’un (les plus belles chansons, les plus grands artistes, des archives jamais revues, alors que tous nous avons besoin de danser, danser, danser).
On a tous besoin de retrouvailles, de choisir, de vouloir, de nostalgie.
On a tous une bonne raison, dit quelqu’un, de rester jeune.
L’acheteur de la maison[s]témoin cherche la tranquillité.
Entre voie rapide et buissons, il se gare, il éteint la radio de son SUV compact urbain.
Il va accumuler de l’excellence : des meubles neufs agencés au goût du plus grand nombre, et la possibilité de ne pas être remarquable, au point de devenir remplaçable.
C’est ce qu’il désire : se muer en personnalité fulgurante, interchangeable, proliférante, être tout et tout le monde à la fois, anonymement.
Au premier abord, on se dit qu’il s’agit là d’un extrait d’humanité sans contours.
Qu’il s’agit de créer une œuvre artificielle, dépersonnalisée, détachée, impassible.
Bienvenue dans un monde enchanté, dit-il.
Ce qui n’a pas de prix est rare, fait événement, et pourrait bien apporter la pureté et le bonheur, sans trop d’impact émotionnel.
Si j’ajoute du jaune, de l’orange et du magenta, les gens seront fascinés.
C’est ma façon de montrer, dit-il.
La piscine[s]témoin ouvre.
À l’intérieur, tous les nageurs nous fixent sans expression.
Le cimetière[s]témoin est finalisé.
Quand ses grilles s’écartent, elles produisent un grincement accordé aux teintes des tombe[s]témoins, un gris moussu très élégant.
L’acheteur de la maison[s]témoin fréquente la piscine[s]témoin et se promène dans le cimetière[s]témoin, ce qui aide à sa digestion.
Le soir, sur son canapé[s]témoin, il ouvre la bouche en étirant sa mâchoire de façon phénoménale.
Il la garde ouverte.
Elle se transforme en haut-parleur.
Elle crie.
Rose est une rose.
Le supermarché s’étend sur cinq hectares.
S’il y a quelque chose de brillant et d’original, c’est bien le système nerveux.
Au bout de quelques secondes, tout est comme avant.
Dans des statuts facebook, on confronte les définitions de ce qu’est une œuvre d’art.
Le correcteur orthographique de quelqu’un a corrigé le mot œuvre en pieuvre.
Cette certitude est d’une densité admirable, oscillant entre réflexion et confusion, dit quelqu’un d’autre.
L’acheteur de la maison[s]témoin rend compte de tout, au coup par coup, de façon formelle et informelle, dit-il.
Puis il commente : c’est un vieil épisode qu’on a déjà vu.
La maison[s]témoin est le témoin d’effondrements d’autres maisons.
Celles-ci ne peuvent plus témoigner.
Quelqu’un avait perçu des subventions pour réparer des fondations, mais ensuite il a pris l’avion et a pensé à autre chose.
Le kérosène et les arbres se combattent dans les airs
L’affrontement est non équitable.
Le pouls est trop rapide.
On va le perdre.
Il étouffe, dit quelqu’un.
Les troncs sont découpés, broyés, petit bois et copeaux pour cheminées.
L’acheteur de la maison[s]témoin n’a pas peur des fissures.
L’acheteur de la maison[s]témoin ne craint aucune moisissure.
« Tout a un prix » est l’expression qui reste, après lavage.

Négocier

L’agent ne comprend pas tout de suite. Le client voudrait acheter la maison témoin. Non pas une maison qui deviendrait la sienne sur le modèle de la maison témoin et sur le terrain de son choix, mais la maison témoin, ici, à cet endroit, telle qu’elle est meublée et placée. L’agent part dans un fou rire quand l’autre lui dit, très sûr de lui, comme une réplique de cinéma : « citez-moi une chose dans ce monde qui ne soit pas négociable » ; car il va devoir expliquer que le canapé convertible n’est pas réellement convertible, que les livres sont faux, les DVD aussi même si la télévision fonctionne (alors qu’elle ne devrait pas, d’ailleurs l’agent précise que la télé ne fonctionne pas), et s’il y du courant il n’en est rien de l’eau et de toute façon aucun robinet, aucun tuyau n’est raccordé ; et les toilettes ne sont pas faites pour être utilisées ici.

Je ferai raccorder. Je peux payer ce que vous voulez.

Voilà, l’agent ne trouve plus de mot. Après tout, pourquoi pas. Mais… si près des piscines et du cimetière témoin, ici, vraiment ? Pourquoi pas. Il n’y aurait qu’à signer au bas de quelques pages, chez le notaire, et donner les clés. Et ce serait terminé de cette maison témoin, il faudrait à nouveau en construire une, trouver un nouvel emplacement, changer la vue des bacs bleus plantés sans raison dans le sol au lieu de briller d’eau chlorée, pour des véhicules hybrides peut-être, ou des tracteurs et tondeuses John Deere, des campings-cars.

Et que deviendrait cet acheteur, ici, serait-il témoin, pourrait-on le visiter, l’évaluer, l’acheter ? L’argent avec lequel il achète, s’il s’agit d’un prêt, a quelque chose de témoin puisqu’il sera créé pour l’occasion, ne se transformant en « argent » que par le paiement des intérêts. À moins de payer cash, il ne s’agira jamais de monnaie, d’un salaire viré qui serait le fruit d’un travail. Le remboursement de l’emprunt transforme le fruit du travail tout d’abord en néant, puis en intérêt, pour la banque, qui paiera ses employés pour partie, et surtout placera cet argent qui sera alors de nouveau transformé en néant de pierre, immobilisation quelconque. Pas exactement néant mais droit de propriété, quelque chose qui aurait pu s’arranger autrement. Tout cela fonctionne parce qu’il s’agit d’un mythe auquel toutes les parties croient. L’argent, la dette, la raison sociale, l’État. Contrats tacites que personne n’ose déchirer.

L’agent se dit qu’il reviendra après l’installation de son client, voir si la chose peut se faire, s’il peut recruter cet homme pour devenir agent immobilier, qu’il fasse visiter sa maison et essaie d’en vendre des exemplaires pour le compte de l’agence.

les listes et les podiums

Je ne me souviens pas exactement de ce qu’il y avait sur cette liste, des sortes de résolutions, et en toute fin celle de ne jamais faire de liste.

Ce dont je me souviens est haineux surtout, mais je ne sais pas dans quelle mesure l’hippocampe du cerveau doit être tenu pour responsable et comment, de quelle façon, quoi, avec quel outil, comment pourrait-on – un deux trois quatre dit le mec au téléphone dans la cour – étudier ou même tout simplement reconstituer ce qui amène à ça, à la détestation des différences – la grille de la cour claque de façon très reconnaissable en se refermant, le mec un deux trois quatre est très différent de moi, je ne le déteste pas mais je suis tout à fait capable de détester qui s’érige qui se porte garant, qui refuse d’accorder, qui n’imagine pas se tromper, qui prend l’espace et la parole, ce serait trop compliqué de faire une liste, surtout sachant que certains paramètres de reconnaissance de ces qui détestables sont diffus, de l’ordre du sensible, et tiennent à une manière de prononcer certains mots, avec une certaine torsion de la bouche, par exemple en s’érigeant, se portant garant, refusant d’accorder etc.

Ensuite il y a beaucoup d’avis qui sont donnés sans préavis.
On cherche la poule qui sait compter ou le poulpe qui donne des résultats de paris sportifs.

Finalement, recopier intégralement, ou pratiquement intégralement, le discours d’une chaîne de téléachat est reposant, parce que le détestable se montre tout clair, sans masque, pas besoin de se fatiguer à le débusquer ou à le traduire. C’est l’éloge de la différence – plus exceptionnel, meilleur, performant, ça va vous changer la vie – mais d’une autre différence, celle qui nous rapproche de l’exception admirable. Le téléachat installe des nuées de podiums sur tous les emplacements, même quand il s’agit d’un coton-tige ou d’un parapluie pour que nous devenions tous l’exception admirable. Ne pas être comme les autres, c’est être meilleur – plus exceptionnel, performant – que les autres, ce qui est un abîme sans fond, car si ça fonctionnait avec cent pour cent de réussite, à la fin nous serions tous identiques. C’est reposant de voir à l’œuvre cette schizophrénie. Mais quel outil, comment, avec quoi, tirer des conclusions, sauf en détestant ce détestable.

Les décorations de noël sont en place, les rues ont été bloquées très peu de temps pour que les boutiques n’aient pas à en subir les conséquences, en termes d’accès, ventes, black-friday. Certaines guirlandes lumineuses ont peut-être été installées de nuit. À la devanture du magasin de jouet du centre-ville, un père noël ventru de douze centimètres sourit dans la nacelle d’une montgolfière tissée. Aucun jouet n’est à moins de cent cinquante euros. Le pull moutarde dans la vitrine d’à côté est en solde à deux cent vingt-cinq euros. Il en faut deux pour obtenir le prix d’une paire de chaussures. La ville est calme. C’est en périphérie qu’on brûle des pneus. Ce sont des différences visibles, des podiums bien installés. La haine aussi veut son podium. La ville est calme. Il n’y a pas de mère de famille tuée sur son palier à coups de couteau ici, comme dans d’autres villes. C’est peut-être une question géographique. On pourrait se dire – comment, de quelle façon, quoi, avec quel outil, comment pourrait-on, un deux trois quatre  – que les différences – de prix et de couteaux – sont géolocalisées. Peut-être même qu’il existera bientôt une application pour téléphone où les podiums apparaîtront en temps réel sous une tête d’épingle rouge ou verte en forme de goutte d’eau stylisée inversée. Une qui sert le café avait un bleu au visage l’autre jour et les yeux rouges. L’étrange, c’est qu’elle ne se trouve pas en périphérie. La chaîne du téléachat est dans toutes les télévisions, peu importe leur emplacement. C’est pareil pour les bleus, ça l’est moins pour les jouets en bois faits à la main, les montgolfières tissées de quinze centimètres de haut en soie et les vêtements moutarde. Historiquement, c’est un peu comme les chambres de bonnes toutes au rez-de-chaussée. Il y a une ville en Amérique du sud dont les quartiers les plus privilégiés se trouvent sur les hauteurs, et les zones pauvres en bas. Quand les pluies dévalent les pentes, qu’elles engorgent des rigoles parfaitement goudronnées, s’y engouffrent, longeant les interphones des portails électriques, passant devant des escaliers à double volée donnant sur des statues au centre de parterres fleuris, elles inondent les cabanes de bois et de tôles ondulées, elles les recouvrent, elles les pourrissent et elles les noient, avec des gens à l’intérieur. La haine de qui s’érige de qui refuse d’accorder s’écoule, simplement, au grand air.

Après, il y a ce souci dès qu’on écrit, d’arriver à une conclusion. De faire une démonstration. Ou un portrait. De donner à voir un angle qui ne serait pas commun, ou qui serait différent. C’est peut-être la corrosion qui gagne. L’acide du podium se répand. Dès qu’on écrit, et sans qu’on le formule, même sans qu’on veuille s’y intéresser, arrivent les différences, le haut, le bas. La sélection. Écrire c’est sélectionner. Recopier c’est sélectionner ce qu’on va recopier.
Même la longueur d’un texte est soumise à la sélection : trop longue pour un billet en ligne sur le net comme ici, trop courte pour un livre. Si je choisis d’écrire un texte trop long pour être lu en ligne, est-ce que c’est pour déjouer ce principe ou pour faire différent ? (me la jouer ?) Comment – quel outil, comment savoir, comprendre, répondre, et où se terrent les illusions, sur soi et sur le reste, celles qu’on voudrait avoir, celles dont ne sait pas qu’elles nous collent aux talons.

« Il y aurait plus de mondes potentiellement habitables dans l’Univers que prévu », me dit un site. Juste après m’avoir demandé
« Qui est Jesus ? » et
« Comment préparer une pizza parfaite selon la science ? ».
Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si dans ces mondes aussi il y a obligation d’agencer en vue de démontrer, et si tout s’organise hiérarchiquement, même la pluie.

Un nom à chacune d’elles

J’aurais voulu ne pas y être allée. Ne pas parler des noms des hommes des noms des femmes et du fait qu’elle voulait préférait qu’on la désigne en employant le terme masculin parce que c’est neutre elle disait. Sinon elle se sentait au rabais c’est ce qu’elle a dit. J’aurais voulu ne pas dire que la langue n’est pas neutre qu’elle est tordue ou lui dire que si toutes les femmes faisaient comme elle rien ne changerait ce serait toujours le masculin qui aurait la légitimité du non rabais. Il y a un risque à prendre à ne pas être dans l’exactitude et j’ai été brouillon. J’ai lancé l’académie française richelieu une volonté politique acteur actrice mais actrice voyez-vous on pouvait le dire parce qu’une actrice était considérée comme une catin une moins que rien autrice ça a été gommé ça veut bien dire quelque chose ? je l’ai dit de façon brouillon elle n’a pas entendu. Elle a dit qu’elle aimait le papier tourner les pages qu’il fallait avoir du temps pour lire que si le livre était trop bon elle ne s’endormait pas avant quatre heures du matin parce qu’elle voulait savoir la fin. Je n’ai rien dit j’ai même souri j’ai même approuvé comme si c’était le cas pour moi aussi alors que je ne lis jamais pour savoir la fin alors que je lis pour la phrase elle-même son entièreté et pour sa force sa capacité à réussir à ne pas trahir comme je l’ai fait en souriant approuvant sa force à rester dans la durée à être une sorte de bascule sans objectif la phrase comme une bascule qui tangue sans se démener pour obtenir ce but si vain d’arriver à une fin. J’aurais voulu être capable de dire les publicités ont une fin un objectif les émissions de télévision qui font le buzz ont une fin un objectif chaque prise de parole chaque clash chaque énormité est destinée à basculer vers la fin de sa répercussion puissante l’objectif du déversoir et du brouillage l’objectif de donner du volume. Je n’ai pas été capable de dire que je déteste d’une grande force le volume inapproprié. Que mon emploi celui que je me suis assigné c’est de détourner le volume fort le volume éclatant de me tourner vers l’inaudible. J’aurais voulu ne pas y être allée pour parler de mon sommeil haché. C’était une impossibilité. J’aurais voulu qu’elle ne polarise pas sur le morceau de chair qui me manque et ma féminité pas de problème elle disait j’en connais d’autres qui n’ont pas de problèmes la société fait pression il ne faut pas se laisser faire elle l’a dit tout en se laissant faire en acceptant l’idée d’être elle-même au rabais à cause de quatre lettres en plus et mon sommeil haché s’est encastré dans la société et dans mon problème qui n’est pas un problème mais qu’on appelle quand même problème quand je dis que la langue est tordue. Parce que je n’ai pas su raconter ce qui me réveille. Des ouvriers travaillent. Ce sont des artistes. Ils veulent donner des noms aux profils des lionnes. Un nom à chacune d’elles. L’intérieur de la grotte se déploie comme un grand drap qui sèche. Une danse de lignes dit quelqu’un. La lionne qui renifle. La lionne qui grogne. Ça lui sort du cou dit quelqu’un. C’est le même artiste qui les a peintes dit quelqu’un je reconnais sa danse. On ne sait pas son nom. Jamais ne sera évoqué à aucun moment ni même pensé que cet artiste du temps de la préhistoire est peut-être une femme. Le profil le dernier profil celui qui a été peint en dernier se trouve au centre. C’est celui que l’on voit en premier. C’est vers lui en attendant de le peindre que l’artiste a travaillé. Mais ce n’est pas une fin. C’est un milieu. « Il dessinait pas mal ce mec » a dit cette autre femme et le quelqu’un l’a approuvée.

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Description du projet :
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Les caractéristiques de ce modèle de maison :

Plans adaptés aux terrains en pente d’un lieu haut vers un lieu bas, ce qui fait pour l’âme ce que l’inclinaison fait pour les corps, douce, raide, inévitable, la pente vers soi est le commencement de tout désordre.
2, 3 ou 4 chambres, c’est selon. 4, 3 ou deux chambres quand l’ordre des choix est décroissant.
Porche et hall d’entrée de mise
Cellier (c’est-à-dire que c’est attaché avec l supplémentaire gratuit)
Cave à la cave
Double garage deux fois
Wc séparés à l’amiable
Salle de bains hydrothérapique humidifiable capable de contenir l’eau sous toutes ses formes liquides
Suite parentale de 26 m² (version 3 chambres) avec salle de douche, dressing et espèces de rangement
Modèles de maison de 80 à 110 m² habitables et chaises si besoin.

Construire sur un terrain en pente peut s’avérer complexe, le modèle Atmosphère vous séduira par sa fonctionnalité, son adaptabilité, sa souplesse, sa décontraction, sa malléabilité, sa maniabilité, sa diplomatie, sa subtilité perspicace.

Protégée par un porche proche, la maison vous offre un hall cadeau d’entrée généreux où vous pourrez créer, optimiser, maximiser, bonifier, dégrossir, épurer, sophistiquer vos rangements.

Ce hall comprend également tout ce qu’on lui dit, avec l’entrée dite de « service » (charité bien ordonnée, coopération, dépannage) desservant le double garage fois deux pouvant accueillir deux voitures fois quatre si le temps (éclaircie, période, conjoncture) le souscrit (signature en bas de page), le cellier et la cave vous permettant des possibilités quasi illimitées (démesurées, effrénées, insondables) d’organiser votre intérieur dedans et à l’interne.

Se déclinant en 2, 3 ou 4 chambres, ce modèle de maison est modulable selon vos goûts et ses couleurs, avoir bon.

De 80 à 110 m² (voire rectangulaires) ce modèle de maison familiale sur demi niveaux à demi divisé en moitiés dont le total additionné est égal à un est convivial, chaleureux, sympathique, et sait préserver (abriter, chaperonner) l’intimité (commerce, attachement, agrément) grâce à une partie nuit (nocturne) à l’étage en hauteur avec la salle de bains et les toilettes séparées d’un commun accord, et une partie diurne qui ravira vos journées dès le lever du soleil, voire même de l’aube au crépuscule.

En version a capella 3 chambres, l’espace parental à l’étage avec dressing (dressant, domptant) (costume à paillettes disponible sur simple demande) et salle de bains privative (de bains, d’où les économies d’eau substantielles) vous garantira un espace privé à soi personnel confortable et douillet de plus de 25 m² (version triangulaire optionnelle offerte, case à cocher sur formulaire B912 alinéa 16 à retirer dans toutes nos succursales annexes et dépendances).

Les plans de ce modèle Atmosphère sont modulables et c’est ce qu’on demande d’abord à un modèle (représentation, imitation des formes).

Consultez nos conseillers pour des conseils et des consultations (mises en garde, enseignements, incitations, instructions, traitements thérapeutiques) et ainsi vous découvrirez les multiples possibilités exponentielles (avec variables en exposants) de personnalisation de nos maisons responsables.

N’oubliez pas : les maisons responsables, c’est de leur faute.

L’escalieteuse

L’escalieteuse arrive avec son encombrant catalogue d’escaliers. Il s’agit d’une sorte d’énorme livre pop-up, mais en quatre dimensions, qui parvient à faire tenir dans un micro-volume trans-univers les différents modèles miniatures qui apparaissent entre ses mains comme par magie dans nos trois pauvres dimensions, tandis qu’elle feuillette l’étrange objet. Nulle magie pourtant, simple maîtrise élémentaire de l’espace-temps que, dit-elle, le CERN refuse de prendre en compte malgré les démonstrations répétées qu’elle leur a proposé. Passons.

L’agent lui fait passer en revue les nouveautés. Il faut en effet changer l’escalier témoin. De l’avis des différents collègues, ce serait bien, il y a de mauvais retours dessus : trop sombre, trop clair, trop anguleux, trop mou, trop sec, pas assez accueillant, pas assez familial, pas assez discret ; il faut bien le reconnaître. Combien de ventes perdues à cause de ces approximatifs degrés ? Il faudra donc démonter l’escalier, le renvoyer, le recycler — en cheminées semble-t-il — et installer le nouveau. L’agent considère les fenêtres, la porte d’entrée, et sent que l’installation n’ira pas de soi. Il demande si le truc des quatre dimensions sera — non, impossible, dit-elle : trop gros, ça ne fonctionne que pour les livres.

Elle sélectionne certains modèles, d’après les contraintes de cette architecture témoin, la décoration précise comme au cinéma.

Un tournant-bas ou un tournant-haut, éventuellement, il y aura quelques adaptations à faire sur l’échappée. Nous avons des limons sculptés, modernes ou néo-classiques, du plus bel effet, on ne s’y attend pas, ça ne se faisait plus mais revient à la mode.

Il nous faut du clair, du fluide, du qui élève sans effort, vous voyez ?

Oui, tout à fait, donc pas de reliefs. Et du tilleul, pour le bois. Du bois aussi pour la main-courante  ?

Peut-être sculptée à ce niveau, quelque chose qui se fasse sentir sous la paume, vous voyez, qui laisse un souvenir agréable à la peau venue visiter.

D’accord, notre rampiste peut proposer des textures granuleuses, noueuses…

Oui, c’est ça, du nœud, pour la rampe seule, le reste lisse sous les pas.

Je le note. Et pour les balustres ? Tournées ? Droites ?

L’agent plisse les yeux, pour se représenter, dans ce décor moderne, une balustre tournée, ventrue.

Je peux vous montrer… Elle feuillette l’espace-temps local de son catalogue magique pour en tirer un escalier moderne aux balustres métalliques, cylindriques.

Non ! L’agent sursaute. Surtout pas. Pas de métal. Du clair, de l’air.

Ou plusieurs rampes si vous préférez. Les enfants adorent la petite rampe. Ainsi, pas de verticales, que des lignes ascendantes.

L’agent sourit, il est heureux de cette entente immédiate avec l’escalieteuse. Que des rampes, des envolées, voilà qui est idéal.

Elle manipule encore le catalogue et en tire le modèle parfait, que l’agent observe sous tous les angles. Il ose à peine toucher cette maquette qui semble vivante. Mais oui, dit-il, c’est ça.

Elle replie le catalogue dans un bruit de couacs sans écho et de sifflements étranges. Ils sortent au soleil jaune d’automne et dans sa voiture, elle imprime le devis. L’imprimante est intégrée adroitement dans la boîte à gants. L’agent signe et devient soudain impatient d’emprunter ce nouvel escalier, comme s’il allait accéder à un nouvel étage entièrement neuf, une étape inconnue ouverte sur le ciel et sa douceur.

blanc vide rien

Et toi, qu’est-ce que tu mettrais sur les murs sur le sol de la maison témoin ? Autour des fenêtres, des portes, sur les vitres ? Quelles couleurs, formes, textures, qu’est-ce que tu oui hein toi tu toi mettrais ? Qu’est-ce qui resurgirait ?
On va dire que tu as le droit. On va dire que tu as tous les droits.
Non mais, tous.
Je veux dire même le droit du rien, le droit du blanc, le droit de la pureté blanche. Ho, je constate que les mots ont un sens, et que derrière ceuxlà, des anodins qui ne mangent pas de pain, qui ne font la guerre à personne, on pourrait dire on pourrait croire à un message, à un autre message en direction du rien, ou du blanc. Tu me comprends.

Donc oui, tu as le droit de ne rien mettre sur les murs de la maison témoin qui est témoin et qui reste témoin de ce droit que tu as de ne pas l’investir brutalement, énergiquement, passionnément. Mais tu comprends aussi que le rien que le blanc ne disent pas tout, ne proposent pas tout, s’effacent, et la place vide, tu comprends bien qu’elle va automatiquement se remplir. Et tu n’y pourras rien, ça viendra de tous les côtés. Ça submergera le rien, le blanc. Je crois même que ça le salira. Et comme ce sera incompressible et chaotique, toutes les couleurs venues de tous côtés, même des côtés obscurs, imprévisibles, dictatoriaux, se mélangeront, ça donnera du brun, de la gadoue, tu ne crois pas ?
Moi je ne sais pas et je ne veux pas parler à ta place, la mienne est déjà assez croche, donc je ne sais pas, mais de mon côté le rien le blanc c’est bien gentil mais comment dire, je trouve ça mou.
J’aime attraper, accrocher, agripper et tous les synonymes que tu voudras derrière, jouons. Et dès que tu installes le jeu, le jeu du synonyme ou autre, le je, tu es dans le faire et tu n’es pas dans le rien. Tu ne parles pas dans le blanc. D’une voix blanche. La voix des grandes sidérations.
Alors voilà, on est tombés d’accord je crois, qu’est-ce que t’en penses ?
Alors ? Qu’est-ce que tu mettrais, agripperais, accrocherais, agraferais scarifierais dans la maison témoin sur les murs sur le sol ?
Tout dépend du matos tu vas me dire.
Allez, on va dire tu es libre, mais j’ai peu de moyens, toi aussi non ?
On va dire qu’on n’a que notre peau pour nous.
Notre peau, c’est déjà bien, déjà pas mal, on va pas chochoter.
Nos peaux nos bras, c’est déjà bien déjà pas mal, allez, en route. Ho, j’arrête les métaphores là, parce que trop tu vois, je l’ai pas vue venir mais maintenant ça devient massif ou carrément téléphoné.

Alors qu’est-ce qu’on a comme matériel, notre peau et nos bras, ça peut servir.

Hier j’ai vu un homme, sa peau ses bras, et il empilait, il empilait, il empilait des morceaux de bois usagés, des détritus de bois, des planches jetées, il les empilait vraiment haut, et ça tenait un peu à l’arrache, avec des serres-joints et des tubes de métal pour coincer, et des sangles pour retenir, et tu me croiras si tu veux ça tenait. On s’est tous mis autour pour soulever ça, ces planches de n’importe quoi et ça s’est levé, et ça tenait, crois-moi si tu veux, juste la vérité. Et une femme, hier j’ai vu une femme s’enrouler dans des draps de papier, des feuilles immenses qu’elle dépliait comme en dansant, et elle les plaquait contre le mur, le blanc du mur, et les pigments volaient dans l’air. Du rouge surtout du rouge. Du jaune, son pantalon était marbré et ses mains toutes tachées de craies rouges et jaunes et noires. Et sur le mur ses empreintes digitales, parce qu’elle retenait comme elle pouvait les grands draps de feuilles de papier coloré. À la toute fin elle chiffonné rageusement les grands draps, elle les a laissés là sur le sol. Avec leurs ombres et leurs pliures. Leur monde complexe de zones complexes d’ombres et de pliures, où on pourrait se mettre je crois. Être cachés. En embuscade.

C’est ça qu’il faudrait non ? sur les murs de la maison témoin son sol, des embuscades.

De mon côté, comme j’attendais, enfin j’attendais sans attendre, je faisais aussi en attendant, j’ai fait une petite embuscade de bois. C’est un bout d’étagère qui ne servait pas, oui, mes moyens à part la peau les bras ça vole pas loin, c’est pas peinturalhuilegrandarmada mon truc. J’ai pris un tournevis en embuscade. J’ai creusé, j’ai griffé. J’ai recouvert de gouaches. J’ai pressé. J’ai posé deux gros dictionnaires dessus. Je suis montée debout sur les gros dictionnaires, un sous chaque pied. J’étais bien là-haut, les mots qui me portaient, ou m’empêchaient de tomber, c’est selon. J’ai enlevé les gros dico, mis de l’encre de chine, nettoyé, frotté, caressé gentiment mon embuscade. Et de la colle pour la vernir. Comme ça on peut la mettre dehors elle dégoulinera pas. Elle fanera pas au soleil, elle deviendra pas blanche ni rien, elle sera pas grand-chose mais pas blanche ni rien, à ça qu’elle sert. Je la pose là.

Et toi ?

Parce qu’on va pas se laisser faire non plus. Je veux dire, la peau, les bras, on va aussi respirer.

C’est l’idée de respirer, cette histoire. Des bouts de bois debout, des draps rouges, ça respire.

Trop de souffles perdus. Trop. Dans la gadoue, oui, tu me comprends, trop de souffles vitaux perdus dans la souillure, on est d’accord.